ii. Comédie Satirique

Dans son ouvrage intitulé La Comédie satirique au XVIII e  siècle, Gustave Desnoiresterres se propose, comme l’indique le sous-titre, de retracer une « histoire de la société française par l’allusion, la personnalité et la satire au théâtre » qu’il étend de la Régence à la Révolution. Les analyses paraissent certes un peu anciennes, et se caractérisent essentiellement par le souci descriptif de dresser le « tableau de la société française », « traquée jusque dans son particulier le plus intime », dont il s’agit de « dévoiler les péchés mignons et trop souvent aussi les gros péchés195 ». Desnoiresterres a cependant le mérite d’attirer notre attention sur cette association particulière entre le théâtre et la veine satirique qui, si elle n’est pas nouvelle au XVIIIe siècle, intéresse au plus haut point notre propos, ne serait-ce que parce que deux des querelles de notre corpus trouvent leur origine dans la représentation de telles « comédies satiriques ». Il nous faut donc réfléchir à cette forme particulière de la comédie et, à partir de la définition de ses caractéristiques essentielles, nous interroger sur les rapports qu’elle entretient avec la « satire », voire avec le pamphlet.

Après avoir en quelque sorte fait ses armes avec la comédie intitulée Le Cercle ou les Originaux, représentée sur le théâtre de Nancy en novembre 1755, Palissot récidive en obtenant que les Comédiens-Français jouent, pour la première fois le 2 mai 1760, sa comédie des Philosophes. Il s’ensuit une belle agitation au parterre, marquée non seulement par la rédaction de nombreux pamphlets mais aussi par la création de plusieurs autres pièces de théâtre écrites dans la même veine, toutes imprimées, certaines seulement représentées. D’abord paraît une « comédie nouvelle en un acte et en prose », imprimée significativement « à Criticomanie, chez la Satyre, rue des Bons Avis, à la Vérité » et intitulée, non moins significativement, Les Philosophes manqués. L’auteur anonyme (vraisemblablement Cailleau), qui situe la scène « dans le Foyer de la Comédie Française », s’en prend à la pièce de Palissot en faisant intervenir successivement « l’Auteur des Philosophes », « la Comédie », « l’Intérest », « la Cabale », « le Parterre », « l’Intrigue » enfin, comme il se doit, dans la sixième et dernière scène, « le Dénouement ». Le même Cailleau publie quelques mois plus tard, toujours de manière anonyme, Les Originaux ou les fourbes punis, qui se présente comme une « parodie scène par scène des prétendus Philosophes ». Le 20 juillet 1760 est représentée sur le théâtre de Passy la « comédie en un acte et en vers » des Philosophes de bois, dont le texte est imprimé par la suite et précédé d’une « Préface » dans laquelle le « Directeur des Marionnettes » déclare notamment : « si je tombe à la lecture comme je suis tombé sur mon Théâtre de Passy, & que cela fasse tomber la querelle ; j’aurai toujours beaucoup fait pour l’honneur des Gens de Lettres196 »... Entre temps, les Comédiens-Italiens ont interprété, le 14 juillet 1760, la « comédie en un acte et en vers libres » de Poinsinet intitulée Le Petit Philosophe, qui prend ouvertement la défense de Palissot197. Dans l’avis « au lecteur » qui précède le texte imprimé, Poinsinet rappelle le « but moral » et « louable » de la comédie des Philosophes, qui « tend à éclairer les hommes sur de dangereux principes, à combatre de bizarres systêmes, à dissiper le prestige de la fausse Philosophie ». Lui-même ne poursuit pas d’autre objectif dans sa « petite Comédie » : « j’ai cru parvenir à mon objet qui est de combatre telles ou telles propositions de la nouvelle Philosophie ». Et, pour ce faire,

‘Je me suis instruit en la composant, aussi éloigné de vouloir outrager des Sçavants que la nation doit considerer, que d’admirer absolument tout ce qu’ils ont écrit. J’ai lû soigneusement leurs principaux ouvrages, & si l’évenement de cette fermentation littéraire m’a déterminé à n’y saisir d’abord que ce qui a été généralement désaprouvé, je consacrerai une autre fois ma plume à rendre hommage à leur mérite, bien persuadé cependant qu’ils n’auront jamais besoin d’un aussi faible apologiste198.’

Au cours de la dernière scène, le personnage de Simoneau, à qui Damon, tout acquis aux idées des philosophes, a fait « tourner la cervelle », en vient à considérer que « sans état, sans parents, sans patrie, / On est heureux », prête le serment des philosophes dont les six couplets reprennent l’essentiel des accusations de Palissot199.

C’est encore par une « comédie satirique » que Voltaire, après être longtemps resté silencieux200, organise une riposte, il est vrai indirecte, à la comédie des Philosophes. Dans son Écossaise, qui paraît d’abord sous forme imprimée, et qui est ensuite représentée pour la première fois dans le « tripot » le 26 juillet 1760, Voltaire traduit en effet sur la scène non pas Palissot, mais Fréron, sous les traits du personnage de « Frélon », rebaptisé par la suite « Wasp ». La pièce donne également lieu à une parodie (L’Écosseuse, « opéra comique en un acte, représenté pour la première fois sur le Théâtre de l’Opéra comique de la foire Saint-Laurent le 4 septembre ») et à une adaptation en vers par M. de La Grange (L’Écossaise, « comédie en cinq actes », « représentée pour la première fois par les Comédiens ordinaires du roi le 20 septembre »).

On voit ainsi qu’il en va des « comédies satiriques » qui se succèdent comme des pamphlets : les textes se répondent, se renforcent ou se parodient, et s’organisent en échanges polémiques concurrents de ceux qui se mettent en place avec les pamphlets. Or cette effervescence qui s’empare des théâtres parisiens n’est pas du goût de tous les observateurs. Grimm remarque en effet, le 1er octobre 1760, après la représentation de L’Écossaise :

‘le gouvernement, bientôt honteux d’avoir permis les Philosophes, a voulu donner une marque d’impartialité en permettant la représentation du rôle de Frélon dans la comédie de l’Ecossaise ; mais ce n’était pas réparer une faute ; c’était en commettre deux. Si le public, par des acclamations et des ris immodérés, a montré le mépris qu’il faisait du faiseur de feuilles, tout en achetant ses drogues, il n’a fait que son rôle ; mais la police n’a pas fait le sien en permettant ce scandale.’

