b. Avertissements Et Préfaces

Qu’il s’agisse de l’édition originale des pamphlets ou, plus fréquemment encore, de leur réimpression au sein de recueils ou de volumes de mélanges, apparaissent avant le texte proprement dit des avertissements émanant explicitement des éditeurs, mais peut-être aussi des auteurs eux-mêmes576. Comme nous avons déjà pu le signaler, ces éléments du “ péritexte ” remplissent tout d’abord une fonction d’information : il s’agit de restituer, pour un lecteur peu ou mal averti, le contexte de la querelle par rapport auquel prennent sens les allusions que contiennent les pamphlets.

Ainsi de l’avertissement577 placé, dans le Recueil des facéties parisiennes, avant la série des pamphlets contre Lefranc de Pompignan :

‘LE Sieur L. F. Auteur de la priére du Déiste que l’on trouvera ici, & du voyage de Provence, ayant été enfin admis à l’Académie Française, fit attendre six mois sa harangue de remerciement, & la prononça enfin le 10. Mars 1760. Mais au lieu de remercier l’Académie, il fit un long discours contre les belles-lettres, & contre l’Académie, dans lequel il dit, que l’abus des talens, le mépris de la Religion, la haine de l’autorité sont le caractère dominant des productions de ses confrères, que tout porte l’empreinte d’une littérature dépravée, d’une morale corrompüe & d’une philosophie altiére qui sappe également le Thrône & l’Autel ; que les gens de lettres déclament tout haut contre les richesses (parce qu’on ne déclame point tout bas,) & qu’ils portent envie secrettement aux riches, &c.
Cet étrange discours si déplacé, si peu mesuré, si injuste, valut au Sieur L. F. les piéces qu’on va lire.
Le Sieur L. F. au lieu de se retracter honnêtement comme il le devait, composa un mémoire justificatif, qu’il dit avoir présenté au Roi, & il s’exprime ainsi dans ce Mémoire : Il faut que l’Univers sache que le Roi s’est occupé de mon Mémoire &c. Il dit ensuite, Un homme de ma naissance. Ayant poussé la modestie à cet excès, il voulut encore avoir celle de faire mettre au titre de son Ouvrage : Mémoire de M. L. F. imprimé par ordre du Roi ; mais comme sa Majesté ne fait point imprimer les ouvrages qu’elle ne peut lire, ce titre fut supprimé : cette démarche lui attira l’Epitre d’un frére de la Charité, qu’on trouvera aussi dans ce Recueil578.’

L’avertissement fournit d’abord au lecteur les informations essentielles dont il doit disposer, en exposant les différentes phases de la querelle : les réactions suscitées par le discours du nouvel académicien, qui donne lieu à une première vague de pamphlets auxquels Pompignan répond d’une manière bien maladroite par son Mémoire, ce qui ne fait que susciter une nouvelle vague de sarcasmes. Mais l’avertissement, par les traits décochés contre Pompignan, s’intègre aussi dans la stratégie polémique qui se déploie dans les pamphlets isolés, et qui constitue également la raison d’être de leur réimpression sous forme de recueil.

Car de tels avertissements participent aussi d’une intention polémique, comme le suggère la dernière strophe des Non, dans laquelle Voltaire présente explicitement les « couplets » qui précèdent (et sans doute, au-delà, tous les « couplets » qu’il a pu composer en son honneur) comme « la préface » des ouvrages de Pompignan :

Non, si le ridicule passe,
Il ne passe que faiblement.
Ces couplets seront la préface
Des ouvrages de Pompignan579.

Si le terme « préface » peut ainsi être chargé d’une connotation polémique, l’avertissement que Chaumeix place au début des Philosophes aux abois se termine par une déclaration d’intention qui ne laisse aucun doute sur la teneur polémique du texte qui suit. Dans cette réponse aux Préjugés légitimes contre A.-J. de Chaumeix, adressée à « Messieurs les encyclopédistes », le « dessein » de l’auteur n’est certes pas

‘de les détromper sur le mérite de leur Justification ; ils en sentent déjà tout le ridicule. Mais je croirois avoir atteint le but que je me suis proposé, si je venois à bout de convaincre tous mes Lecteurs, qu’un grand Géometre tombe souvent dans des extravagances ; qu’un Critique, qui défend la Religion contre les nouveaux Philosophes, ne doit attendre de leur part, pour toute réponse, que des injures ; & que la cabale de l’impiété ne peut se soutenir que par l’imposture580.’

Cette double fonction informative et polémique se retrouve enfin dans l’usage qui, au fil des éditions successives des pamphlets, tendent à se multiplier, et à s’étoffer.

Notes
576.

 Sur ces questions d’attribution et, plus généralement, sur le phénomène des préfaces, voir G. Genette, Seuils, pp. 150 et suiv.

577.

 Outre le Recueil que nous citons, ce texte se trouve reproduit, à quelques variantes près qui s’expliquent par la nature des pamphlets qui suivent, dans le Sixième Recueil de nouvelles pièces fugitives de Mr. de Voltaire (Genève et Paris, Duchesne, 1763) en tête de l’« Assemblée des monosyllabes », dans les Nouveaux Mélanges philosophiques, historiques, critiques (Genève, Cramer, 1765), ainsi que dans les éditions ultérieures des Oeuvres complètes de Voltaire. Signalons par ailleurs que la fin de cet avertissement, qui concerne plus particulièrement l’« Épître d’un frère de la Charité », est reproduite dans les éditions de La Vanité, d’abord sous la forme d’un avertissement, dans Le Joli Recueil (Genève, 1760) ou encore dans le Recueil de pièces intéressantes (s.l., 1760), puis sous la forme d’une note dans le Recueil de pièces curieuses et intéressantes (Amsterdam, 1760), dans la Collection complette des Oeuvres de M. de V..., tome V, seconde partie (Genève, Cramer, 1761), dans le Troisième Recueil de nouvelles pièces fugitives de Mr. de Voltaire (Genève et Paris, Duchesne, 1762), enfin dans le tome XVIII de l’édition Cramer in-4° des Oeuvres complètes. Dans les éditions ultérieures, les informations contenues dans le texte sont disséminées dans des notes éparses qui jalonnent le texte.

578.

 Recueil des facéties parisiennes, pp. 33-34.

579.

 Les Non, p. 374.

580.

 Chaumeix, Les Philosophes aux abois, p. 1.