Pamphlet125

Le mot « pamphlet », nous l’avons déjà précisé, connaît un emploi tardif dans la langue française. Il ne figure en effet ni dans le Dictionnaire universel de Furetière, ni dans l’Encyclopédie. Marc Angenot considère que l’étymologie la plus sérieuse126 est celle qui fait dériver le mot de Pamphilus, auteur supposé du De Amore, poème dialogué en latin du début du XIIIe siècle. Le critique cite Morawski, l’éditeur de Pamphile et Galatée, version vulgaire du dialogue, qui explique que « l’immense popularité du Pamphilus au Moyen Age est attestée » entre autres de manière éclatante « par l’étymologie du mot pamphlet qui dérive d’un diminutif de Pamphile 127 ». Or « cette forme Pamphillet devient par contraction pamphlet en Angleterre128 ». Par la suite, « le mot pamphlet se latinise en us, devient nom commun et finit par désigner une petite brochure de quelques feuilles129 ». Comme le souligne Marc Angenot, à l’origine, le mot ne désigne donc pas « un genre », mais plutôt « une certaine présentation matérielle (petite brochure) et un mode de diffusion : ouvrage court et peu coûteux, destiné à être distribué sitôt imprimé, traitant dès lors d’une controverse d’actualité130 ».

L’origine anglaise du mot est du reste attestée par l’édition de 1762 du Dictionnaire de l’Académie française, qui signale que « pamflet » est un « mot anglois », « qui s’emploie quelquefois dans notre langue, & qui signifie Brochure ». On retrouve là le lien qu’indique Marc Angenot entre le mot « pamphlet » et la désignation de l’objet dans sa matérialité et son devenir éditorial. C’est aussi ce que paraît confirmer l’occurrence suivante, que l’on trouve dans l’article « Bethsamès » des Questions sur l’Encyclopédie : « Il prétend prouver par sa brochure appelée, en anglais pamphlet, que le texte de l’Écriture est corrompu ». Si Voltaire rappelle la signification première du terme d’origine anglaise, l’emploi qui en est fait ici pour qualifier l’ouvrage d’un pamphlétaire131 qui s’en prend au « texte de l’Écriture » suggère qu’il revêt aussi une acception polémique.

Du reste, le Trésor de la Langue Française, qui rappelle que le terme « apparaît en France en 1762 », précise qu’il désigne un « libelle, écrit satirique et polémique ». Dans les Mémoires secrets, lorsqu’il évoque, le 19 février 1762, le Manuel de l’Inquisition dont l’abbé Morellet « s’avoue l’auteur », Bachaumont ajoute en effet que Morellet « étoit déjà connu par la vision du Sr. Palissot, pamphlet très-satirique, qui lui avoit fait faire quelque séjour à la Bastille132 ». Nous reviendrons sur l’alliance intéressante du substantif « pamphlet » et de l’adjectif « satirique », renforcé par l’adverbe d’intensité « très ». Précisons que, dans ses Mémoires, rédigés vers 1797-1800, à une date bien postérieure aux événements, l’abbé Morellet désigne également son texte par l’expression « mon pamphlet ». Mais il emploie aussi ce terme pour qualifier les « petits pamphlets bien plus plaisants » que les siens, que Voltaire rédige dans le cadre de la bataille contre Pompignan, au nombre desquels il cite « Le Pauvre Diable, La Vanité, Le Russe à Paris 133 ». Or de tels textes sont d’ordinaire nommés des « satires », comme en témoigne notamment la classification retenue dans les premières éditions des oeuvres complètes de Voltaire qui les accueillent134.

Lors de la publication, en 1764, de La Véritable Vision de Charles P..., un « Avis des éditeurs » précise que cette « petite Pièce [...] fut faite, sans doute, pour consoler M. P....... du Libelle qui avait paru contre lui sous le titre de la Vision ». Le texte de l’abbé Morellet est donc à présent désigné comme un « Libelle ». On s’aperçoit ainsi qu’à cette date encore, le même texte peut, semble-t-il indifféremment, être qualifié de « pamphlet » ou de « Libelle », d’un auteur à l’autre, mais aussi au sein du même texte. C’est ainsi par exemple que l’auteur de la Véritable Vision, qui prend la défense de Palissot contre les multiples ennemis que lui a valus sa Dunciade, évoque les écrits de ces messieurs en les désignant tantôt comme des « libelles », tantôt comme des « Pamphlets » :

