ii. Les Enjeux De La Bataille

Lorsqu’il analyse les raisons de la querelle suscitée par le discours de Pompignan, Theodore E. D. Braun explique que « Le Franc était devenu une sorte de symbole du parti dévot, bien qu’il ne partageât pas les excès de ce qu’on peut appeler l’aile droite (contre les sectateurs de laquelle il se dressait depuis bien des années) ; n’importe : il fallait flétrir ce symbole, il fallait le couvrir de ridicule tant et si bien qu’il n’oserait plus jamais se présenter nulle part, et encore fallait-il l’enterrer vif461 ». Encore faut-il préciser qu’un tel objectif ne saurait être poursuivi “ gratuitement ”, étant entendu qu’au-delà de la satisfaction de tirer vengeance d’un ennemi personnel, l’offensive lancée contre Pompignan engage des intérêts de clan. Ce sont ces intérêts qu’il nous faut tenter de mettre en évidence, afin de préciser les éléments de la stratégie qui s’échafaude de part et d’autre au cours de ces échanges pamphlétaires.

L’analyse d’un exemple précis peut nous aider à fixer les données de la question. Nous nous proposons en effet de nous pencher sur l’Éloge historique de Monseigneur le duc de Bourgogne, que Pompignan fait paraître en 1761. Il s’agit là semble-t-il d’un texte de pure circonstance, qui ne figure d’ailleurs pas dans les Oeuvres complètes de l’auteur462, mais qui, en raison même de son caractère circonstanciel, nous paraît révélateur de la stratégie élaborée par cet anti-philosophe.

Le 22 mars 1761, le duc de Bourgogne, fils aîné du Dauphin (et frère du futur Louis XVI), meurt à l’âge de neuf ans. Ce funeste événement donne lieu à la rédaction de nombreux vers et éloges à la mémoire de l’enfant463. Le Dauphin et la Dauphine demandent enfin à Pompignan d’écrire l’éloge de leur fils. Or, dès la parution de l’Éloge historique de Monseigneur le duc de Bourgogne, la polémique suscitée par le discours de réception à l’Académie rebondit : avec les Car et les Ah ! Ah !, Voltaire fait à nouveau passer Pompignan « par les particules ». C’est qu’avec cet Éloge on a affaire à un texte qui, au-delà des intentions affichées par l’auteur, peut s’appréhender à travers plusieurs niveaux de lecture et qui, notamment, présente une forte dimension polémique lorsqu’on le replace dans son contexte d’écriture. Conformément à l’usage qui fait de l’éloge une « loüange que l’on donne à quelque personne ou à quelque chose, en considération de son excellence, de son rang, ou de ses vertus, &c.464 », Pompignan s’emploie certes à illustrer les « vertus » du défunt duc de Bourgogne. Mais, à travers l’évocation de la courte vie de cet enfant, c’est en fait moins la spécificité de cette vie qu’il entreprend de célébrer que l’image du prince idéal qu’il était, voire de l’idéal du futur souverain qu’il aurait pu incarner, et qu’il propose comme « modèle » et « exemple » à suivre. En outre, dans un contexte d’affrontement caractérisé entre philosophes et anti-philosophes, de tels propos se prêtent aisément à une lecture polémique. Les réactions contrastées des philosophes mettent alors en évidence les enjeux véritables de cet antagonisme de clans, en même temps qu’elles révèlent une stratégie déployée de part et d’autre à l’égard du pouvoir, qui pourrait être caractéristique des querelles qui nous préoccupent.

Le duc de Bourgogne apparaît comme un « modèle » et un « exemple », dès l’Épître au Dauphin qui ouvre l’Éloge : « vous-même », écrit Pompignan au Dauphin, « le proposerez pour exemple à vos arrière-petits-fils » ; « l’histoire de sa courte vie sera éternellement l’école des jeunes Princes de votre postérité465. » Et cette idée est reprise comme un leitmotiv tout au long de l’Éloge : « modèle » dans sa « conduite », le duc de Bourgogne est aussi, entre autres, un « exemple » de « recueillement », de « respect » et de « piété ». Exemple pour son frère, le duc de Berry, pour les Princes, pour les « meilleurs Chrétiens », pour la Cour et pour la ville, bref pour « tous », en raison de toutes les vertus qui sont les siennes, et qui correspondent à l’« alphabet d’un prince » selon Bossuet : piété, bonté, justice466. Car le jeune duc de Bourgogne connaît et pratique « dans leur plus grande pureté, tous les devoirs religieux, naturels & politiques » qui incombent à un futur roi, et qui consistent dans un certain nombre de « principes [...] purs » : « gouverner » ses sujets « en père », « les soulager dans leurs besoins », « maintenir l’autorité royale dans la plénitude de ses droit », « conserver la foi de S.t Louis », « récompenser le mérite », « punir le crime467 », bref, dans une série de principes politiques et religieux.

