i. La Lèpre Du Parnasse

Lorsqu’on parcourt les témoignages de l’époque, on ne peut qu’être frappé par l’unanimité avec laquelle les autorités de la Librairie tout comme les hommes de lettres de toute obédience s’accordent à condamner le recours aux écrits diffamatoires. Or force est également de constater qu’une telle constance n’a d’égale que celle avec laquelle les hommes de lettres, d’ailleurs souvent les mêmes, s’adonnent à cette coupable activité, sans apparemment manifester le moindre scrupule, ni paraître le moins du monde sensibles à cette contradiction. C’est sans doute qu’une marge de manoeuvre appréciable est implicitement acceptée par les uns et par les autres, entre les principes que l’honnêteté pousse à revendiquer sans ambiguïté, et les réalités d’une pratique que le pragmatisme ou l’intérêt incitent à adopter sans scrupule ou sans vergogne.

D’une part en effet, le contraste est saisissant entre la législation en vigueur, au cours de notre période, en matière de libelles diffamatoires, les principes exposés par Malesherbes, qui est nommé à la tête de la Librairie en 1750, et les sanctions effectivement prises à l’encontre des auteurs de pamphlets. D’autre part, le divorce n’est pas moins accablant entre la ferme condamnation, au nom de la morale des procédés, que certains hommes de lettres n’ont de cesse de prononcer contre l’indignité des libelles, et des considérations plus pragmatiques qui tendent à définir timidement les circonstances dans lesquelles le recours au pamphlet pourrait à la rigueur être admis. L’exemple de Voltaire est à cet égard significatif, qui ne cesse de protester contre les pamphlets dont il est la cible, et d’arguer de la légitime défense alors même qu’en retour il accable ses ennemis de « fusées volantes » et autres « petits pâtés ».