‘Et ils feront pleuvoir, jusques dans ta retraite, de petits libelles anonymes, en forme de lettres, que tu pourras ajouter, en forme de supplément, à la Dunciade.
[...]
Et ils cabaleront pour t’interdire les Presses, comme si tu avais fait, à leur exemple, des ouvrages téméraires & des écrits calomnieux.
Et la Dunciade aura plus de peine à être imprimée que les Si, les Mais, les Quand, les Qu’est-ce, les Pourquoi, & les Facéties Parisiennes.
Et parce que tu auras dit qu’ils font mal des vers ou de la prose, on te débitera sous le manteau, comme le Portier des Chartreux.
Et ils débiteront pendant ce tems-là leurs petits Pamphlets philosophiques sur le Gouvernement & sur la Religion.’

Le contexte immédiat pourrait laisser entrevoir une certaine nuance entre les « libelles » qui, tout comme la Vision évoquée dans l’« Avis des éditeurs », seraient dirigés « contre » la personne de Palissot, et ces « petits Pamphlets philosophiques » qui, au même titre que les « ouvrages téméraires » et les « écrits calomnieux » imputés aux adversaires de Palissot, prendraient pour objet « le Gouvernement » et « la Religion ». Il y aurait ainsi une différence entre des « libelles » fondés sur des attaques personnelles, et des « pamphlets » qui se définiraient d’abord par rapport à un contenu polémique. Mais l’ambiguïté se reforme quelques lignes plus loin, lorsque l’auteur évoque dans leur globalité « ce débordement d’écrits135 » excités par Palissot.

Lorsque le terme de « pamphlet » apparaît sous la plume de Grimm, il est fréquemment associé au lexique de l’agression. On lit par exemple en octobre 1767, à propos de la querelle de Bélisaire, que « les pamphlets et les coups d’étrivières partis de Ferney ont tenu les yeux du public ouverts sur cette production, qu’il avait d’abord assez froidement accueillie136 ». En mai 1770, il déplore que Voltaire n’ait pu « depuis longtemps nous édifier [...] par ses pamphlets pleins de philosophie et de gaieté, qui se succèdent ordinairement avec tant de rapidité137 ». Ce faisant, comme nous l’avions perçu à propos de l’occurrence de la Véritable Vision, il rattache l’emploi du mot « pamphlet » à un contenu : les « pamphlets » de Voltaire, « pleins de philosophie », sont censés « édifier » leurs lecteurs. L’idée est reprise par Condorcet lorsqu’il évoque, dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain parue en 1794, l’action entreprise, « en Angleterre » par « Collins et Bolingbroke » et « en France » par « Bayle, Fontenelle, Voltaire, Montesquieu et les écoles formées par ces hommes célèbres » qui « combattirent en faveur de la vérité » :

‘employant tour à tour toutes les armes que l’érudition, la philosophie, l’esprit, le talent d’écrire peuvent fournir à la raison ; prenant tous les tons, employant toutes les formes, depuis la plaisanterie jusqu’au pathétique, depuis la compilation la plus savante et la plus vaste jusqu’au roman ou au pamphlet du jour [...].’

Pour Condorcet, le pamphlet trouve donc place dans la lutte idéologique menée par ces « hommes célèbres » qui ont pris « pour cri de guerre raison, tolérance, humanité 138 ».

Par ailleurs, tout comme Grimm qui parlait de la « gaieté » des pamphlets voltairiens, Condorcet ne manque pas de souligner le recours au ton de la « plaisanterie » qui fait partie intégrante de l’arsenal des philosophes. C’est également sur cette tonalité particulière qui s’attache au « pamphlet » qu’insiste Palissot. Dans la « Note importante et dernière » sur laquelle s’achève l’édition de la comédie de L’Homme dangereux, qui met en scène notamment, nous l’avons vu, le personnage de l’imprimeur-libraire nommé significativement M. Pamphlet, l’auteur s’adresse aux philosophes qu’il n’a cessé de combattre, et déclare :