Il écrivait déjà, le 1er juin, à propos de la comédie des Philosophes :

‘Quelque pitoyable que soit cette pièce en elle-même, elle fera époque dans l’histoire de France, [...]. C’est en effet une chose assez indifférente que Palissot ait fait une mauvaise comédie contre des gens respectables par leurs moeurs et par leurs talents : mais que cette farce ait été jouée sur le théâtre de Corneille, sous l’autorité du gouvernement ; que la police, qui poursuit en ce pays-ci avec tant de sévérité tous les ouvrages satiriques, se soit écartée de ses principes, et ait permis que plusieurs citoyens fussent insultés publiquement par une satire atroce, voilà ce qui n’est point indifférent et ce qui marque, outre un renversement de tout ordre et de toute justice, la faveur et la protection que les lettres et la philosophie ont à attendre désormais de la part du gouvernement201.’

La comédie de Palissot (et, après elle, celle de Voltaire) est donc reconnue comme un « ouvrage satirique ». Mais, ce qui est plus grave, cette « satire atroce » a été représentée « publiquement », avec l’aval (sinon à l’instigation) du « gouvernement », au grand déshonneur du « théâtre de Corneille ». De surcroît, la licence engendrant une licence plus effrénée encore, le précédent qu’a créé la représentation des Philosophes a entraîné une inflation des écrits diffamatoires qui ne semble pas devoir s’arrêter : « Depuis qu’on a autorisé la satire des Philosophes sur le théâtre de la Comédie-Française, les libelles en tout genre se sont multipliés sensiblement, et la licence a été portée fort loin. Elle durera jusqu’à ce que quelque étourdi attaque quelque homme en crédit ; alors on criera au meurtre202 ». Cette idée est reprise par l’abbé Coyer, qui la brandit comme une menace à la fin de son Discours sur la satyre contre les philosophes :

‘Deux Comédies personnelles sur le même Théâtre en trois mois ! Citoyens, en quelque rang que vous soyez, prenez garde à vous. L’Ordre des Lettrés, qui gouverne à la Chine dans la plus grande union, & qui rampe en France dans la discorde, se lassera peut-être de se déchirer lui-même. Sur qui se jettera-t-il ?’

En effet, si l’on a « toujours vû les petits Auteurs déchaînés contre les Philosophes, comme les Charlatans contre les Médecins », « on n’avoit pas encore permis à ces Charlatans de monter sur le Théâtre, pour vendre leurs Epigrammes à la bonne Compagnie ». C’est donc « au premier pas qu’il faut arrêter la licence cynique », d’autant que l’histoire nous apprend qu’« Aristophane, avant que de traiter cavalierement les Magistrats, les Généraux, les Archontes & les Dieux, avoit joué les Gens de Lettres ».

Car la diffamation, dès lors qu’elle est portée sur le théâtre, est d’autant « plus grande » qu’elle est « plus publique » :

‘Nous avons des loix contre les Libelles diffamatoires. La diffamation sur le Théâtre est la plus publique, la plus grande & la plus criminelle de toutes. Celle qui vient par la voie de l’impression, n’est pas connue de tout le monde ; parce que tout le monde ne lit pas : mais tout le monde a des oreilles pour entendre l’autre qui appelle encore l’impression à sa suite, qui s’en fait même précéder203.’

Fréron insiste à son tour sur cette idée, dans une lettre qu’il adresse à Favart le 15 février 1765. Il a en effet maille à partir avec Mlle Clairon, dont il a « lieu d’être mécontent personnellement », et on lui « fera un crime » de l’« indiquer vaguement » dans ses feuilles, alors même qu’il a « pris le parti de mépriser cette satire maussade et brutale » de L’Écossaise ! « La partie n’est pas égale entre nous », explique-t-il,

‘attendu qu’une pièce de théâtre a plus de publicité et plus d’éclat qu’une brochure imprimée ; que d’ailleurs on affecte de redonner souvent cette mauvaise farce204, au lieu que je ne puis répéter dans chaque feuille ce qu’on m’accuse d’avoir dit de la demoiselle Clairon205.’

De son côté, Voltaire condamne aussi la diffamation portée sur le théâtre : « Je n’aime pas d’ailleurs qu’on fasse un batelage de la foire du temple de Corneille », écrit-il par exemple au comte d’Argental, le 27 avril 1760 (Best. D 8880). Et le 29 mai 1760, dans une lettre adressée à Chennevières (Best. D 8945) : « La comédie autrefois riait du ridicule, aujourd’hui elle dit de grasses injures ». Mais cette condamnation de principe ne l’empêche pas, lorsque l’occasion se présente, de trouver « bon de nettoyer quelquefois le temple des Muses de ces araignées » que sont les « Frérons » de Paris ou de Londres, comme il l’écrit le 15 novembre 1768 à George Colman (Best. D 15317), qui a donné, l’année précédente, The English Merchant, adaptation anglaise de L’Écossaise. Dans la Collection complette des Oeuvres de M. de V..., tome V, seconde partie, que font paraître les frères Cramer en 1761, le texte de L’Écossaise était déjà précédé d’un « Avertissement » présentant notamment « la traduction d’une lettre de Mylord Boldthinker au prétendu Hume 206, au sujet de la piéce de l’Ecossaise », dans laquelle on peut lire :

‘c’est peu d’avoir immolé ce vilain Frélon à la risée publique, sur tous les théatres de l’Europe, où l’on joüe vôtre aimable & vertueuse Ecossaise : faites plus, mettez sur la scène tous ces vils persécuteurs de la littérature, tous ces hypocrites noircis de vice, & calomniateurs de la vertu ; trainez sur le théatre, devant le tribunal du public, ces fanatiques enragés, qui jettent leur écume sur l’innocence ; & ces hommes faux, qui vous flattent d’un oeil, & qui vous menacent de l’autre ; qui n’osent parler devant un philosophe, & qui tâchent de le détruire en secret : exposez au grand jour ces détestables cabales qui voudraient replonger les hommes dans les ténèbres.
Vous avez gardé trop longtemps le silence ; on ne gagne rien à vouloir adoucir les pervers ; il n’y a plus d’autre moyen de rendre les Lettres respectables, que de faire trembler ceux qui les outragent207.’

