b. « Ses Raisonnements Sont Absurdes »

Car il s’agit aussi de prouver que les raisonnements de l’adversaire sont absurdes. Rien de plus facile, à en croire Linguet, et ce même si, comme son interlocuteur le fait remarquer à l’A[bbé] M[orellet], cet adversaire prend soin d’étayer ses raisonnements par des preuves. « Vous n’avez qu’à les supprimer, ces preuves », explique A. M. : « mettez les objections à la place des réponses. Supposez qu’il n’a avancé que la proposition sans l’appuyer ; choisissez les plus extraordinaires, celles qui choquent le plus la manière commune de penser ; celles qui peuvent lui faire le plus d’ennemis vivants, & révolter plus de petits esprits sur l’étiquette seule. » Bref, il s’agit de faire d’un discours argumenté « un tissu maigre, sec, composé uniquement d’injures, sans raisonnements, sans preuves909 ».

Et c’est bien de semblables manipulations qui sont couramment dénoncées par les victimes de pamphlets, et mises en pratique par les “ faiseurs de libelles ”. On lit ainsi, dans Le Tombeau de la Sorbonne, à propos de la condamnation de la thèse que l’abbé de Prades910 avait pourtant soutenue « avec l’approbation universelle », le 18 novembre 1751 :

‘La Sorbonne, le 15 décembre, consomma sa honte. Elle proscrivit sa thèse, son propre ouvrage, malgré l’avis de plus de quarante docteurs. Elle condamna dix propositions, qu’il fallut tronquer, et par conséquent falsifier. Elle attribua à l’auteur ce qu’il avait expressément réfuté. Le décret fut dressé comme on put911.’

Les jésuites, le P. Dupré en tête, s’adressent ainsi à « un vieux docteur nommé Lerouge, ancien syndic et approbateur de leur Journal de Trévoux, et leur créature » pour « dénoncer à la Sorbonne la thèse qu’on y a soutenue ». Les jésuites « tronquent et tordent des propositions », mais Lerouge ne peut cacher ses réticences :

‘« Il est dit surtout, continue le jésuite912, que le droit d’inégalité est un droit barbare qui n’est que le droit du plus fort ; voilà qui intéresse les puissances séculières : l’abbé de Prades doit être condamné en parlement comme en Sorbonne, et passer sa vie entre quatre murailles. ( Ah ! c’est trop, mes pères ; vous portez trop loin l’emportement et la vengeance. Comment peut-on prendre pour le système de l’auteur ce qu’il ne cite que pour le réfuter ? Quoi ! vous n’avez pas lu la thèse ? Ne la lira-t-on pas ? Le licencié ne dit-il pas en termes exprès que c’est le système damnable et horrible de Hobbes ? Ne le réduit-il pas en poudre ? ( N’importe, encore une fois, dirent les jésuites ; personne ne lit une thèse, et tout le monde lira les propositions qui seront condamnées ; et on mettra l’abbé de Prades dans un lieu d’où il ne pourra nous répondre. » L’abbé Lerouge frémit d’horreur913.’

Rien de plus efficace en effet que de mettre au jour les manoeuvres indignes des jésuites, dont même un des leurs « frémit d’horreur », pour dénoncer la machination : il est en effet aisé de discréditer le raisonnement de l’adversaire si l’on inverse les réfutations et les preuves ! C’est retourner contre lui tous les arguments qu’il avait pu déployer pour réfuter les affirmations qu’on lui impute sans vergogne. La supercherie passera d’autant mieux que « personne ne lit une thèse », et que l’adversaire, dûment “ mis en sûreté ” n’aura aucune chance de se faire entendre !

L’entreprise des jésuites ne laisse pourtant pas de se heurter à certaines contradictions. On imagine en effet la surprise du nouveau licencié :

‘M. l’abbé de Prades allait être reçu licencié, et même obtenir le premier lieu, comme celui de toute la licence qui s’était le plus distingué. Il n’avait qu’un seul reproche à se faire, c’était de s’être laissé emporter au zèle aveugle de la Sorbonne contre quelques opinions de MM. de Buffon et de Montesquieu, qu’il qualifia trop durement : il s’exposait par là à déplaire aux plus honnêtes gens du royaume ; mais il ne s’attendait pas que la Sorbonne dût le punir d’avoir pris sa défense avec trop de vigueur, ni qu’elle eût jamais l’audace et la bassesse de proscrire une thèse qu’elle avait adoptée avec solennité, dont elle seule devait répondre, et qui était devenue son propre ouvrage, selon ses statuts.’