‘On admire encore, à la vérité, ceux d’entre vous que des talens supérieurs ont rendu justement célèbres ; mais l’admiration s’affaiblit par le déplorable usage qu’ils en ont fait dans des matiéres qui ne sont pas de leur compétence. On ne vous sait plus de gré d’une infinité de belles choses que vous avez dites, d’après Bayle, en faveur de la Tolérance, parce que vous avez prouvé que vous êtiez vous-mêmes très intolérans. Le croiriez-vous ? Vous faites des Chrétiens. On conjecture, avec assez de vraisemblance, que vos petits pamphlets satyriques & moqueurs, vos bouffonneries, vos turlupinades, deviendront le tombeau de votre secte, comme les Convulsions sont devenues le tombeau d’un parti qui avait compté de plus grands hommes que le vôtre. On ne voit en vous que le génie de l’insulte & de l’orgueil, & ce génie est, en vérité, trop facile, & à la portée de trop de monde139.’

En plaçant les « petits pamphlets satiriques & moqueurs » sur le même plan que les « bouffonneries » et les « turlupinades », l’auteur met en évidence la dimension de plaisanterie qui caractérise ce type d’écrits même si, parti pris polémique oblige, il laisse entendre qu’il s’agit là d’une plaisanterie basse et de mauvais goût, conçue dans le dessein de se « moquer » de l’adversaire en allant éventuellement jusqu’à l’« insulte ». Ce qui explique sans doute que l’on retrouve l’adjectif « satiriques » accolé au substantif « pamphlets », qui laisse entendre qu’il y aurait plusieurs sortes de pamphlets, la dimension férocement moqueuse étant caractéristique d’une influence de la « satire ».

L’importance du ton est en outre soulignée dans l’évocation qui est faite de l’Instruction pastorale de l’humble évêque d’Alétopolis, à l’occasion de l’instruction pastorale de Jean-George, humble évêque du Puy, dans les Mémoires secrets du 23 novembre 1763. Bachaumont précise qu’il s’agit d’un « pamphlet attribué à M. de Voltaire », qui a voulu se « venger par des sarcasmes » de « cette instruction » dans laquelle il « est attaqué en plusieurs endroits et très-maltraité pour son compte ». Il ajoute enfin que « cette plaisanterie n’est pas des meilleures, elle n’empêche pas que l’ouvrage de M. du Puy ne soit très-estimé140 ». On retrouve donc ici cette idée de « plaisanterie » accueillante aux « sarcasmes » qui caractériserait le ton du « pamphlet ». Mais Bachaumont pose également la question des conditions à réunir pour assurer l’efficacité du pamphlet : si l’Instruction pastorale de Voltaire n’« empêche pas » qu’on estime celle de Jean-George, c’est peut-être, comme le suggère l’asyndète, parce que « cette plaisanterie n’est pas des meilleures ».

Or l’efficacité du pamphlet réside notamment dans le « bruit » qu’il occasionne, et qui est susceptible « d’arrêter l’attention du public ». C’est en tout cas ce que porte à croire un passage de Nancy de Baculard d’Arnaud, « histoire anglaise » publiée en 1772 dans Les Épreuves du sentiment. Il met en scène un certain Slight man, « un des premiers parmi les beaux » :

‘Persuadé qu’à quelque prix que ce soit, il est flatteur d’arrêter l’attention du public, et d’exciter du bruit, il payoit divers auteurs de Pamphlet pour qu’ils parlassent de lui dans leurs papiers ; dût leur plume vénale ne lui être point favorable ! Il pardonnoit même la satyre, quand l’article qui le concernoit étoit étendu141.’

Le « pamphlet » apparaît ici comme susceptible de conférer à celui qu’il prend pour objet une certaine notoriété : il s’agit, pour un personnage aussi vaniteux que Slight man, de faire parler de soi abondamment, même en mal. Sans doute espère-t-il par là se hisser à la hauteur de ces personnages en vue qui, ainsi que l’explique Malesherbes dans son Mémoire sur la liberté de la presse, sont en Angleterre la cible toute désignée des pamphlets :

‘On regarde comme un affront pour un homme qui mérite de la considération, de se voir désigné dans une brochure, parce que cela fait croire qu’il n’a pas eu le crédit de l’empêcher.
Mais si c’était le sort de tout le monde, ce ne serait plus un affront pour personne, comme ce n’en est pas un en Angleterre.
J’entends dire qu’il n’y a pas un seul Anglais fait pour attirer l’attention, qui n’ait été plusieurs fois attaqué dans les pamflets, et ces libelles142 sont si communs et si décriés, qu’on n’y fait plus d’attention ; c’est ce qui arriverait aussi en France143.’