La « comédie satirique » apparaît donc aux yeux de Mylord Boldthinker comme un moyen de faire régner une sorte de “ Terreur ” avant la lettre, qui poursuit impitoyablement le vice dans le but d’épurer les moeurs. Et c’est bien, semble-t-il, la fonction traditionnellement dévolue à la comédie, comme l’exprime Marmontel, sur un mode à peine moins virulent : « C’est le but que se propose la Comédie ; & le théâtre est pour le vice & le ridicule, ce que sont pour le crime les tribunaux où il est jugé, & les échafauts où il est puni ». Car

‘De cette disposition à saisir le ridicule, la Comédie tire sa force & ses moyens. Il eût été sans doute plus avantageux de changer en nous cette complaisance vicieuse en une pitié philosophique ; mais on a trouvé plus facile & plus sûr de faire servir la malice humaine à corriger les autres des vices de l’humanité, à peu près comme on employe les pointes de diamant à polir le diamant même : c’est-là le projet ou la fin de la Comédie.’

Mais il précise aussitôt que si « la Comédie est un portrait », elle ne saurait être « le portrait d’un seul homme, comme la satyre, mais d’une espèce d’hommes répandus dans la société, dont les traits les plus marqués sont réunis dans une même figure208 ».

On voit donc que le véritable débat qui est en jeu avec la « comédie satirique » se définit moins autour de l’objectif général assigné à la comédie (tout le monde reprend à son compte la célèbre formule Castigat ridendo mores), mais bien plutôt autour de la question de l’existence éventuelle de limites à la personnalisation des attaques. Or, dans les témoignages de l’époque, ce débat se développe à partir de deux références essentielles, à Aristophane et à Molière. Lorsqu’il analyse la querelle qui a opposé Aristophane et Socrate, l’abbé Irailh ajoute qu’« on a plus d’une fois, parmi nous, ramené la comédie au genre d’Aristophane, & fait d’elle une satyre dialoguée ». Il illustre son propos en citant pour exemple Molière, qui « a joué l’hôtel de Rambouillet, Ménage & Cotin, l’un sous le nom de Vadius, l’autre sous celui de Tricotin, changé depuis en Trissotin », « sans parler des exemples tous récens, & principalement de la comédie des Philosophes & de celle de l’Ecossoise 209 ». Et, à travers le parallèle qu’il poursuit entre la comédie des Nuées et celle des Philosophes 210, l’abbé Coyer souligne qu’« Aristophane ne se contenta pas » de tourner Socrate « en ridicule », « il abusa de ses principes pour le rendre odieux211 ». Or si Coyer invoque la figure d’Aristophane pour condamner les « personnalités » généreusement répandues dans la pièce de Palissot, ce dernier se prévaut au contraire de l’exemple de Molière pour en justifier le bien-fondé.

Dès le « Discours préliminaire » de la comédie des Tuteurs, adressé à la comtesse de La Marck, Palissot définit en effet sa conception de la « comédie », qu’il présente comme « une guerre déclarée au vice par le ridicule ». C’est pourquoi « il faut que le ridicule soit mis dans tout son jour, que la vérité de l’imitation soit à la portée du Public212 ». On comprend dès lors que

‘Les personnalités sont nécessaires dans une Comédie ; il est courageux, mais il est très-vrai de le dire : du moins, n’en est-il pas une bonne du genre de celles de Moliere (& c’est le véritable genre) qui n’en fournît au besoin plus d’un exemple. La Comédie est une imitation de l’homme, & je ne puis le peindre que dans la société qui existe. L’homme métaphysique, étranger à tous les Arts, n’est qu’une vaine spéculation. La Nature seule doit servir de regle & de modele. C’est au Peintre à tâcher de déguiser son secret sous la charge, & à braver les applications injurieuses ou téméraires213.’

Encore faut-il préciser que « la liberté de braver les applications pouvait être aussi, du temps de Molière, une des principales sources du bon comique. A peine y a-t-il une seule Pièce de ce grand homme dans laquelle les gens instruits ne reconnaissent les anecdotes de son siècle. On ne parvient guère à faire des portraits aussi ressemblans que les siens, sans avoir travaillé d’après le modèle214 ». D’ailleurs, précise-t-il en casuiste aguerri, dans l’article qu’il consacre à Molière dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de notre littérature, on ne saurait se fier à ces « applications » que la « malignité des Spectateurs » recherche avec une telle avidité :

‘Observons encore qu’il n’est pas possible de bien peindre un personnage vicieux ou seulement ridicule, sans qu’on lui trouve dans le monde une infinité de copies. Souvent le véritable original qui a servi de modèle au Poëte échappe à l’application, tandis qu’elle va se partager sur des gens auxquels l’Auteur n’avait jamais pensé, & dont même il ne soupçonnait pas l’existence, avant que la malignité des Spectateurs vint la lui révéler. Or, toute application ainsi divisée, cesse, par-là même, d’être une personnalité offensante215.’

Toutefois, loin de lui l’idée de « vouloir autoriser [...] une liberté qui pourrait alarmer les Citoyens » :

‘La raison dicte où elle doit s’arrêter, pour ne pas dégénérer en licence. Molière ne nomma qu’une seule fois, et je pense qu’il eut tort ; mais dans un Etat gouverné par les moeurs plus encore que par les lois, la Comédie pourrait devenir un instrument de politique, pour réprimer certains excès dangereux, et pour corriger, par la crainte du ridicule, ceux qui pourraient s’y reconnaître. Ce serait, dis-je, un moyen plus doux que l’ostracisme dont se servaient les Athéniens contre les citoyens suspects. Il paraît que Molière envisageait ainsi le plus noble des arts : aussi fut-il appelé le législateur des bienséances. Louis XIV en avait apparemment la même idée, lui qui désignait à ce grand homme les personnes dont les ridicules semblaient être échappés à ses pinceaux216.’

Or, quoi de plus « dangereux », en 1760, que cette « secte » des « nouveaux Philosophes » qui « était si étendue », qui « avait si fort percé dans tous les états de la vie, qu’elle entraînait les suffrages d’une partie de la Nation, qui ne pensait plus que d’après ces oracles » ?