Car l’opération est plutôt délicate : il s’agit ni plus ni moins que de demander vengeance « d’une thèse que la Sorbonne doit avouer pour sienne ». Il faut donc que « ce corps se déshonore à jamais » :

‘Il faut que cette Sorbonne déclare qu’elle n’a pas entendu un seul mot de la thèse, laquelle elle a examinée pendant quatre jours, laquelle elle a fait soutenir, laquelle elle a approuvée, et qui est son propre ouvrage ; ou qu’elle avoue qu’elle-même en corps a soutenu un système complet contre la religion chrétienne. Il n’y a pas de milieu ; c’est dans ce cul-de-sac que la cabale des jésuites et un théatin ont poussé la Sorbonne qui s’en aperçoit bien aujourd’hui, et qui en gémit, mais trop tard914.’

Un des moyens les plus efficaces pour discréditer la démarche ou les raisonnements de l’adversaire consiste donc à faire surgir les contradictions qui les travaillent. Or cette mise en contradiction peut résulter d’une manoeuvre concertée du pamphlétaire. C’est sur les contradictions propres de Jean-Jacques que, dans la quatrième Lettre sur la Nouvelle Héloïse, Voltaire met l’accent par le truchement de Rameau. Alors qu’il se trouve poursuivi et molesté par des musiciens de l’orchestre de l’Opéra, Rousseau trouve un secours providentiel dans ce « maître souverain de l’orchestre », qui prend la parole en ces termes :

‘« Ne vous fâchez pas, leur dit-il, Messieurs ; c’est un pauvre fou qui n’est pas si méchant qu’on le croit ; sa folie consiste dans les inconséquences, et dans une vanité dont aucun barbier n’approcha jamais. Il a fait une mauvaise comédie, et il a écrit contre la comédie ; il a publié que le théâtre de Paris corrompait les moeurs, et il vient de donner au public un roman d’Héloïse ou d’Aloïse, dont plusieurs endroits feraient rougir madame que voilà915, si elle savait lire. Il est allé à Genève abjurer la religion catholique pour vivre en France. Le pauvre homme a fait lui-même de la musique française, que j’ai eu la bonté de corriger. Il a imprimé, dans le Dictionnaire encyclopédique, quelques âneries sur l’harmonie, qu’il m’a fallu encore relever ; et pour récompense il écrit contre moi. Il ne lui manque plus que d’être peintre, et d’écrire contre Vanloo et contre Drouais ; il faut pardonner à un pauvre homme qui a le cerveau blessé. Il s’est mis dans un tonneau, qu’il a cru être celui de Diogène, et pense de là être en droit de faire le cynique ; il crie de son tonneau aux passants : Admirez mes haillons. La seule manière de le punir est de ne regarder ni sa personne ni son tonneau ; il vaut mieux l’ignorer que de le battre916. »’

Les phrases imputées à Rameau reposent sur une rhétorique binaire, fondée sur l’antithèse, réunissant deux propositions logiquement incompatibles, selon le schéma général « A, et [pourtant] B », dans lequel la conjonction de coordination a une forte valeur adversative. La coordination de ces propositions, syntaxiquement parallèles, mais sémantiquement opposées, provoque un effet comique qui permet à Voltaire de tourner en ridicule le « doux ami » Jean-Jacques. Par ailleurs, cette longue énumération des « inconséquences » de Rousseau joue ici de l’accumulation qui, créant un rythme, pourrait semble-t-il être rallongée à plaisir : l’“ homme aux paradoxes ”, le philosophe extravagant, qui s’est fait des contradictions une règle de vie, n’en est pas à une près. Aussi la mécanique ainsi induite peut-elle apparemment se prolonger par de nouvelles propositions qui, pour hypothétiques qu’elles soient, n’en sont pas moins présentées comme vraisemblables. Ce que suggère l’expression « Il ne lui manque plus que... », au terme de l’énumération.