Le caractère « commun » de ces « pamflets » s’explique par la liberté de la presse qui règne en Angleterre, et que Malesherbes voudrait voir s’instaurer en France. Le contexte anglais explique peut-être aussi la nature particulière des pamphlets que Slight man souhaite qu’on lui consacre : il est en effet question de l’« article » que les auteurs de pamphlets pourraient rédiger « dans leurs papiers », ce qui laisse entendre qu’il s’agit de textes insérés dans la presse. Et la vanité de ce personnage est telle qu’il est prêt à pardonner « même la satyre », pourvu que les « auteurs de Pamphlets » parlent de lui en abondance. On voit donc, dans la distinction ainsi opérée que, dans le mot « pamphlet », c’est le sème éditorial qui prime, la dimension d’agression à l’égard de la personne étant ici transférée sur le mot « satyre ».

Lorsqu’on quitte le contexte anglais, l’insertion des « pamphlets » dans la presse n’est effective en France qu’après la Révolution, époque à laquelle paraissent ces « pamphlets périodiques » qu’a étudiés Pierre Rétat, et dont on trouve mention, par exemple, dans l’extrait suivant du Journal de la société de 1789, daté du 5 juin 1790 :

‘Je vous envoie, Monsieur, la copie d’une lettre dont j’ai trouvé, par hasard, l’original, sans signature et sans adresse, dans une des maisons très fréquentées par les auteurs d’un pamphlet périodique très-connu des amis et sur-tout des ennemis de la révolution144.’

Par ailleurs, s’agissant de l’efficacité du pamphlet, Malesherbes signale, dans l’extrait cité, qu’on ne « fait plus d’attention » aux pamphlets, dès lors qu’ils sont « communs » et « décriés ». Cette idée apparaîtrait de prime abord quelque peu contradictoire avec les manoeuvres de Slight man, si l’objectif du personnage n’était pas essentiellement de faire parler de lui, autrement dit de susciter, par le pamphlet, une rumeur propre à lui conférer la notoriété à laquelle il aspire. Ce qui est ici en jeu, c’est donc moins la capacité d’agression effective du pamphlet (la flétrissure de la « satyre » étant une sorte de mal nécessaire, en tout cas un prix que Slight man accepte de payer le cas échéant), que sa capacité à « exciter du bruit ». On retrouve cette idée dans l’extrait suivant du Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier qui, à travers l’image du « petit tambour qui étourdit », tend à présenter le pamphlet comme un jouet dont s’amusent des enfants oisifs et quelque peu turbulents :

‘L’inquiétude des esprits & la mauvaise humeur se satisfont complétement avec ces pamphlets ; chacun se croit vengé quand le papier est noirci. Ne faut-il pas donner un jouet à un enfant, de peur que l’étourdi dans son oisiveté ne se mette à casser les meubles ? C’est un petit tambour qui étourdit, mais qui avertit en même tems qu’il ne fait point d’autre mal. Enfin, les hommes en place peuvent pardonner aux auteurs de ces écrits ce qu’ils disent, en faveur de tout ce qu’ils ne disent pas145.’

L’intérêt des « hommes en places » n’est donc pas d’empêcher la production de ces pamphlets qui sont ici clairement présentés comme des exutoires à une « inquiétude » et à une « mauvaise humeur » qui pourraient se traduire par des manifestations autrement plus dangereuses. Mais un autre passage du Tableau de Paris semble démentir cette appréciation :

‘Lorsqu’un pamphlet véridique vient par hasard à se glisser dans la capitale, le bureau frémit, prétend qu’il faut garder un tacet absolu sur les événemens qui agitent l’Europe, comme devant nous être étrangers à nous, pauvre peuple, assis aux derniers rangs ; qu’il n’est pas nécessaire que nous ayions une autre feuille que la gazette de France, parce que c’est là que sont les idées completes, les faits dans toute leur intégrité ; & que s’il y a par fois quelques omissions, c’est pour ne point trop chagriner les bons citoyens, les rentiers paisibles, & ne point inquiéter leur sensible patriotisme.’