‘Il ne restait, pour abbattre ce parti puissant, que de l’attaquer par le ridicule aux yeux mêmes du Public assemblé : c’était ramener le théâtre à sa première institution ; &, sans doute, il y a de la modération à n’employer que de pareilles armes contre de certains excès.’

C’est donc parce qu’il est animé de « la véritable Philosophie du Citoyen » que Palissot trouve « le courage d’arracher sa Patrie à des erreurs dangereuses, & de sacrifier tout à cette gloire217 ».

Une semblable argumentation ne convainc naturellement pas les détracteurs de Palissot, qui fulminent contre les « personnalités » complaisamment déversées dans la comédie des Philosophes. L’auteur de la Lettre d’un original rapporte les réactions qu’il a pu recueillir au cours des représentations, dont celle d’un Anglais, qui déclare :

‘« Prétendre détruire la philosophie, c’est faire revivre la crasse ignorance & la stupidité de nos peres. Mais, déshonorer personnellement les philosophes ! c’est le comble de la bassesse & de l’infamie. Et je parie cent guinées que quiconque, dans mon pays, s’aviseroit de prôner un tel ouvrage, seroit à l’instant lapidé ou anéanti sous les coups de poing218 ».’

Dans son Discours sur la satyre contre les philosophes, l’abbé Coyer tient un semblable discours, et affirme que l’« honnêteté publique » a été « blessée dans la Piéce des Philosophes » :

‘Le Théâtre a ses régles de morale comme d’amusement. Dans les tableaux qu’il présente pour corriger les vices, il ne doit employer que des traits généraux ; les personnels sont exclus. [...] On convient généralement que dans la Piéce des Philosophes, les personnes ont été jouées ; & c’est convenir que l’honnêteté publique a souffert219.’

De telles accusations n’épargnent pas non plus Voltaire. C’est ainsi que l’auteur de la Lettre sur la comédie de l’Écossaise ne saurait plus « que penser de la Nation, si ses suffrages unanimes couronnoient des lauriers du Misanthrope & de la Métromanie ce tissu d’injures & de calomnies appellé l’Écossaise », qu’il qualifie, quelques lignes plus loin, de « Drame monstrueux & diffamatoire220 ».

D’ailleurs Voltaire, tout comme Palissot, a été amené à retrancher un certain nombre de « personnalités » de son texte. Dans sa Trés humble Requête à Messieurs les Parisiens, Jérôme Carré, qui se présente comme le simple « traducteur » de la pièce de M. Hume, affirme en effet avoir « fort adouci les traits dont l’Auteur peint son Wasp [...] par le conseil des personnes les plus judicieuses de Paris221 ». Si l’on peut toujours suspecter une manoeuvre de Voltaire, qui pourrait bien signifier par là que les traits déjà odieux sous lesquels apparaît M. Wasp ne forment qu’une infime partie du véritable caractère de ce « faiseur de feuilles », en revanche, il apparaît presque certain que Palissot a dû édulcorer son texte entre la première et la seconde représentation de la comédie des Philosophes. Grimm signale en effet, le 1er juillet 1760, qu’« on a retranché, à l’impression de cette pièce et à la seconde représentation, plusieurs endroits qui avaient trop choqué à la première222 ». Ce qu’affirmait déjà Fréron, dans sa « feuille » datée du 6 mai : « Il y avoit cependant quelques traits trop forts & trop durs qui blessèrent avec raison le plus grand nombre. Ils étoient échappés à M. Palissot dans la chaleur de la composition ; il les a sentis & supprimés lui-même. En condamnant les personnalités dont on s’est plaint à la première représentation, & qui ont été retranchées à la seconde, je vous avoue que cette pièce m’a fait un plaisir infini223 ».

Si Palissot se réclame de l’autorité de Molière pour justifier le recours aux « personnalités » dans la comédie, à condition toutefois que les personnes ne soient pas « nommées », ses adversaires stigmatisent au contraire le scandale qui s’attache à une comédie qui confine à la « satyre dialoguée » dans laquelle s’est tristement illustré Aristophane224. À en croire l’auteur des Qu’est-ce, la comédie de Palissot ne serait même ni une « Comédie », ni une « Satyre » :

‘Qu’est-ce que la pièce que vous donnez au public, Monsieur ? Une Comédie, ou une Satire ? Ce n’est point une Comédie : car la Comédie n’attaque point les personnes, mais les ridicules & les passions. Ce n’est point une Satire ; celle-ci n’épargne point les personnes, mais elle ne leur reproche que des vices ou des défauts véritables. Les anciens déchiraient ceux de leurs contemporains qui s’étaient rendus méprisables ; mais ce qu’ils leur imputaient était de notoriété publique : & votre piéce est un tissu de calomnies & d’horreurs, si manifeste, que tous les spectateurs sensés conviennent qu’il n’y a qu’une imagination déréglée qui ait pu forger cet Ouvrage horrible225.’

De son côté, Favart, qui ne prétend pas « décider entre les philosophes et leurs antagonistes », peut malgré tout « assurer », le 18 mai 1760, que « les vices, la bassesse, le manége que l’on impute aux encyclopédistes, sont absolument contraires à la vérité » : « Je n’ai garde d’être défenseur de leurs paradoxes. Je respecte aveuglément tout ce qu’il faut respecter ; mais je dois rendre témoignage que si nos Socrates modernes ont quelques principes erronés, leur conduite est exacte, et leurs moeurs sont pures226 ».

Une pièce de cette sorte, qui allie les attaques personnelles aux imputations mensongères paraîtrait dès lors relever de ce que nous considérons comme un pamphlet. Dans quelle mesure est-il pertinent de parler, au sujet de telles « comédies satiriques », de “ pièces-pamphlets ” ? Un premier critère paraît résider dans le mode de diffusion du texte. Avant que la pièce de Voltaire ne soit représentée, sa diffusion sous forme imprimée l’apparentait à ces « libelles » que les colporteurs vendent « sous le manteau », comme le suggère l’auteur de la Lettre sur la comédie de l’Écossaise : au moment où il prend la plume, « cette Écossaise [...] n’est plus un Ouvrage ténébreux, vendu sous le manteau par nos Colporteurs de libelles ; c’est une Comédie avouée de son Auteur, & jouée sur le premier Théâtre de la Nation227 ». Même si Voltaire n’a pas eu initialement l’intention de faire représenter sa pièce lorsqu’il l’a rédigée et publiée228, dès lors qu’elle est jouée, elle ne saurait plus être assimilée à ces « libelles » diffusés clandestinement.