Le duc de Bourgogne est ainsi animé du souci de la « félicité publique », et fait montre de préoccupations touchant à la fois ce que nous appellerions la politique intérieure et la politique extérieure : « il souhaitoit avec la même ardeur que l’Etat fût florissant, & le peuple heureux ». Il s’avère d’une part apte à rendre le peuple « heureux », par sa pratique de la charité et de l’humanité, non seulement dans la sphère privée (comme en témoigne sa « bonté [...] pour ses domestiques » pendant sa maladie), mais aussi dans la sphère publique :

‘Il étoit plein de charité pour les pauvres, & d’humanité pour les peuples. La sensibilité de son ame n’étant point fondée sur des mouvemens passagers, & trop souvent infructueux chez le commun des hommes, mais sur un amour constant du bien public & particulier, n’en étoit que plus sûre & plus invariable dans ses effets.’

En particulier, il se montre plein de respect pour les Parisiens, ce qui s’avère d’autant plus important que Louis XV son grand-père, tout comme son ancêtre Louis XIV ont pu manifester une indifférence plus ou moins hostile à leur égard : même au plus mal, le duc de Bourgogne veut « recevoir la Ville de Paris » ; « il aimoit le peuple, & vouloit en être aimé, sur-tout du peuple de Paris468 ». Il lui importe d’autre part que l’État soit « florissant ». C’est tout le sens de sa réaction à la suite de la victoire de Berghen :

‘Il fut transporté de joie, quand il apprit la victoire de Berghen. Nos armes trop souvent malheureuses, avoient besoin d’un triomphe. Celui-ci déconcerta les projets d’un Prince habile & actif, qui s’étoit flatté de nous surprendre. Inférieurs & attaqués, nous devions être battus. Les ennemis le furent. Cette action décisive en imposa aux Alliés. Les suites heureuses du combat, la gloire du nom françois relevée, les talens & les vertus du Général, tout dans cet évènement intéressoit le Duc de Bourgogne, tout lui en étoit cher & précieux.
Qu’on est propre à gouverner des peuples, quand on s’affecte ainsi des prospérités ou des disgraces publiques !’

Non content de s’« intéresser » aux « prospérités » et aux « disgrâces publiques », il présente également toutes les qualités d’« héroïsme » qui l’auraient rendu propre à y prendre part :

‘Ce ne seroit point ajoûter à son éloge que de dire qu’il eût été brave, puisqu’il étoit d’une Maison où la valeur a toûjours été portée jusqu’à l’héroïsme. Mais ce qu’on remarquera comme une chose peu commune, c’est que sa fermeté étoit à l’épreuve de toute surprise, dans un âge & dans des occasions où la foiblesse des organes & le défaut d’expérience causent quelquefois des mouvemens de frayeur, ou du moins de l’étonnement aux enfans qui ont le plus de courage. Il avoit témoigné un grand desir de voir faire l’exercice aux Chevau-légers. On lui donna le simulacre d’un combat & d’une attaque, avec un feu tout aussi vif & tout aussi terrible qu’on peut le voir dans les actions les plus chaudes de la guerre. Lorsque le feu & le bruit commencèrent, il appuya ses mains sur son front pendant toute la première décharge, sans dire un mot. Ensuite il les retira ; & avec sa gaieté ordinaire, il dit au Duc de la Vauguyon : J’ai voulu m’effrayer ; je n’ai point été étonné du tout. Il avoit craint d’être surpris, & de montrer quelque foiblesse469.’

À ces préoccupations politiques s’ajoute le souci de ses devoirs à l’égard de la religion : « Des vertus si remarquables & si développées dans un enfant, étoient encore embellies & perfectionnées par la Religion. » Sensibilité pour ainsi dire congénitale, qu’il manifeste dès le plus jeune âge :

‘Ce Prince étoit né pour elle. A peine la connut-il, qu’il l’aima, qu’il en sentit les avantages, & qu’il en remplit scrupuleusement les devoirs. C’est la base du véritable héroïsme. On peut sans religion être un homme extraordinaire, fameux, mais jamais un grand Roi, ni un grand homme.’

On ne s’étonnera donc pas qu’il exécute « scrupuleusement » tous les devoirs qui incombent à un jeune prince chrétien, dont Pompignan célèbre la « perfection chrétienne » :

‘Il étoit exact jusqu’au scrupule dans les moindres choses qui avoient rapport à la conscience & à la Religion. La perfection chrétienne embrasse tout, & ne néglige rien. Telle pratique de piété paroît petite & puérile aux yeux du monde, qui est grande & sublime devant Dieu. [...] Régulier dans ses exercices de dévotion, instruit par l’Évangile à redouter également la mollesse & la sensualité, il ne songeoit qu’à se rendre un saint, & il le devenoit tous les jours. Il s’amusoit une fois à se faire rendre compte de ce qu’on lui serviroit à son dîner ; & s’interrompant tout-à-coup, il me semble, dit-il, que je deviens bien gourmand. Voilà de l’ouvrage pour le P. Desmaretz, la première fois que nous nous verrons 470 .

Si donc « la perfection chrétienne embrasse tout, & ne néglige rien », on comprendra que le duc de Bourgogne soit particulièrement attaché à la défense de la religion, ce que Pompignan illustre au moyen des plusieurs anecdotes.

