iv. Variantes Et Péritexte

Au terme de cette analyse de l’évolution du site éditorial du pamphlet, il apparaît que la tendance qui consiste à publier les textes pamphlétaires avec des pièces annexes semble témoigner de la nécessité perçue par les éditeurs d’entourer les pamphlets par des documents qui fournissent au lecteur le contexte de leur rédaction. Cette nécessité apparaît d’autant plus forte que de tels textes, en prise sur l’actualité la plus récente, ne manquent pas de perdre en lisibilité avec le temps. Il s’agit donc, pour s’assurer de la pleine compréhension, notamment des allusions contenues dans les pamphlets, de fournir au lecteur les informations dont il doit disposer pour les décrypter. Cette nécessité rend ainsi compte du mode de composition des recueils imprimés, comme ils expliquent en outre la manière dont les textes pamphlétaires sont présentés, dans ces mêmes recueils comme dans les volumes des oeuvres complètes. Lorsqu’ils ne sont pas présents dès l’édition originale des pamphlets, nous voyons ainsi apparaître des avertissements et des notes, dont la fonction première est sans doute de restituer le contexte dans lequel ces textes ont été écrits. La mise en place de ce début d’appareil critique prend certes, d’une certaine manière, le relais de ces textes “ documentaires ” dont nous avons signalé l’existence dans les recueils factices et imprimés. Mais, et c’est sans doute là un des traits caractéristiques de l’écriture pamphlétaire566, au-delà de cette stricte fonction informative, ces éléments du péritexte peuvent aussi se trouver détournés de leur vocation première, et investis d’autres fonctions, notamment polémiques, qui ajoutent encore aux attaques lancées dans les pamphlets proprement dits.

Le principe des éditions successives des pamphlets nous invite enfin à nous interroger sur la “ stabilité ” de ces textes : sont-ils en effet imprimés une fois pour toutes et par la suite réimprimés tels quels, ou les différents rééditions font-elles apparaître des variantes signalant que les textes ont pu être corrigés, précisés, améliorés ? La question n’est pas indifférente, dans la mesure où elle engage une réflexion sur la perception que les auteurs pouvaient avoir de leurs pamphlets : textes de pure circonstance, qui ne valent que par l’impact qu’ils sont censés susciter auprès du public, ou textes qui, en même temps que leur réédition tend à les sauver de l’oubli, font l’objet de “ retouches ” qui signaleraient, au-delà de leur vocation première et utilitaire, la manifestation de préoccupations d’ordre esthétique, selon une démarche comparable à celle que l’on peut par ailleurs observer lorsqu’il s’agit de textes que l’on considère comme des “ oeuvres ” littéraires ? Ici encore, et pour les raisons que nous avons signalées plus haut567, l’enquête ne peut guère porter que sur l’échantillon limité des textes voltairiens, dont le destin éditorial est suffisamment riche pour que nos conclusions acquièrent quelque validité. Toutefois, ce caractère limité doit en contrepartie nous inciter à la prudence, et nous préserver de généraliser ces conclusions à l’ensemble de la production pamphlétaire des années 1750-1770, ce qui paraît valable pour Voltaire ne l’étant pas nécessairement pour d’autres auteurs. Par ailleurs, cela ne signifie pas non plus qu’il faille en conclure, sur le seul fondement de cette analyse, à la “ plus grande qualité littéraire ” des pamphlets voltairiens.

Notes
566.

 Sur cette question, voir le § 4.2.

567.

 Voir le début de notre § 3.