Par ailleurs, dans un cas comme dans l’autre, les observateurs de l’époque se font l’écho du succès remporté par L’Écossaise. Alors que « des ballots de cette Comédie [...] qui n’a [pour l’heure] été jouée sur aucun Théâtre » arrivent à Paris, Fréron signale en effet que « ce Drame, prôné par un certain parti, fait une espèce de fortune dans la Capitale229 ». Et, après la « première représentation », Favart déclare que « jamais ouvrage de Voltaire n’a été reçu avec autant d’acclamations ». Il précise ainsi que « chaque mot étoit applaudi des pieds et des mains, surtout les traits que l’on pouvoit appliquer à Fréron230 ». Est-ce à dire que le succès remporté par cette « comédie satirique » ne tient qu’aux seules « personnalités » qu’elle comporte ? Il s’agirait en effet de distinguer les pièces susceptibles de se soutenir par les qualités propres de leur composition, de celles qui ne remporteraient qu’un succès de scandale, essentiellement dû à la charge polémique qu’elles véhiculent. Si l’on en croit l’abbé Coyer, la comédie des Philosophes relève de cette dernière catégorie. Si, explique-t-il, l’ignorance de l’identité des « vrais personnages » que joue Molière n’empêche pas le public de goûter tout le comique de la pièce, tel n’est pas le cas de la comédie de Palissot :

‘Qu’on retranche les personnalités de ce phantôme de Comédie qui a grimacé, en montrant les dents, sur notre Scène, que restera-t-il ? Supposons encore qu’on l’expose sur un Théâtre de Province, où l’on n’aura que le bon sens pour entendre, & le goût pour sentir, quelle sera la situation du Spectateur ? Il faudra l’avertir de rire. Cette précaution n’a pas été nécessaire à Paris, où les personnages joués sont connus, où il y avoit des Spectateurs prédestinés à rire, & ou d’autres moins instruits ont ri par contagion.’

Il précise alors que « si l’Auteur des Philosophes veut jouir de sa gloire dans quelques années d’ici, on lui conseille de distribuer aux Spectateurs des exemplaires de la Piéce, avec de bonnes Notes marginales, afin d’être entendu231 ». La comédie de Palissot relèverait donc de ces « parades satyriques » que brocarde l’auteur de l’article « Parade » de l’Encyclopédie :

‘Quel abus ne fait-on pas tous les jours de la facilité qu’on trouve à rassembler quelques dialogues, sous le nom de comédie ? Souvent sans invention, & toujours sans intérêt, ces espèces de parades ne renferment qu’une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures, ou de petites esquisses mal dessinées, des moeurs & des ridicules ; quelquefois même on y voit regner une licence grossiere ; les jeux de Thalie n’y sont plus animés par une critique fine & judicieuse, ils sont déshonorés par les traits les plus odieux de la satyre.’

Et l’auteur, qui a en vue « un certain P... de M..... », précise alors que ces « parades satyriques [...] ne peuvent troubler ou séduire qu’un moment la société », et que « la punition ou le mépris suit toujours de près les traits odieux & sans effet, lancés par l’envie contre ceux qui enrichissent la littérature, & qui l’éclairent232 ». Ces jugements seraient cependant à nuancer, à partir notamment du témoignage de Favart qui, se faisant l’« écho » des « discours qui se tiennent dans le public par les gens qui se piquent d’impartialité », signale que

‘Tous les critiques s’accordent pour dire que, si M. P***, en évitant les personnalités, se fût contenté d’attaquer ce qu’il y a de dangereux pour les moeurs, dans les ouvrages des encyclopédistes, comme il a fait dans la scène de l’intérêt personnel, entre Valère et Frontin, et dans celle de Cidalise et Damis, il auroit produit un ouvrage estimable, que l’on pourroit mettre en parallèle avec les Femmes Savantes et le Méchant qui ont été ses modèles ; car on ne peut nier que M. P*** n’ait le talent de rendre avec force tout ce qu’il veut exprimer ; c’est la touche de Molière jointe au coloris de Gresset233.’

L’« Avertissement » qui précède le texte de L’Écossaise dans la Collection complette des Oeuvres de M. de V..., tome V, seconde partie, insiste aussi sur le fait que le succès de la pièce ne doit « rien » aux personnalités contre Fréron :

‘Ce rôle de Frélon était très peu important dans la piéce, il ne contribua en rien au vrai succès ; car elle reçut dans plusieurs provinces les mêmes applaudissements qu’à Paris234. On peut dire à cela que ce Frélon était autant estimé dans les provinces que dans la capitale : mais il est bien plus vraisemblable que le vif intérêt qui régne dans la piéce de Mr. Hume en a fait tout le succès. Peignez un faquin, vous ne réussirez qu’auprès de quelques personnes : intéressez, vous plairez à tout le monde235.’

L’abbé Coyer « soupçonne » aussi le public « d’avoir trouvé dans l’Ecossaise, ce qui n’est pas dans la Piéce des Philosophes, de l’action, de la chaleur & de l’intérêt236 ». À ces jugements, toujours suspects de partialité, il convient d’ajouter celui de Favart, qui rapporte que si « le mal que l’on veut à Fréron n’a pas peu contribué à la réussite » de la pièce, si même « toutes les règles sont violées dans cette pièce », s’il « y a des répétitions, des contradictions, des inconséquences », les « beautés qui rachètent ces défauts, entraînent l’admiration, et font taire les censeurs237 ». Jack Yashinsky précise à cet égard que « s’il est dangereux de considérer l’ensemble des réactions des spectateurs comme le critère des qualités esthétiques d’une pièce, il n’est pas moins vrai que ceux qui se sont exprimés ont fait montre d’un intérêt et d’un enthousiasme qui surpassait la simple curiosité manifestée pour une querelle littéraire238 ».