Il est vrai qu’une telle affirmation émane d’un membre de ce « pauvre peuple » qui est ailleurs présenté comme étant avide de rumeurs, et prompt à y accorder sa créance146. Mais, à travers ce point de vue, le pamphlet est présenté comme le véhicule d’une information donnée pour « véridique », et qui à ce titre peut inquiéter « le bureau » : des informations de cette nature contrastent en effet avec les nouvelles étroitement contrôlées que diffuse la Gazette de France, dans un passage qui repose sur une opposition entre le système français et le système anglais où il n’est pas rare de voir, « dans une feuille véridique », le gouvernement annoncer « avec franchise les revers & les succès de la guerre147 ».

En tout état de cause, notre propos n’est pas de trancher entre les deux conceptions, l’une qui considère cyniquement le pamphlet comme un exutoire assez inoffensif de nature à amuser une population potentiellement remuante dont il s’agit de flatter les travers infantiles, et l’autre qui l’appréhende comme le véhicule d’une information tenue secrète et par là même dangereuse à dévoiler. Retenons de ces extraits qu’ils traduisent une évolution des sujets abordés par les pamphlets vers des préoccupations essentiellement politiques, à partir des années 1770148. Ces extraits nous invitent en outre à nous interroger sur l’action problématique que le pamphlet est susceptible de produire sur ses lecteurs.

Les occurrences que nous avons analysées laissent apparaître une hésitation dans l’emploi des termes, et permettent de situer le débat au carrefour d’une série d’interrogations relatives à ce type de textes. Certaines d’entre elles mettent l’accent sur la composante éditoriale qui définit le pamphlet : qu’il s’agisse de la première mention du mot anglais « pamflet » dans l’édition de 1762 du Dictionnaire de l’Académie, qui fournit comme équivalent français le mot « brochure », qu’il s’agisse de ces « articles » que les « auteurs de Pamphlets » insèrent « dans leurs papiers » évoqués dans l’« histoire anglaise » de Baculard d’Arnaud, ou qu’il s’agisse de ces « pamphlets périodiques » de la période révolutionnaire, le pamphlet se caractérise toujours par sa présentation matérielle, qui est étroitement liée aux circuits qui président à sa diffusion. D’autres occurrences mettent l’accent sur des questions relatives à la visée pragmatique du pamphlet : est-il de nature à participer à l’instruction du lecteur comme semblent l’affirmer, par exemple, Grimm ou Condorcet, du moins à véhiculer un contenu idéologique (et polémique) comme le suggère Mercier ? Ou ne doit-il être considéré que comme une machine à conduire des attaques ad hominem qui, par les personnalités qu’elles supposent, la rapprocherait du « libelle » ? Enfin le pamphlet paraît se signaler par un ton particulier, qui serait celui du sarcasme que l’on voit se déployer dans ces « pamphlets très-satiriques » qu’évoque Bachaumont, qui apparenterait le pamphlet à une certaine forme de « satire ».

Notes
125.

 Il Existe De Nombreuses Définitions Modernes Du Pamphlet, Au Nombre Desquelles, Par Exemple, Celle Que Propose Yves Avril : « Le Pamphlet [...] Est Un Écrit De Circonstance, Attaquant Plus Ou Moins Violemment, Unilatéralement, Un Individu Ou Un Groupe D’individus, Une Idée Ou Un Système Idéologique Dont L’écrivain Révèle, Sous La Pression D’une Vérité Usurpée Et Libératrice, L’imposture » (« Le Pamphlet : Essai De Définition Et Analyse De Quelques-Uns De Ses Procédés », Dans études Littéraires, N° 11, Août 1978, P. 265). Dans Le Cadre De Cet Article, Nous Restreignons Notre Investigation À La Signification Que L’on Peut Dégager De L’analyse Des Occurrences Que Nous Avons Relevées Dans Des Textes Rédigés Au Cours De La Période 1750-1770, Et Éventuellement Dans Les Années Qui Suivent, Jusqu’à La Période Révolutionnaire.

126.

