i. La Publicité Faite Autour Du Pamphlet

À l’époque du « livre triomphant », selon l’expression de Roger Chartier, un écrit peut de plus en plus difficilement être connu par la seule “ aura ” de son prestige. Et même si la production littéraire n’atteint pas encore l’ampleur que l’on connaît de nos jours, on perçoit l’importance que peut revêtir toute forme de publicité qui mette en avant tel ou tel titre, lui permettant de surnager dans le flot des textes qui sont alors imprimés. Le phénomène est encore accentué dans le cas d’un écrit clandestin comme le pamphlet767, autour duquel s’organise souvent une véritable stratégie publicitaire, de nature à solliciter la curiosité d’un « public » toujours avide de nouveautés piquantes.

Par ailleurs, en tant qu’écrits polémiques, certains pamphlets font aussi l’objet de plaintes de la part de ceux qui en sont les victimes, plaintes qui sont parfois relayées par des démarches de la part des autorités de la Librairie, qui peuvent déboucher sur une interdiction. Or toute procédure de cette nature ne peut que susciter un certain « bruit » autour du pamphlet, et lui assurer, quoiqu’involontairement, une publicité certaine. Il importe dès lors de faire le départ entre les stratégies “ concertées ” visant à susciter et à entretenir une « rumeur » autour de la publication du pamphlet, et la publicité pour ainsi dire “ involontaire ” que lui confèrent les réponses, de natures diverses, auxquelles il peut donner lieu.

Notes
767.

 Son seul caractère de clandestinité confère d’ailleurs au pamphlet une certaine publicité. Favart écrit en effet au comte de Durazzo, le 22 mai 1760, à propos de la comédie des Philosophes : « On n’a point voulu permettre l’impression de la préface qui est, dit-on, encore plus injurieuse que la pièce. M. Palissot n’en est pas moins décidé à la faire paroître ; elle se vendra sous le manteau, et c’est le moyen de la faire rechercher davantage » (Mémoires... de C.-S. Favart, t. I, p. 47). C’est paradoxalement un des arguments que Malesherbes fait valoir dans son Mémoire sur la liberté de la presse pour autoriser jusques et y compris les pamphlets dirigés contre les particuliers, malgré l’« horreur » que lui inspire toute « satyre personnelle » : une telle banalisation ne ferait qu’atténuer l’impact de ce type de textes sur le public. Dans son argumentation, il allègue le système en vigueur en Angleterre : « On regarde comme un affront pour un homme qui mérite de la considération, de se voir désigné dans une brochure, parce que cela fait croire qu’il n’a pas eu le crédit de l’empêcher.

Mais si c’était le sort de tout le monde, ce ne serait plus un affront pour personne, comme ce n’en est pas un en Angleterre.

J’entends dire qu’il n’y a pas un seul Anglais fait pour attirer l’attention, qui n’ait été plusieurs fois attaqué dans les pamflets, et ces libelles sont si communs et si décriés, qu’on n’y fait plus d’attention ; c’est ce qui arriverait aussi en France » (pp. 279-280).