À lire les réactions des contemporains, la comédie de L’Écossaise n’est pourtant pas sans défauts, et ces défauts nous intéressent ici dans la mesure où ils tiennent pour une grande part à la veine satirique qui anime Voltaire. Dans le compte rendu de la pièce imprimée qu’il livre le 15 juin 1760, après avoir cité le passage où l’auteur « fait parler Fréron, lisant la gazette239 », Grimm conclut : « De bonne foi, jamais personne s’est-il parlé à soi-même aussi bêtement ? » Car

‘Un tel persiflage n’est supportable que dans ces feuilles satiriques dont tout le mérite consiste dans la gaieté et dans la saillie. Fréron, en produisant ses titres pour succéder au P. Berthier au Journal de Trévoux, peut dire : « Messieurs, je suis plus ignorant, plus impudent, plus menteur que jamais ; » le P. Croust peut donner la bénédiction avec le mot : Pax Christi, coquins ; c’est le ton de l’ouvrage240 ; la fausseté qui règne dans ces discours ajoute à la plaisanterie ; mais la comédie veut d’autres propos ; elle exige surtout une vérité sans laquelle il n’est pas possible de plaire aux gens de goût241.’

C’est donc le critère de la « vérité » qui se trouve avancé pour distinguer ce qui caractériserait une « comédie », et que Grimm oppose à la « fausseté » qui participe du ton de la « plaisanterie » propre aux « feuilles satiriques ». Voltaire a d’ailleurs conscience que le défaut majeur de sa comédie tient au « caractère » qu’il a attribué au personnage de Frélon. C’est pourquoi, avant qu’elle soit représentée en juillet 1760, il explique au comte d’Argental, le 27 juin (Best. D 9010), que « cette pièce a été faite bonnement, et avec simplicité, uniquement pour faire donner Fréron au diable ». En tout état de cause, « elle ne pourrait être supportée au théâtre, qu’en cas qu’on la prît pour une comédie véritablement anglaise ». Il faudrait donc « refondre L’Écossaise ; changer absolument le caractère de Frelon, en faire un balourd de bonne volonté, qui gâterait tout en voulant tout réparer, qui dirait toutes les nouvelles en voulant les taire, et qui influerait sur toute la pièce, jusqu’au dernier acte ». Et le 10 août 1760, après les premières représentations, Voltaire déclare, au même (Best. D 9113) : « si en barbouillant L’Écossaise en moins de huit jours j’avais imaginé qu’on dût me l’attribuer et qu’elle pût être jouée, je l’aurais travaillée avec plus de soin, et j’aurais mieux cousu le cher Fréron à l’intrigue ».

Le Patriarche établit donc une distinction essentielle entre un texte rédigé de manière hâtive dans l’unique souci de « donner » un adversaire « au diable », et destiné à la seule impression sans nom d’auteur, et une comédie qui, pour passer la rampe, réclame une attention de nature esthétique. Si en outre, comme l’illustre aussi l’exemple de Palissot, les « personnalités » apparaissent caractéristiques des « feuilles satiriques », elles ne sauraient suffire à assurer un « destin » durable à une véritable comédie. On voit donc que les deux « comédies satiriques » qui sont à l’origine de deux des querelles littéraires majeures des années 1750-1770 occupent un statut problématique et intermédiaire, qui les rapproche et les éloigne conjointement de la « comédie » en tant que genre constitué et de la « satire » entendue au sens d’« écrit médisant contre les personnes ».

La « comédie satirique », parce qu’elle porte la diffamation sur le théâtre, est donc considérée comme qualitativement plus grave que les libelles, dans la mesure où elle confère au contenu des attaques une plus grande « publicité ». On se souvient en effet que Voltaire, dans l’article « Libelle » des Questions sur l’Encyclopédie, considérait que « comme la populace n’a jamais lu dans aucun pays du monde », les libelles, parce qu’ils sont des textes écrits, ne font « pas grand mal ». Voltaire précisait alors que « c’est en parlant au peuple assemblé qu’on excite des séditions bien plutôt qu’en écrivant ». Or le théâtre ne constitue-t-il pas un lieu particulier où l’on s’adresse de la sorte au « peuple assemblé » ? Les observateurs s’accordent en tout cas à reconnaître que la diffamation publique qui s’abat sur les encyclopédistes avec la représentation de la comédie des Philosophes constitue un événement qui “ fait date ” et qui donne lieu à une tonitruante querelle marquée, outre par une suite de « comédies satiriques », par un déluge de libelles échangés de part et d’autre.

Car si la comédie s’assigne traditionnellement pour objectif de redresser les moeurs par le rire, le débat porte, avec la « comédie satirique », sur la question des « personnalités » au théâtre : si les libelles tombent, au moins théoriquement, sous le coup de la loi, comment admettre en effet que les attaques personnelles dont sont tissues ces « satyres dialoguées » soient permises sur les théâtres de France ? Palissot, qui se réclame de Molière, présente de telles « personnalités » comme indispensables à l’éthique comme à l’esthétique de la comédie, qui ne peut peindre l’« homme métaphysique ». Ses adversaires invoquent au contraire l’odieux « genre d’Aristophane », et dénoncent l’indignité de semblables procédés. Ils ont semble-t-il pour eux une partie, sinon de ce « public » dont les témoignages ne cessent de souligner la malignité, du moins bon nombre de ces hommes modérés qui ne s’engagent dans aucun des clans en présence comme Favart, voire, dans le camp des philosophes comme dans celui des anti-philosophes, des hommes comme Grimm ou Fréron qui croisent volontiers le fer, mais qui demeurent au moins théoriquement attachés à la tenue des querelles qui les opposent.