Joseph Bonenfant signale une autre étymologie, fondée « sur les mots grecs : pan flego, je brûle tout » qui, selon lui, aurait le mérite de souligner, à travers cette métaphore du feu, l’« intention destructrice » inhérente au pamphlet (« La force illocutionnaire dans la situation de discours pamphlétaire », dans Études littéraires, n° 11, août 1978, p. 303).

127.

 Bloch et Wartburg précisent que « le nom de cette comédie, très connue à cause d’un personnage remarquable de vieille entremetteuse, servit à désigner, en Angleterre, depuis la fin du XVIe siècle, un court écrit satirique ».

128.

 Gaston Paris propose la même évolution, mais à partir du nom Pampflette, attesté selon lui dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Littré, qui fait état de cette étymologie, émet malgré tout quelques réserves à son sujet : « Ce pamflette du XIIIe siècle est certainement une trouvaille ; et le rapprochement est fort ingénieux. Pour qu’il devînt certain, il faudrait quelques intermédiaires avant les textes de 1510, les plus anciens que l’on connaisse jusqu’à présent pour l’emploi de ce mot ».

129.

 J. de Morawski (éd.), Pamphile et Galatée, Paris, Champion, 1917, cité par M. Angenot, La Parole pamphlétaire, pp. 373-374.

130.

 M. Angenot, La Parole pamphlétaire, p. 374. Le Trésor de la Langue Française confirme que le mot « pamphlet » est « emprunté à l’anglais pamphlet “ brochure, opuscule ”, attesté depuis le XIVe siècle [...] désignant parfois plus particulièrement une brochure sur un sujet d’actualité, éventuellement de politique ou propre à la controverse ».

131.

 L’usage de ce substantif, qui reproduit l’anglais pamphleteer, est attesté au cours de notre période, notamment chez Voltaire qui l’écrit encore, avec la finale anglaise, « pamphleter ». Nous nous autorisons de cette situation lexicale pour employer à notre tour, dans l’ensemble de cette étude, le mot « pamphlétaire » au sens d’“ auteur de pamphlets ”.

132.

 Mém. secr., t. I, p. 48. Sur la Vision de Charles Palissot, dont nous aurons l’occasion de reparler fréquemment au cours de cette étude, voir D. Delafarge, L’Affaire de l’abbé Morellet en 1760, Paris, Hachette, 1912.

133.

 Morellet, Mémoires, pp. 101 et 99.

134.

 Sur l’inscription des pamphlets de Voltaire dans les éditions successives de ses oeuvres complètes, et en particulier sur les problèmes de classement qu’elle fait apparaître, voir notre troisième partie, chap. 1, § 3.2.

135.

 La Véritable Vision de Charles P..., pp. 35 et 39-40 (nous soulignons).

136.

 Cor. lit., t. VII, p. 439.

137.

 Ibid., t. IX, p. 24.

138.

 Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, neuvième époque, éd. G.-F., pp. 226-227.

139.

 L’Homme dangereux, pp. 198-199 (nous soulignons).

140.

 Mém. secr., t. I, p. 302.

141.

 Baculard d’Arnaud, Nancy, dans Épreuves du sentiment, 1772, p. 11 (Frantext, N 399).

142.

 On retrouve ici l’assimilation déjà observée entre « pamflets » et « libelles », lorsqu’il est question d’attaques portées contre une personne.

143.

 Mémoire sur la liberté de la presse, pp. 279-280.

144.

 Journal de la société de 1789, nfi 1, Variétés, Au Rédacteur, p. 51 (Frantext, R 621).

145.

 L.-S. Mercier, Le Tableau de Paris, chap. 544, « Libelles », t. VII, Amsterdam, 1783, p. 28 (Frantext, N 282).

146.

 Dans le chapitre 71, il est en effet question de ces « cafés », dans lesquels le « bavardage [...] roule incessamment sur la gazette ». Et le narrateur de préciser : « La crédulité parisienne n’a point de bornes en ce genre ; elle gobe tout ce qu’on lui présente » (Ibid., t. I, p. 228 ( Frantext, N 274).

147.

 Ibid., chap. 445, « Liseurs de Gazettes », t. VII, pp. 300-302 (Frantext, N 278).

148.

 Nous reviendrons sur cette question lorsque nous nous attacherons à définir notre corpus : voir notre deuxième partie, chap. 2, § 2.