Les dernières phrases de l’Éloge le disent avec éloquence, le jeune duc de Bourgogne « a rempli sa carrière en homme ; sans être parvenu au trône, il s’est montré digne de régner ; sans avoir fait de grandes choses, il a été un grand Prince. Il a souffert en héros, & il est mort comme un Saint ». C’est dire, donc, qu’à travers l’évocation de la vie du prince, et en particulier de ses « qualités royales & chrétiennes471 », c’est le portrait du futur souverain idéal que dresse Pompignan.

Or, dans les années 1760, un tel portrait ne peut que susciter une lecture polémique, dans la mesure où le duc de Bourgogne apparaît comme l’exact contrepoint des « nouveaux philosophes », du moins tels que les dépeint Pompignan. Ce qu’il suggère du reste, dans l’Épître au Dauphin, en recourant à un schéma providentialiste : le Ciel « a suscité cet enfant pour que ses sentimens, son innocence, & sa mort, fussent la condamnation des principes, de la morale & de la vie des Sages de ce temps472 ».

Dans ses Odes et poésies sacrées, Pompignan décrit en effet en ces termes le système des « nouveaux philosophes » :

Nul frein, nulle pudeur ne retient cette audace.
L’impie encouragé se nomme, écrit, menace.
France, tu n’es donc plus le séjour de la foi ?
Terre de saint Louis, quels changemens extrêmes !
     Faut-il que tu blasphêmes
     Le Dieu de ce grand Roi ?
Quels dogmes insolens en tous lieux retentissent !
Les femmes, les vieillards, les enfans applaudissent,
Et boivent à longs traits ces poisons séducteurs.
Mais quelles sont enfin les utiles maximes
     Et les leçons sublimes
     De ces rares Docteurs ?
Tout n’est que préjugé d’enfance ou de jeunesse ;
Les remords sont les cris de l’humaine foiblesse ;
Je dois sur mes besoins régler mes actions :
L’homme, esclave brutal de l’instinct qui l’enflamme,
     Sans Dieu, sans loi, sans ame,
     N’a que des passions.
Par de fausses lueurs imprudemment guidée,
Ma trop foible raison n’a qu’une vaine idée
Des plus saintes vertus, des forfaits les plus noirs.
Je suis fils, père, époux, sans chaîne qui me lie,
     Citoyen sans patrie,
     Et sujet sans devoir473.

Or chacun de ces « dogmes insolens », de ces « poisons séducteurs » des nouveaux philosophes trouve un antidote dans la vie du duc de Bourgogne. À l’évocation de l’homme « esclave brutal de l’instinct », soumis à ses « passions », on opposera ainsi la « maîtrise des passions » qui fait du duc de Bourgogne un « grand Prince ». Passions qui ont pour corollaire la dissolution des liens familiaux (« Je suis fils, père, époux, sans chaîne qui me lie »), ce dont le duc de Bourgogne est préservé, comme en témoignent « ses sentimens pour les personnes à qui la naissance le soûmettoit, & pour celles qui lui étoient liées par le sang ». D’ailleurs sa situation familiale particulière est telle qu’à ses sentiments naturels pour ses aïeux s’ajoute le respect qu’il manifeste pour l’autorité qu’ils incarnent : « Il aimoit son aïeul comme père, & le respectoit comme Roi ». Et, plus généralement, « c’étoit un vrai patriote, un vrai citoyen474 ». Qualité dont ne peut pas se targuer le nouveau philosophe, « Citoyen sans patrie, / Et sujet sans devoir », dont Pompignan, à la suite de nombreux anti-philosophes, dénonce l’absence de patriotisme. Mais c’est surtout par rapport à la religion que s’exacerbe l’opposition entre le système des philosophes et l’exemple que constitue le duc de Bourgogne. Dans son Ode sixième, Pompignan s’en prend à l’« incrédulité » des philosophes, et propose une peinture des philosophes face à la mort, qu’il oppose à la mort décente des croyants. À l’approche de l’instant fatal, l’« exemple » de l’attitude des philosophes illustre-t-elle les « dogmes [...] inventés » et professés dans leur « école » ? Pompignan s’adresse à ces « sophistes pernicieux » :

Les croyez-vous ? Parlez sans feinte ;
Votre esprit est-il convaincu ?
Vos Lucrèces, exempts de crainte,
Meurent-ils comme ils ont vécu ?
Approchons de ces lits funèbres,
Où des incrédules célèbres
Vont enfin terminer leur sort.
Héros de la philosophie,
Voyons leurs adieux à la vie,
Et leur dernier pas vers la mort.
Où suis-je ! quels transports horribles !
Quels cris ! quels discours insensés !
Cherchons des objets moins terribles,
Celui-là nous en dit assez.
Ici, d’un mourant plus tranquile
Je vois sous un oeil immobile,
Les remords cuisans & la peur ;
Mais il expire avec décence,
Et de la secte qui l’encense,
Il accroît l’orgueil & l’erreur.
D’une indifférence affectée
Un autre étale les apprêts.
Que cette constance empruntée
Cache d’efforts & de regrets !
Aveugle & foible créature,
Qui croit par sa vaine imposture,
De la mort tromper le regard,
Et qui se trompant la première,
Arrive à son heure dernière,
Ouvre alors les yeux, mais trop tard.
O sainte & juste Providence,
Dans tous ces différens tableaux,
Tu nous dépeins de ta puissance
Les prodiges toujours nouveaux.
L’incrédule qui la blasphème,
Le Chrétien résigné qui l’aime,
Lui sont également soumis ;
Et de son pouvoir invincible,
Jamais l’effet n’est si visible
Qu’à la mort de tes ennemis.
Leur mort, leur vie & leurs ouvrages,
Tout contr’eux dépose pour toi.
Leurs sophismes sont des suffrages
Qui confirment encor ta loi.
La nature, ton interprète,
En cent langages leur répète,
Qu’un jour tes droits seront vengés ;
Et qu’il est un trône suprême,
Où par la sagesse elle-même
Les philosophes sont jugés475.

