Chapitre 2
les Circuits De Diffusion

Un écrit clandestin n’est pas d’un honnête homme ;
Quand j’attaque quelqu’un, je le dois & me nomme.
GRESSET

Il va de soi que tout pamphlet est, par nature, destiné à la publication, quelle qu’elle soit. On n’imaginerait pas en effet un auteur écrivant pour son seul plaisir un pamphlet contre un adversaire ou certains travers de la société de son temps. Cela dit, il existe plusieurs circuits permettant de rendre public un écrit, et les problèmes posés par la diffusion du pamphlet sont d’autant plus complexes qu’il s’agit d’un type de textes polémiques qui s’en prend parfois à des personnes ou à des sujets auxquels il convient de toucher avec prudence. Même lorsqu’il ne prend pas pour cible une personnalité “ influente ”, un pamphlet ne saurait néanmoins être considéré comme un texte “ anodin ”, dont la publication serait une pure formalité. En tout cas, même lorsque sa publication n’inquiète guère le gouvernement602, un pamphlet demeure, par nature, un texte soumis à un régime de clandestinité plus ou moins strict, qui n’est pas sans répercussions sur les circuits, parfois tortueux, qui en caractérisent la diffusion.

Ce caractère de clandestinité contribue d’ailleurs à rendre malaisée l’analyse, tant il est vrai que les auteurs de pamphlets, tout comme les éditeurs qui les impriment et les libraires qui les diffusent, sont condamnés à travailler dans l’ombre, négligent de laisser des traces (ou s’efforcent la plupart du temps de les effacer !), ce qui ne facilite pas le travail de reconstitution que l’on pourrait être tenté d’effectuer. Ces difficultés expliquent sans doute que les historiens du livre, notamment, aient rarement abordé la question de la diffusion de ce type de textes603. Nous ne pourrons donc malheureusement pas nous appuyer sur des études de vaste envergure déjà effectuées, et serons réduit à avancer en la matière quelques hypothèses, fondées sur l’étude de cas particuliers. Il convient dès lors d’être prudent quant aux généralisations abusives que l’on pourrait être tenté de proposer, ces quelques exemples ne pouvant que jusqu’à un certain point être considérés comme “ exemplaires ”.

Avant donc d’en venir à l’examen de ces exemples, il n’est peut-être pas inutile de faire rapidement le point sur l’organisation de la Librairie à l’époque. Il s’agit en effet de prendre en considération le système au sein duquel s’effectue encore, au XVIIIe siècle, la diffusion des imprimés, système valable pour tous les écrits appelés à être publiés, et pour les pamphlets en particulier.

Notes
602.

 C’est du reste le cas de l’essentiel des pamphlets qui font l’objet de notre étude. Sur cette question de la spécificité des pamphlets “ littéraires ” par rapport aux pamphlets “ politiques ” ou “ religieux ”, voir notre deuxième partie, chap. 2, § 2 et, sur le désintérêt relatif du gouvernement au sujet des querelles littéraires, notre cinquième partie, chap. 2, § 1.

603.

 Comme nous avons déjà pu le signaler dans notre introduction, les études d’ensemble portent essentiellement sur les pamphlets politiques. On peut néanmoins admettre que les modalités de la diffusion des pamphlets “ littéraires ” ne diffèrent pas sensiblement de celles de ces pamphlets politiques, sauf peut-être lorsqu’on envisage la question du public que ces textes atteignent (sur cette question, voir notre chap. 3). Cela dit, même en élargissant la perspective aux pamphlets politiques, les travaux des historiens ne sont pas légion. On signalera le chapitre « Pamphlets et gazettes » de l’Histoire de l’édition française (t. I, pp. 405 et suiv.), qui ne porte cependant pas sur notre période : l’investigation de Roger Chartier commence en effet lors de la première explosion des pamphlets, autour des États généraux de 1614, et s’arrête au lendemain de la Fronde, époque vers laquelle le contenu des libelles se déplace vers les polémiques religieuses alimentées notamment par les jansénistes. S’agissant du XVIIIe siècle, on se reportera aux travaux de Robert Darnton, qui s’efforce de reconstituer le circuit de diffusion des textes clandestins, depuis l’éditeur jusqu’au lecteur, en passant par le colporteur (éventuellement l’assureur) et le libraire. Robert Darnton étudie les archives de la Société Typographique de Neuchâtel, qui diffuse des textes “ philosophiques ” à partir de 1769, c’est-à-dire à la fin de notre période, mais n’aborde guère le cas des pamphlets, qui ne sont qu’une variété parmi d’autres, et combien labile et difficilement saisissable, des textes clandestins. Du reste, « en principe la STN ne vend pas de pamphlets : les écrits éphémères sont l’affaire des presses clandestines opérant à l’intérieur du royaume [...]. Mais elle tient en stock quelques livrets sur les questions d’actualité, surtout quand leurs auteurs sont des personnages illustres » (Édition et sédition, p. 175).