Chapitre 1
« L’art De Calomnier Avec Fruit »

On trouvera ici le secret de la composition de cette espèce d’Ouvrages : ce n’est pas tout-à-fait celui du grand-oeuvre, mais enfin il en approche. Il y a des ames pour qui l’art de nuire équivaut à celui d’être heureux.
Théorie du libelle,
Avertissement des éditeurs, p. 9.

Telle est l’ambition affichée par Linguet, qui met en scène son adversaire, l’abbé André Morellet alors qu’il se prépare à « détacher » contre lui « une brochure courte & sanglante ». Car la réalisation de ce « grand-oeuvre » résultera de la poursuite d’un programme que détaille, sur un mode polémique885, cette Théorie du libelle significativement sous-titrée L’Art de calomnier avec fruit. Il s’agit en effet de se lancer dans une offensive tous azimuts contre un ennemi dont il conviendra de discréditer non seulement les textes, mais aussi la personne même. Le « syndic Ribaud, Ribaudier, ou Riballier » le sait bien, qui devant le « troupeau » des docteurs en Sorbonne, expose le plan qu’il a échafaudé pour combattre les « propositions condamnables » qu’il a trouvées dans le Bélisaire de Marmontel : « il y a un moyen de punir l’Auteur sans vous compromettre : c’est de le calomnier, & je m’en charge. Si un Libelle ne suffit pas, j’en ferai deux ». Il faut commencer par « une annalyse très infidele du livre » : « J’en altérerai tous les passages ; je les transposerai afin d’en dénaturer le sens & les expressions, & d’en tirer les conséquences qui me paroitront les plus utiles à vos intérêts ». « Enfin l’imposture ne me coûtera rien, selon la méthode théologique, pour rendre l’Auteur odieux, si je le puis. » Car, « quand il s’agit de nuire & de se venger, un Théologien doit braver l’ignominie886 ».

C’est dire que la fin justifie les moyens, et qu’il importe peu, sinon de « braver l’ignominie », du moins de jouer de malhonnêteté, de mensonges et de mauvaise foi, pourvu que le pamphlet se soit dûment employé à discréditer le texte et son auteur.

Notes
885.

 Sur les circonstances d’écriture de la Théorie du libelle, voir notre troisième partie, chap. 3, n. 1.

886.

 Honnêteté théologique, pp. 11-12.