De telles « comédies satiriques » qui peuvent s’organiser en séries, se répondent ou se renforcent, et qui, par la dimension « satirique » qui leur est indissociablement attachée, concentrent leurs attaques sur la personne même de l’adversaire, nous paraissent dès lors occuper un statut intermédiaire et problématique, entre la comédie et le pamphlet. Si le fait que ces comédies soient effectivement représentées ne semble pas un critère discriminatoire suffisant, le texte des pièces faisant souvent l’objet d’une impression, il faudrait juger de l’éloignement relatif de telle pièce par rapport au genre en s’intéressant aux éléments poétiques constitutifs de la comédie. Telle pièce, qui remporte d’abord un succès de scandale, se soutient-elle par elle-même, ou ne peut-elle survivre à l’évanescence, dans l’esprit du public, des circonstances qui seules permettent d’en percevoir les « personnalités » ? L’intrigue présente-t-elle une quelconque cohérence, ou l’enchaînement des scènes n’est-il qu’un prétexte à amener des attaques ? On voit qu’avec ce type de questions, le statut de la « comédie satirique » n’apparaît pas fondamentalement différent de celui de certains contes voltairiens dans lesquels le Patriarche immole, au détour d’un épisode, tel ou tel de ses adversaires242.

Ces « comédies satiriques », qu’elles en soient à l’origine ou qu’elles les alimentent, s’intègrent enfin au développement de ces querelles entre philosophes et anti-philosophes caractérisées par ces productions pamphlétaires qui forment l’objet de notre étude. Or dès lors qu’elles prennent souvent le relais des attaques conduites dans les pamphlets, une interrogation sur ces « comédies satiriques » nous paraît de nature à nourrir notre réflexion sur le mode d’action propre au pamphlet, et sur les modalités spécifiques du recours au pamphlet dans le cadre de nos querelles.

Notes
195.

 G. Desnoiresterres, La Comédie satirique au XVIII e  siècle, Préface, p. I.

196.

 Les Philosophes de bois, p. 4.

197.

 Le 24 juin 1760, Favart signale qu’« on répète à la Comédie Italienne les Petits Philosophes [sic], comédie en un acte, mêlée de divertissemens : c’est une suite de l’acharnement contre nos philosophes modernes ». Il fait aussi état des difficultés rencontrées par l’auteur pour faire représenter sa pièce : la comédie « avoit été arrêtée à la police. M. de Crébillon refusoit constamment son approbation ; ce n’est qu’après les sollicitations réitérées de plusieurs personnes de distinction qu’elle a enfin été permise, sous condition que l’on retrancheroit ce qui pouvoit offenser ». Il précise enfin que « toutes les loges sont louées pour la première représentation » et que « si cette pièce répond à l’attente du public, elle aura un brillant succès » (Mémoires et correspondance, t. I, pp. 50 et 52-53).

198.

 Le Petit Philosophe, pp. 4-6.

199.

 Ibid., pp. 45 et 43 et, pour le serment des philosophes, pp. 46-47.

200.

 Sur ce point, voir notre cinquième partie, chap. 3, § 2.

201.

 Cor. lit., t. IV, pp. 299 et 240.

202.

 Ibid., p. 299.

203.

 Discours sur la satyre contre les philosophes, pp. 90-91 et 78-80.

204.

 Jean Balcou, qui reproduit le texte de cette lettre, cite en note cette anecdote, rapportée par Nisard (Les Ennemis de Voltaire, Paris, Amyot, 1853, p. 232) : « Lorsque les comédiens avaient à se plaindre de Fréron, ils affichaient l’Ecossaise pour le lendemain ou le jour où avait paru la censure et ils appelaient cela “ donner le fouet à Fréron ” » (Le Dossier Fréron, p. 326, n. 2).

205.

 Mémoires... de C.-S. Favart, t. II, pp. 377-378.

206.

 On se souvient que Voltaire avait donné son Écossaise comme une « comédie de Mr. Hume, traduite en français par Jérôme Carré ».

207.

 Collection complette des Oeuvres de M. de V..., tome V, seconde partie, p. 13.

208.

 Marmontel, Poétique française, t. II, pp. 407 et 370-372.

209.

 Les Querelles littéraires, t. I, p. 28 et n.

210.

 Sur l’assimilation des philosophes aux « Socrate modernes », voir notre cinquième partie, chap. 1, § 1.2.

211.

 Discours sur la satyre contre les philosophes, p. 38.

212.

 Les Tuteurs, « Discours préliminaire », dans Oeuvres complètes, t. I, p. 69.

213.

 Lettre... à un journaliste, sur une édition des Petites Lettres qui parut en Hollande, p. 165.

214.

 Les Tuteurs, « Discours préliminaire », dans Oeuvres complètes, t. I, p. 77.

215.

 Mémoires pour servir à l’histoire de notre littérature, dans La Dunciade, t. II, p. 175.

216.

 Les Tuteurs, « Discours préliminaire », dans Oeuvres complètes, t. I, p. 78.

217.

 Lettre du S r  Palissot, auteur de la comédie des Philosophes, au public, pour servir de Préface à la Piéce, pp. 114-116. Ce n’est du reste pas sans malice que Palissot s’autorise, dans cette démarche, outre de l’exemple de Molière, de certaines « paroles judicieuses & remarquables de M. Diderot », extraites de l’article « Encyclopédie » : « Je sçai qu’on dit des ouvrages où les Auteurs se sont abandonnés à toute leur indignation : Cela est horrible ! On ne traite point les gens avec cette dureté-là ! Ce sont des injures grossières qui ne peuvent se lire : & autres semblables discours qu’on a tenus dans tous les temps, & de tous les ouvrages où les ridicules & la méchanceté ont été peints avec le plus de force, & que nous lisons aujourd’hui avec le plus de plaisir. Expliquons cette contradiction de nos jugemens. Au moment où ces redoutables productions furent publiées, tous les méchans allarmés craignirent pour eux. Plus un homme était vicieux, plus il se plaignait hautement. Il objectait au satyrique, l’âge, le rang, la dignité de la personne, & une infinité de ces petites considérations passagères qui s’affaiblissent de jour en jour, & qui disparaissent avant la fin du siècle. Les circonstances momentanées s’oublient, la postérité ne voit plus que la folie, le ridicule, le vice & la méchanceté, couverts de l’ignominie, & elle s’en réjoüit comme d’un acte de justice.... C’est une faiblesse répréhensible que celle qui nous empêche de montrer pour la bassesse, l’envie, la duplicité, cette haine vigoureuse & profonde que tout honnête homme doit ressentir » (pp. 117-118).

218.

 Lettre d’un original aux auteurs très-originaux de la comédie très-originale des Philosophes, pp. 7-8.

219.

 Discours sur la satyre contre les philosophes, pp. 7-8.

220.