De telles turpitudes n’en paraissent que plus saisissantes, lorsqu’on les compare à la mort du duc de Bourgogne, qui « renonçoit à la vie sans regret, parce qu’un Prince ne craint point la mort, & qu’un Chrétien la désire ». Ce contrepoint est d’ailleurs repris dans l’Éloge historique, lorsque Pompignan décrit le duc de Bourgogne en situation de recevoir « tous les secours & toutes les graces que l’Eglise offre à ses enfans pour les purifier & les sanctifier dans les derniers momens de leur vie » :

‘Quoique dans le siècle où nous sommes, dans ce temps de lumière & de raison, on ne veuille regarder la mort que comme le retour au néant, jamais on ne montra tant d’horreur pour elle, jamais on ne prit tant de soin de la cacher aux yeux des mourans. Ne pouvant l’éloigner, on déguise avec art ses approches ; on les couvre de fleurs, même sous les pas des vieillards. Ici l’on présente sans ménagement l’appareil lugubre de la mort à un Prince de neuf ans, qui ne touche point encore à son dernier jour, & pour qui la nature pourroit opérer une de ces révolutions heureuses que la jeunesse éprouve souvent en pareil cas. Mais c’est un Prélat imitateur des premiers Évêques, qui ne craint point de hâter ces préparatifs terribles : c’est pour un Prince, digne petit-fils de S.t Louis, que ces préparatifs se font476.’

Passage que n’a pas manqué de relever Voltaire qui, sur son exemplaire, a souligné la première phrase de cet extrait.

Car la riposte de Voltaire ne se fait pas attendre. Après la succession des monosyllabes qui avaient brocardé la harangue de Pompignan devant l’Académie française, Voltaire fait à nouveau passer Pompignan « par les particules », et livre successivement les Car et les Ah ! Ah ! On peut mettre en regard, outre l’extrait cité, quelques passages de l’Épître au Dauphin également soulignés sur l’exemplaire de Voltaire, et le début des Car :

Épître au Dauphin 477 Les Car, à M. Lefranc de Pompignan 478

[...] le Ciel avoit ses vûes, lorsqu’il a montré ce prodige aux François. En nous laissant voir jusqu’où peut s’égarer la raison de l’homme, quand elle a pour guide la fausse & aveugle philosophie, il a voulu nous apprendre jusqu’où pouvoit s’élever l’ame d’un enfant, quand elle étoit soûtenue par la foi. [...]
Tous ne ressembleront pas au Duc de Bourgogne, il seroit inutile de s’en flatter ; mais tous seront élevés de même : c’est ce qu’il faut que l’on sache dans ce royaume & dans l’Univers entier. Il faut qu’on sache que ce plan d’éducation est invariable ; que les maximes des Montausiers & des Bossuets, des Beauvilliers & des Fénelons, seront à perpétuité celles de leurs successeurs ; qu’on n’en enseignera point d’autres aux héritiers de la Couronne ; qu’ils ne seront jamais confiés à des mains suspectes ; que des coeurs corrompus, que des esprits gâtés par des opinions dangereuses ne seront point admis aux fonctions de cette institution sacrée ; qu’on instruira toûjours ces respectables Élèves à gouverner leurs sujets en pères, à les soulager dans leurs besoins, à maintenir l’autorité royale dans la plénitude de ses droits, à conserver la foi de S.t Louis, à récompenser le mérite, à punir le crime ; & qu’avec des principes si purs, s’ils ne deviennent pas tous de grands hommes, ils seront tous du moins des Monarques justes, humains, compatissans, chers à leur peuple, ennemis des impies, & protecteurs de la Religion.

