quatrième Partie
stratégies D’écriture

Selon le savoureux postulat d’Oscar Wilde, « la vérité » serait-elle « purement et simplement une question de style » ? C’est en tout cas l’adhésion à un tel principe qui semble caractériser la démarche mise en oeuvre par les pamphlétaires. C’est peu dire en effet que, malgré les affirmations insincères des intéressés, le souci de vérité n’entre que très modérément dans l’entreprise de dénigrement qui est celle du pamphlet. Et c’est tenter de cerner les caractéristiques du “ style ” pamphlétaire que de mettre en évidence les procédés employés pour parvenir à anéantir l’adversaire, au prix d’un rapport peu scrupuleux à la « vérité ».

Or, dès lors que notre investigation se porte sur des textes rédigés à l’occasion de querelles particulières, qui prennent place elles-mêmes dans un antagonisme idéologique plus général mettant aux prises philosophes et anti-philosophes, on peut s’interroger sur la manière dont les échanges de pamphlets orchestrent ces querelles. Comment, concrètement, de telles querelles se développent-elles ? Quel rapport un pamphlet entretient-il avec les textes auxquels il s’oppose, qu’il s’agisse de textes non explicitement polémiques, ou de pamphlets auxquels il “ répond ”, et quelles en sont les implications stylistiques ? Comment donc les pamphlets s’organisent-ils en séries, étant donné que de telles séries se constituent d’abord à partir de la récurrence thématique des attaques portées contre l’adversaire (ce qui donne sens à la notion de querelle, mais aussi, plus généralement, à l’entreprise qui est la nôtre d’examiner l’inscription des pamphlets dans le développement de l’antagonisme entre philosophes et anti-philosophes), mais sans doute aussi à partir de données formelles ? Quel bénéfice les pamphlétaires tirent-ils de l’effet cumulatif qui résulte de la constitution de telles séries ?

Car le “ style ” ne saurait se réduire à une succession de procédés, puisés dans quelque boîte à malices ou quelque inavouable petite boutique des horreurs. Il faut en effet s’intéresser à la manière dont les pamphlétaires élaborent ces petits textes, et se pencher sur la question des critères éventuels qui permettraient de définir les contours d’une “ forme ” pamphlétaire, voire d’un “ genre ” du pamphlet.

Si enfin cette « question » du « style » peut s’avérer à ce point décisive et prégnante qu’elle en vient à éclipser la « vérité » ou, mieux, à se substituer à cette vérité jusqu’à passer pour la vérité même, il faut s’interroger sur cette étonnante tournure d’esprit qu’elle mobilise chez le pamphlétaire, mais qu’elle implique aussi de la part du public auquel ces pamphlets sont destinés : quelles seraient ainsi les données essentielles d’un tel “ art d’agréer ”, qui se définirait d’abord par la prise en considération de conditions rendant possible la complicité voire l’adhésion du public ?

Nous nous efforcerons donc d’abord de mettre en évidence les ressources de cet « art de calomnier avec fruit » que les pamphlétaires s’exercent à maîtriser. Nous nous attacherons ensuite à définir les caractéristiques du développement des pamphlets, et notamment les modalités de la mise en fiction que l’on voit à l’oeuvre dans ces textes. Or ce recours à la fiction n’est pas sans poser de manière aiguë la question d’une possible définition de la “ poétique ” du pamphlet, dès lors qu’il se caractérise par sa capacité à subvertir des formes littéraires antécédentes. Nous terminerons alors notre analyse par des considérations relatives à l’esthétique du pamphlet au cours de notre période, que l’on peut être tenté de définir comme une “ esthétique du plaisant ”.