i. Vingt Années De Luttes Entre Philosophes Et Anti-Philosophes

Jusqu’au début des années 1750, la République des lettres n’est guère agitée que par des querelles personnelles qui, comme nous l’avons vu, constituent une sorte d’habitude tristement coutumière parmi les gens de lettres. Tout change en revanche à partir du moment où Diderot et d’Alembert se trouvent placés à la tête d’une entreprise littéraire de vaste envergure, mobilisant toute une société de gens de lettres, et censée aboutir à la réalisation d’un Dictionnaire raisonné des Sciences, Arts & Métiers. Il s’ensuit une levée de boucliers émanant de « plusieurs corps respectables », que l’abbé Irailh présente en ces termes : « Des magistrats, des théologiens, des religieux, des ministres protestans, beaucoup d’écrivains, conduits peut-être par des animosités particulières, quelques-uns par un zèle véritable, ont fait tous leurs efforts pour empêcher la continuation de l’ouvrage annoncé comme le plus vaste, le plus hardi, le plus utile qu’on ait jamais conçu348 ». Et force est de constater que les adversaires de l’Encyclopédie ne désarment pas jusqu’à la parution des derniers volumes de planches, en 1772, si bien que l’histoire de cette publication est jalonnée de périodes de crise et d’accalmie.

Mais outre cette longue querelle suscitée par l’Encyclopédie, les années 1750-1770 se caractérisent aussi par des affrontements plus ponctuels, mettant aux prises des adversaires issus de chacun des deux clans, et qui éclatent à la faveur d’événements de la vie littéraire qui, explicitement ou implicitement, entretiennent des rapports avec les hostilités déclenchées au début des années 1750. Or la guerre que se livrent philosophes et anti-philosophes se prolonge bien au-delà de la fin de la publication de l’Encyclopédie. Pourquoi alors arrêter notre enquête au début des années 1770 ? Même si cette date peut de prime abord paraître arbitraire, une conjonction de facteurs nous semble pouvoir être avancée pour justifier cette limite que nous assignons à notre corpus.

Notes
348.

 Les Querelles littéraires, t. IV, p. 118.