VOUS ne cessez point de calomnier la nation : car jusque dans l’Éloge de feu Monseigneur le duc de Bourgogne, lorsqu’il ne s’agit que d’essuyer nos larmes, vous ne parlez à l’héritier du trône, au père affligé, au prince sensible et juste, que de la fausse et aveugle philosophie qui règne en France, de la raison égarée, des coeurs corrompus, des mains suspectes, d’esprits gâtés par des opinions dangereuses : vous dites que dans ce siècle on ne regarde la mort que comme le retour au néant, etc.
Vous avez tort : car il est cruel de dire à la maison royale que la France est pleine d’esprits qui ont peu de respect pour la religion catholique, et d’insinuer qu’ils en auront peu pour le trône ; il est barbare de peindre comme dangereux des gens de lettres qui sont presque tous sans appui ; il est affreux de faire le métier de délateur quand on s’érige en consolateur, et de vouloir irriter des coeurs dont vous prétendez adoucir les regrets par vos phrases.
On voit assez que vous cherchez à écarter les gens de lettres de l’éducation des Enfants de France : car vous aspirez à en être chargé vous-même, vous et monsieur votre frère ; car, pour paraître à la cour en maître, vous priâtes M. Dupré de Saint-Maur, qui vous recevait à l’Académie, de vous comparer à Moïse, dans son beau discours, et monsieur votre frère à Aaron : ce qu’il fit, et ce qu’il ne fera plus.

On le voit, la riposte de Voltaire pointe les intentions cachées de l’Éloge historique : « On voit assez que vous cherchez à écarter les gens de lettres de l’éducation des Enfants de France : car vous aspirez à en être chargé vous-même, vous et monsieur votre frère ». Idée qui est reprise à la fin des Ah ! Ah ! :

‘Il semble, par votre Épître dédicatoire, que le roi et Monseigneur le dauphin vous aient dit : « Monsieur Lefranc de Pompignan, ayez la bonté d’apprendre à l’univers que nous ne confierons jamais nos enfants à des mains suspectes, à des coeurs corrompus, à des esprits gâtés. »
Mais, Moïse Lefranc, qui jamais a voulu faire élever ses enfants par des esprits gâtés, et des coeurs corrompus, qui ont des mains suspectes ? Vos mains ont sans doute un bon coeur ; mais ce n’est pas assez pour élever nos princes.
Ah ! ah ! Moïse Lefranc de Pompignan, vous vouliez donc faire trembler toute la littérature ? Il y avait un jour un fanfaron qui donnait des coups de pied dans le cul à un pauvre diable, et celui-ci les recevait par respect ; vint un brave qui donna des coups de pied au cul du fanfaron ; le pauvre diable se retourne, et dit à son batteur : « Ah ! ah ! monsieur, vous ne m’aviez pas dit que vous étiez un poltron » ; et il rossa le fanfaron à son tour, de quoi le prochain fut merveilleusement content. Ah ! Ah !479

La correspondance entre d’Alembert et Voltaire au moment de la parution de l’Éloge historique illustre d’ailleurs l’appréciation différente que ces deux philosophes peuvent porter sur le texte de Pompignan. Le 10 octobre 1761, d’Alembert ne semble sensible qu’au ridicule480 que présente l’Éloge de Pompignan (Best. D 10065) :

‘[...] s’il est vrai, comme vous le dites, qu’il est bon de rire un peu pour la santé, jamais saison n’a été si favorable pour se bien porter. Voici par exemple Paul Lefranc de Pompignan (je ne sais si c’est Paul l’apôtre ou Paul le simple) qui vient encore de fournir aux rieurs de quoi vivre, par son Éloge historique du duc de Bourgogne. [...] On prétend que Pompignan sollicite pour récompense de son bel ouvrage une place d’historiographe des enfants de France ; je voudrais qu’on la lui donnât, avec la permission de commencer dès le ventre de la mère, et la défense d’aller au-delà de sept ans.’

Dans sa réponse (Best. D 10080), Voltaire au contraire semble prendre la chose très au sérieux :

‘À quoi pensez-vous mon très cher philosophe ? de ne vouloir que rire de l’historiographe LEFRANC DE POMPIGNAN ? ne savez-vous pas qu’il compte être à la tête de l’éducation de M. le duc de Bourgogne avec son fou de frère ? que ce sont tous deux des persécuteurs ? que les gens de lettres n’auront jamais de plus cruels ennemis ? Il me paraît qu’il est d’une conséquence extrême de faire sentir à la famille royale elle-même, ce que c’est que ce malheureux. Il faut se mettre à genoux devant monsieur le dauphin, en fessant son historiographe.
Voici ce qu’une bonne âme m’envoie de Montauban481. Si vous étiez une bonne âme de Paris, cela vaudrait bien mieux. Mais maître Bertrand vous vous servez de la patte de Raton.
Il est sûr que ce détestable ennemi de la littérature a calomnié tous les gens de lettres quand il a eu l’honneur de parler à monseigneur le dauphin. Son Épître dédicatoire est pire que son discours à l’Académie. Ce sont là de ces coups qu’il faut parer. Il ne faut pas seulement le rendre ridicule, il faut qu’il soit odieux. Mettons-le hors d’état de nuire en faisant voir combien il veut nuire.’

