Chapitre 3
l’analyse Du Développement D’une Querelle :
pompignan Et Les Philosophes

Un libelle lâché à propos, peut opérer une révolution, changer, maîtriser les esprits, & perdre un homme sans retour, ce qui a de très-grands avantages.
Théorie du libelle, p. 8.

Nous l’avons vu, l’année 1760 se situe à la charnière de notre période, non seulement parce qu’elle peut être considérée comme l’année la plus intense de l’affrontement entre philosophes et anti-philosophes, marquée par une succession sans précédent de querelles, mais parce qu’elle marque aussi les prémices d’un infléchissement de l’avantage en faveur des philosophes. En 1759 en effet, les philosophes sont au plus bas : la campagne menée par les adversaires des encyclopédistes aboutit à la révocation du privilège du roi accordé au Dictionnaire ; mesure hautement significative qui intervient à la suite du tollé suscité par l’affaire de L’Esprit et de la condamnation de l’ouvrage d’Helvétius. C’est également en 1759 que Jean-Jacques Lefranc de Pompignan est élu à l’unanimité à l’Académie française, après avoir été écarté au profit de Sainte-Palaye l’année précédente. Or c’est le discours de réception que prononce Pompignan le 10 mars 1760 qui met le feu aux poudres. Comme l’indique l’un de ses biographes, Theodore E. D. Braun, « Le Franc était croyant et pratiquant, il n’aimait guère l’Encyclopédie. Il se rangeait naturellement dans le camp anti-philosophe ; mais, à l’Académie, Duclos, secrétaire perpétuel, avait su garder jusque-là le ton de la bonne modération qui avait empêché une lutte ouverte entre les partis ennemis. Le discours de Le Franc éclata comme une déclaration de guerre432 ».

Au-delà de l’intérêt historique évident que présente la querelle déclenchée par ce discours, sur lequel nous reviendrons lorsque nous envisagerons les enjeux de cette bataille, nous voudrions étudier à son propos de quelle manière se développe la campagne de pamphlets qui en résulte, comment elle s’organise à l’intérieur de chaque camp, comment enfin, outre les pamphlets, une telle querelle s’alimente aussi de textes apparemment non pamphlétaires mais qui, par leur teneur ou leurs enjeux, participent au plus haut point de la guerre ouverte à laquelle se livrent philosophes et anti-philosophes. Le choix de cette querelle nous permet enfin d’analyser les modalités de l’intervention de Voltaire aux côtés des philosophes, au cours de cette “ chasse au Pompignan ” qu’il pratique comme un exercice de santé.

Notes
432.

 T. E. D. Braun, Un ennemi de Voltaire, Le Franc de Pompignan, sa vie, ses oeuvres, ses rapports avec Voltaire, p. 231.