 Lettre sur la comédie de l’Écossaise, p. 12.

221.

 Trés humble Requête à Messieurs les Parisiens, p. 6.

222.

 Cor. lit., t. IV, p. 253.

223.

 An. lit., 1760, t. III, pp. 215-216.

224.

 Signalons qu’en aval de notre période, un homme comme Beaumarchais peut, tout comme Palissot, se réclamer de Molière, et déplorer l’affadissement du comique au nom de la « décence théâtrale ». Il n’en établit pas moins, notamment dans la « Préface » du Mariage de Figaro, une distinction ferme entre la comédie, qui ne se livre qu’à une « critique générale » et la « satire odieuse et personnelle » : « gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des plus nobles buts de l’art, avec la satire odieuse et personnelle : l’avantage de la première est de corriger sans blesser. Faites prononcer au théâtre par l’homme juste, aigri de l’horrible abus des bienfaits : “ tous les hommes sont des ingrats ” ; quoique chacun soit bien près de penser comme lui, personne ne s’offensera. Ne pouvant y avoir un ingrat sans qu’il existe un bienfaiteur, ce reproche même établit une balance égale entre les bons et mauvais coeurs ; on le sent, et cela console. Que si l’humoriste répond qu’“ un bienfaiteur fait cent ingrats ”, on répliquera justement qu’“ il n’y a peut-être pas un ingrat qui n’ait été plusieurs fois bienfaiteur ” : cela console encore. Et c’est ainsi qu’en généralisant, la critique la plus amère porte du fruit sans nous blesser ; quand la satire personnelle, aussi stérile que funeste, blesse toujours et ne produit jamais. Je hais partout cette dernière, et je la crois un si punissable abus que j’ai plusieurs fois d’office invoqué la vigilance du magistrat pour empêcher que le théâtre ne devînt une arène de gladiateurs, où le puissant se crût en droit de faire exercer ses vengeances par les plumes vénales et malheureusement trop communes qui mettent leur bassesse à l’enchère ». Cette distinction se fonde également sur l’opposition, dont nous faisions état plus haut, entre le caractère « éphémère » et sans grande « conséquence » des libelles et le tort que peut faire le théâtre : « la vermine éphémère démange un instant et périt ; mais le théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu’il frappe. On doit réserver ses grands coups pour les abus et pour les maux publics » (Oeuvres, p. 357).

225.

 Les Qu’est-ce, pp. 140-141.

226.

 Mémoires... de C.-S. Favart, t. I, pp. 37-38.

227.

 Lettre sur la comédie de l’Écossaise, p. 3.

228.

 Gustave Desnoiresterres affirme qu’« en composant cette machine monstrueuse, l’auteur de l’Ecossaise espérait bien qu’elle serait jouée. Les difficultés, les obstacles qu’on lui fit entrevoir et qu’il pressentit lui-même, en dépit d’une ténacité malaisée à décourager, l’y avaient fait renoncer ; et, faute de mieux pour sa vengeance, il s’était résigné à livrer sa comédie à l’impression » (La Comédie satirique au XVIII e  siècle, p. 133). De son côté, Colin Duckworth pense au contraire que « Voltaire n’avait pas eu l’intention » de faire jouer L’Écossaise, faute de quoi « il n’aurait pas commencé par la publier, puisqu’une telle démarche a ordinairement pour conséquence de tuer dans l’oeuf la représentation » (« Voltaire’s L’Ecossaise and Palissot’s Les Philosophes : a strategic battle in a major war », p. 339 ( nous traduisons). Nous ne prétendons pas trancher entre ces deux interprétations, même si de nombreux témoignages plaident en faveur de la seconde hypothèse, à commencer par celui du comte d’Argental, qui écrit, le 27 juillet 1760 (Best. D 9091), que cette Écossaise que Voltaire avait « fait imprimer ne la jugeant pas digne de la représentation [...] a été jouée » la veille « avec le plus prodigieux succès » (nous soulignons). Seul nous importe ici le changement du statut du texte, lorsqu’il passe d’une diffusion clandestine imprimée à une représentation publique.

229.

 An. lit., 1760, t. IV, p. 73.

230.

 Mémoires... de C.-S. Favart, t. I, p. 73.

231.

 Discours sur la satyre contre les philosophes, pp. 12-14.

232.

 Palissot se plaint de cette attaque dans la Dénonciation aux honnêtes gens, d’un nouveau Libelle philosophique contre M. Palissot, inséré dans l’Encyclopédie, & faussement attribué à M. le Comte de Tressan, qu’il fait paraître en juin 1769.

233.

 Mémoires... de C.-S. Favart, t. I, p. 37.

234.

 Voltaire écrit par exemple à Damilaville, le 29 août 1760 (Best. D 9173), qu’on lui a « mandé qu’on jouait L’Écossaise à Lyon, à Bordeaux et à Marseille avec le même succès qu’à Paris ».

235.

 Collection complette des Oeuvres de M. de V..., tome V, seconde partie, pp. 12-13. Jack Yashinsky considère également qu’« en dépit des pointes satiriques décochées par Voltaire, le personnage de Fréron acquiert, par son état ou sa condition, la généralité d’un archétype. Des écrivains prêts à prostituer leurs talents pour conquérir la faveur ou la fortune ne sont pas le propre d’une société ou d’une époque particulières » (« Voltaire’s L’Ecossaise : background, structure, originality », p. 266 ( nous traduisons).

236.

 Discours sur la satyre contre les philosophes, p. 87.

237.

 Mémoires... de C.-S. Favart, t. I, p. 77.

238.

 J. Yashinsky, « Voltaire’s L’Ecossaise : background, structure, originality », p. 256 (nous traduisons).

239.

 Il s’agit du monologue de Fréron, sur lequel s’ouvre la comédie de L’Écossaise (I, 1, pp. XI-XII).

240.

 Comme le signale Maurice Tourneux, les deux « plaisanteries » que Grimm cite ici se trouvent dans la Relation du voyage de frère Garassise.

241.

 Cor. lit., t. IV, pp. 245-247.

242.

 Sur la question de l’inscription de l’écriture pamphlétaire dans des ouvrages qui a priori ne relèvent pas de la polémique, voir notre quatrième partie, chap. 3, § 3.