On perçoit, dans cette dernière phrase, l’escalade de la polémique entre Voltaire et Pompignan. Si Voltaire ne se contente plus de « le rendre ridicule », s’il veut le rendre « odieux », c’est qu’il a perçu dans cet Éloge une manoeuvre politique de Pompignan et, derrière lui, du parti dévot. Et dans cette perspective, l’identité du destinataire explicite de l’Éloge n’est pas anodine : il est en effet adressé au Dauphin, qui se trouve être un des principaux protecteurs des anti-philosophes482. En outre, être placé « à la tête de l’éducation » des enfants de France, ce n’est plus n’être que l’« historiographe » quelque peu ridicule de ces mêmes enfants. Voltaire voit ainsi dans cette tutelle des anti-philosophes sur le futur souverain, si elle se concrétisait, une menace bien réelle de voir s’installer un régime beaucoup plus défavorable aux philosophes que celui de Louis XV, malgré tout assez tolérant483. Ce que confirme une lettre adressée au comte d’Argental, le 26 octobre 1761 (Best. D 10099) :

‘J’ignore l’auteur des Car, mais Lefranc de Pompignan mérite correction. Il serait un persécuteur s’il était en place. Il faut l’écarter à force de ridicules. Ah s’il s’agissait d’un autre que d’un fils de France, quel beau champ ! quel plaisir ! Marie Alacoque n’était pas un plus heureux sujet. Mais apparemment l’auteur des Car, est un homme sage qui a craint de souffleter Lefranc sur la joue respectable d’un prince dont la mémoire est aussi chère que la plume de son historien est impertinente.’

On perçoit dès lors la stratégie de Voltaire à l’égard du pouvoir royal484 : on peut, certes, « fesser son historiographe », à condition toutefois de « se mettre à genoux devant monsieur le dauphin », que Voltaire n’oublie pas de désigner, au début des Car, comme le « père affligé », le « prince sensible et juste ». Stratégie qui répond d’ailleurs à celle de Pompignan lui-même dans son Éloge, qui n’épargne aucune flatterie au Dauphin. Il termine ainsi son Épître dédicatoire : « Heureux ! si je pouvois dans cet hommage immortaliser, sous vos auspices, mon attachement & mon amour pour votre personne ». En outre, dans l’Éloge proprement dit, la célébration des qualités de l’enfant lui fournit aussi l’occasion de louer son père. Ainsi de l’avidité de connaissances du duc de Bourgogne :

‘Il eût voulu tout apprendre, & ne rien ignorer. Que je serois heureux, s’écrioit-il une fois, si je pouvois savoir quelque chose que mon papa ne sût pas ! Il avoit, avec raison, la plus grande opinion des connoissances en tout genre de Monseigneur le Dauphin.’

Ainsi de l’attitude des parents face à la mort de leur fils :

‘Ce qu’ils paroissent dans leur famille, ils le sont pour leurs sujets. Un bon père est un bon Roi ; & tout Souverain qui rend hommage aux droits sacrés de la nature, remplit mieux qu’un autre les devoirs de l’humanité485.’

Nous sommes bien loin de la remarque de Fréron lorsqu’il affirme que, dans cet Éloge, Pompignan est « toujours Historien, jamais flatteur486 » !

Un texte de pure circonstance, en apparence fort anodin, à bien des égards ridicule, selon Grimm, par les platitudes qu’il aligne pompeusement, a donc pu déclencher de telles polémiques. C’est que son auteur n’en est pas à son coup d’essai et que, à la suite de sa tonitruante harangue académique, toute nouvelle production de Pompignan passe difficilement inaperçue. C’est surtout que cet Éloge historique présente une dimension polémique évidente, qui ne cherche du reste guère à être dissimulée : explicitement adressé à monseigneur le Dauphin, il fait figure d’un réquisitoire en règle contre les philosophes modernes, comme l’a bien senti Voltaire. En fait, si la vie du duc de Bourgogne doit être édifiante, elle l’est sans doute moins parce qu’elle peut être regardée, comme l’écrit Fréron, comme « un excellent Traité d’institution pour les Princes », que parce qu’elle est présentée comme l’exacte antithèse des « dogmes insolens » des « prétendus philosophes ». Dans cette perspective, la nature même de l’Éloge historique de Pompignan, mais également celle des pamphlets voltairiens qui lui répondent, nous paraissent caractéristiques du développement du combat idéologique entre philosophes et anti-philosophes, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ce combat se déploie en effet dans une série de textes dont la teneur polémique peut être explicite (c’est notamment le cas des pamphlets), mais aussi implicite. C’est ainsi qu’un texte qui se rattache à un genre constitué qui exclut a priori la polémique (car, comme le signale l’auteur de l’article « Éloge » de l’Encyclopédie, « un éloge » n’est pas « une satyre » !) peut néanmoins se trouver investi d’une visée polémique qui en détourne la destination affichée.

Quant à Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, il sort définitivement anéanti de cette nouvelle campagne de « particules ». Comme l’écrit Gustave Desnoiresterres,

‘Abreuvé d’amertume, assez intelligent pour sentir, malgré son monstrueux amour-propre, qu’on ne revient pas d’un pareil naufrage, Le Franc se résigna à s’ensevelir dans son château où il mourut, bien des années après, en 1784, sans avoir jamais osé reparaître à l’Académie.’

