Chapitre 1
le Site Éditorial

Les sottises qu’on fait, qu’on dit & qu’on écrit étant plus multipliées que la race de Jacob, & que les sables de la mer, il est difficile de faire un choix. Toutes ces innombrables vessies accumulées les unes sur les autres dans le goufre de l’oubli, crévent au moment qu’elles sont formées, & il en résulte un immense nuage dans lequel on ne discerne rien. [...]
Dans ce vaste tourbillon de nos impertinences, nous avons choisi discrettement quelques-unes des plus légères pour les faire surnager un jour ou deux, elles amuseront les oisifs & les oisives ; après quoi elles iront trouver le Journal de Trévoux, l’Année Littéraire, & d’autres efforts de l’esprit humain consacrés à l’éternité ; j’entends l’éternité du néant.
Recueil des facéties parisiennes,
Préface, pp. III-IV.

Avant d’examiner les modalités de sa diffusion, il s’agit de faire le point sur la présentation matérielle concrète de l’“ objet ” pamphlet. Ces considérations nous invitent ainsi à nous pencher sur la question du site éditorial susceptible d’accueillir ce type de textes. On s’aperçoit alors que si la plupart des pamphlets connaissent d’abord une édition en “ feuilles ”, éventuellement « brochées490 », le destin de certains textes les amène à trouver place dans différents types de recueils, factices ou imprimés. Nous le verrons notamment dans le cas de Voltaire, soit que ses textes présentent une “ qualité ” supérieure à celle des autres pamphlets, soit que la notoriété de leur auteur explique que ses éditeurs n’aient rien voulu laisser “ perdre ” de cet écrivain, les pamphlets figurent enfin parfois dans les éditions successives des volumes d’oeuvres complètes. Ces éditions et rééditions nous amèneront alors à nous interroger sur l’émergence d’un péritexte491 qui peu à peu entoure le texte des pamphlets.

Notes
490.

 De là le terme de « brochure » par lequel peut être désigné un pamphlet. Voir notre première partie, à l’article “ Brochure ”.

491.

 Nous empruntons cette expression à Gérard Genette, qui la définit dans Seuils (Paris, Le Seuil, 1987), pp. 7-11. Le “ péritexte ” est inclus dans la catégorie plus vaste du “ paratexte ”. Car le “ paratexte ” comprend aussi ce que Gérard Genette « baptise, faute de mieux, épitexte », et qui consiste dans « tous les messages qui se situent, au moins à l’origine, à l’extérieur du livre : généralement sur un support médiatique (interviews, entretiens), ou sous le couvert d’une communication privée (correspondances, journaux intimes, et autres) » (pp. 10-11). Cet “ épitexte ” sera pris en compte notamment dans notre chapitre 3, lorsqu’il sera question de la publicité orchestrée autour du pamphlet, et du retentissement auquel le pamphlet peut donner lieu.