Voltaire a la rancune tenace, mais il est aussi soucieux des intérêts de la philosophie, dont il devient désormais le « patriarche officiel487 ». Reste que la campagne contre Pompignan s’avère un succès pour les philosophes. Succès qui semble même marquer le début d’un retournement de situation en leur faveur. Certes les anti-philosophes ne désarment pas mais, comme l’explique Theodore E. D. Braun, sur un mode quelque peu emphatique, la victoire contre Pompignan a un retentissement décisif : « Du point de vue de l’Église, ce fut une perte capitale que la défaite de Le Franc sous le glaive du philosophe de Ferney, dont le triomphe fut en même temps la trompette annonciatrice d’un nouvel ordre de choses et le glas funèbre de l’Église telle qu’elle était conçue sous l’ancien régime488 ».

L’analyse de la querelle qui oppose Pompignan aux philosophes nous a permis de mettre en évidence un certain modèle de développement qui nous paraît caractéristique. L’antagonisme qui oppose deux hommes de lettres ne tarde pas à s’élargir en affrontement réglé entre deux clans, chacun des “ généraux ” recevant l’appui d’“ officiers ” dévoués à leur chef et à la cause qu’il soutient. C’est ainsi que s’organise, au gré des échanges de pamphlets, une véritable “ campagne ” de guerre, ponctuée par une succession de batailles. Car à l’issue de chaque bataille, la querelle se trouve relancée de diverses manières. Parfois les pamphlétaires recherchent dans le passé de leurs adversaires des éléments compromettants de nature à les déstabiliser en les mettant en contradiction avec eux-mêmes. Nous avons ainsi vu que Voltaire puis Morellet exhumaient, en 1760, des affaires vieilles de quelques années : la traduction de la Prière universelle de Pope (1740) et la question des remontrances adressées au roi (1756). Mais les pamphlétaires sont également prêts à profiter du moindre faux pas de l’adversaire, comme on le voit lorsque Pompignan entreprend de se justifier dans son Mémoire adressé au roi, où il accumule les maladresses et les déclarations vaniteuses. Enfin, tous les faits et gestes de l’adversaire, s’ils sont malignement ou même plaisamment présentés, peuvent être exploités afin de le couvrir définitivement de ridicule. La querelle ne peut dès lors s’arrêter que faute de combattants, lorsque l’un des adversaires, anéanti par les traits dont on l’a assailli, se trouve durablement “ neutralisé ”. C’est en effet en ces termes que Voltaire dresse le bilan de la campagne contre Pompignan, dans une lettre adressée à Damilaville le 23 mars 1763 (Best. D 11121) :

‘Pour notre ami Pompignan les preuves de son ridicule sont complètes. Je vous répète que cet homme serait bien dangereux s’il avait autant de pouvoir que d’impertinence. Je sais de très bonne part qu’il ne vint à Paris que dans le dessein de se faire valoir auprès de la cour en persécutant les philosophes. Les quarts de plaisanterie qui sont dans la relation du voyage de Fontainebleau, et les huitièmes de ridicule dont l’hymne est parsemé489, seront pour lui un affublement complet. Cet homme voudrait nuire, et il ne fera que nous réjouir.’

Outre l’efficacité du ridicule jeté à propos sur l’adversaire, Voltaire met aussi en évidence les enjeux de la querelle, qui dépassent, même s’ils ne les excluent pas non plus, les strictes questions personnelles. D’une part, dans son discours de réception à l’Académie, Pompignan met en avant la défense des intérêts de la religion face aux écrits pernicieux des incrédules modernes et, contrairement à ce que ses détracteurs s’efforcent d’insinuer malignement, il n’y a pas lieu de douter de la sincérité de sa démarche. Mais le développement de cette querelle nous renseigne également sur la stratégie que met en place Pompignan pour s’assurer les moyens de sa défense de la religion. Comme l’indique Voltaire, Pompignan a à coeur de « se faire valoir auprès de la cour », et particulièrement auprès du Dauphin, dont il recherche l’appui pour devenir précepteur des Enfants de France. Et lorsqu’on connaît l’influence de l’éducation, soulignée par ailleurs par tant d’ouvrages dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle, on ne peut que percevoir l’objectif à long terme que vise Pompignan : en s’assurant une influence sur le futur souverain, il s’agit de combattre le progrès des idées philosophiques, en espérant voir se mettre en place un régime beaucoup plus défavorable aux philosophes que celui de Louis XV. C’est dire que ces querelles “ littéraires ” présentent aussi des enjeux “ politiques ”.

Enfin, l’analyse du discours de réception de Pompignan à l’Académie qui est à l’origine de cette querelle, tout comme celle que nous avons pu conduire de l’Éloge historique de Monseigneur le duc de Bourgogne nous ont permis de mettre en évidence les capacités du discours polémique à investir des textes de natures diverses, qui ne se limitent pas aux seuls pamphlets. Ce qui pose d’une manière aiguë la question de la spécificité du recours au pamphlet dans le cadre de nos querelles. Si en effet le discours polémique n’est pas l’apanage du pamphlet, sa fonction propre ne saurait se réduire à véhiculer un ensemble de représentations polémiques. À en croire Voltaire, la campagne des « pompignades » a au moins eu le mérite d’« affubler » de « ridicules » Moïse de Montauban, et d’opérer cette révolution décisive à l’issue de laquelle celui qui prétendait « nuire » à ses adversaires n’a fait que « réjouir » tout le monde à ses dépens. Sans nier la capacité du pamphlet à véhiculer des représentations polémiques, il se pourrait que la spécificité de cette arme soit à rechercher dans une certaine “ manière ”, indissociable d’un certain “ ton ”, qu’il s’agirait de définir.

Notes
461.

 T. E. D. Braun, Un ennemi de Voltaire..., pp. 231-232.

462.

 J.-J. Lefranc de Pompignan, Oeuvres complètes, Genève, Slatkine reprints, 1971, 4 tomes en 2 volumes. Nos références renvoient donc à l’édition originale (Paris, Imprimerie royale, 1761).

463.

 Citons, entre autres, La France éplorée, poème par M. l’abbé Desjardins, docteur en Sorbonne ; l’Ode sur la mort de Monseigneur le duc de Bourgogne, par M. Bessin, professeur à Versailles au collège d’Orléans ; les Vers latins sur la mort de Monseigneur le duc de Bourgogne, par quelques écoliers de Rhétorique du collège des Jésuites ; enfin l’Éloge funèbre de Monseigneur le duc de Bourgogne, composé en latin par le P. Villermet, de la Compagnie de Jésus.

464.

 Encyclopédie, art. « Éloge ».

465.

 Éloge historique de Monseigneur le duc de Bourgogne, p. XI.

466.

 Ibid., pp. 42, 71, 32, 65, 47 et 7.

467.

 Ibid., pp. VII et IX-X.

468.

 Ibid., pp. 6, 44, 73, 38 et 63-64.

469.

 Ibid., pp. 45-46 et 52-53.

470.

 Ibid., pp. 46 et 50-52.

471.

 Ibid., pp. 88 et 53.

472.

 Ibid., pp. VI-VII (nous soulignons).

473.

 Ode cinquième, « Etablissement, utilité & nécessité du culte extérieur ; effort de l’impiété contre ce même culte ; bonheur des campagnes qui le conservent encore avec la foi », dans Oeuvres, vol. 1, pp. 171-172.

474.

 Éloge historique, pp. 26, 61-62 et 44.

475.

 Ode sixième, « La Providence et la philosophie », dans Oeuvres, vol. 1, pp. 184-186.

476.

 Éloge historique, pp. 68 et 65-66.

477.

 Ibid., pp. VI-IX. Les passages soulignés sont ceux que Voltaire avait soulignés sur son exemplaire, d’après le Corpus de notes marginales de Voltaire, t. V.

478.

 Les Car, p. 375.

479.

 Ibid., p. 377.

480.

 On trouve une semblable réaction sous la plume de Grimm, le 1er novembre 1761. Après avoir déclaré qu’« il serait difficile d’entasser en si peu de pages tant de lieux communs et de platitudes avec plus d’emphase et de prétention », il ironise en effet sur cet Éloge « fait pour avoir un grand succès en Styrie, en Carinthie, en Carniole, et même dans l’Autriche intérieure : un prince qui, pour tout au monde, n’aurait pas fait le signe de la croix avec la main gauche ne peut manquer d’y paraître un héros et un prodige » (Cor. lit., t. IV, p. 478). Grimm fait allusion à une anecdote, il est vrai bien maladroitement choisie, censée illustrer l’exactitude du duc de Bourgogne « dans les moindres choses qui avoient rapport à la conscience & à la religion » : « Dans le cours de sa maladie, il se trouva un soir si épuisé & si affoibli, qu’il pouvoit à peine se remuer, & qu’en finissant sa prière, il fit le signe de la Croix de la main gauche, la seule dont il put se servir dans cet instant. Il regarda le Duc de la Vauguyon, & dit : Voilà de la paresse, cela n’est pas bien. Et sur le champ il débarrassa, quoiqu’avec douleur, sa main droite pour refaire le signe de la Croix. » (Éloge historique, p. 51.)

481.

 Il s’agit des Car, dont nous avons cité un extrait plus haut. Voltaire compte sur d’Alembert pour diffuser son pamphlet à Paris.

482.

 Sur cette question, voir notre cinquième partie, chap. 2, § 1.1.

483.

 Gustave Desnoiresterres souligne bien l’enjeu de cette querelle : « Sans cette exécution de Voltaire et des siens, sans ce ridicule jeté sur Pompignan, il est plus qu’à penser que l’auteur de Didon entrait comme un coin dans cette société de la reine et du Dauphin, et voyait se réaliser ses rêves d’ambition. » (Voltaire et la société au XVIII e siècle, t. V, p. 443.)

484.

 Nous reviendrons sur cette question dans notre cinquième partie, chap. 3, § 3.

485.

 Éloge historique, pp. XIV-XV, 18 et 87.

486.

 An. lit., 1761, t. VI, p. 80.

487.

 G. Desnoiresterres, Voltaire et la société au XVIII e siècle, t. V, pp. 447-448.

488.

 T. E. D. Braun, Un ennemi de Voltaire..., p. 233.

489.

 On aura reconnu les allusions à la Relation du voyage de M. le marquis Lefranc de Pompignan depuis Pompignan jusqu’à Fontainebleau et à l’Hymne chanté au village de Pompignan, sur l’air de Béchamel.