Le procédé est repris, entre autres917, dans la Lettre au docteur Pansophe, dans laquelle Voltaire stigmatise à nouveau les contradictions qu’il observe entre les propos théoriques de Rousseau et sa propre pratique :

‘Judicieux admirateur de la bêtise et de la brutalité des sauvages, vous avez crié contre les sciences, et cultivé les sciences. Vous avez traité les auteurs et les philosophes de charlatans ; et, pour prouver d’exemple, vous avez été auteur918. Vous avez écrit contre la comédie avec la dévotion d’un capucin, et vous avez fait de méchantes comédies. Vous avez regardé comme une chose abominable qu’un satrape ou un duc eût du superflu, et vous avez copié de la musique pour des satrapes ou des ducs qui vous payaient avec ce superflu. Vous avez barbouillé un roman ennuyeux, où un pédagogue suborne honnêtement sa pupille en lui enseignant la vertu ; et la fille modeste couche honnêtement avec le pédagogue ; et elle souhaite de tout son coeur qu’il lui fasse un enfant ; et elle devient femme, mère, et la plus tendre amie d’un époux qu’elle n’aime pourtant pas ; et elle vit et meurt en raisonnant, mais sans vouloir prier Dieu919.’

Voltaire peut alors conseiller à Rousseau d’« apprendre la logique », notamment lorsqu’il se pique de raisonner sur la religion :

‘Mon ami Jean-Jacques, ayez de la bonne foi. Vous qui attaquez ma religion, dites-moi, je vous prie, quelle est la vôtre920 ? Vous vous donnez, avec votre modestie ordinaire, pour le restaurateur du christianisme en Europe ; vous dites que la religion, décréditée en tout lieu, avait perdu son ascendant jusque sur le peuple, etc. Vous avez en effet décrié les miracles de Jésus, comme l’abbé de Prades, pour relever le crédit de la religion. Vous avez dit que l’on ne pouvait s’empêcher de croire l’Évangile de Jésus, parce qu’il était incroyable ! ainsi Tertullien disait hardiment qu’il était sûr que le Fils de Dieu était mort, parce que cela était impossible : Mortuus est Dei Filius ; hoc certum est quia impossibile. Ainsi, par un raisonnement similaire, un géomètre pourrait dire qu’il est évident que les trois angles d’un triangle ne sont pas égaux à deux droits, parce qu’il est évident qu’ils le sont. Mon ami Jean-Jacques, apprenez la logique, et ne prenez pas, comme Alcibiade, les hommes pour autant de têtes de chou921.’

Voltaire exhibe ici la contradiction, en multipliant les conjonctions de but ou de cause (« pour », « parce que ») reliant des propositions qui, au contraire, entretiennent de manière évidente un rapport d’opposition. Par exemple, on ne peut à la fois « décri[er] les miracles de Jésus » et prétendre « relever le crédit de la religion ». La référence à l’abbé de Prades, dont la thèse a été condamnée par la Sorbonne, ne fait alors que souligner que Rousseau peut aussi être justiciable des mêmes reproches. Les contradictions du docteur Pansophe sont encore amplifiées par une comparaison (avec Tertullien), mais surtout par une analogie particulièrement significative. Rien de tel en effet, lorsqu’il s’agit de logique, que de s’adresser à une science aussi rigoureuse que la géométrie, même si l’analogie a ses limites (là s’inscrit précisément sa vocation polémique), et si on ne « raisonne » sans doute pas de la même manière lorsqu’on s’intéresse à des objets mathématiques ou à des questions religieuses. Or c’est dans cette perspective rationaliste que les philosophes, et Voltaire en particulier, entendent mener à bien leur critique de la religion922. Rousseau, qui semble adopter la même démarche, assigne pourtant à son entreprise un objectif sensiblement différent, ce qui provoque la colère de Voltaire923.

Voltaire recourt ainsi à la figure classique de la rétorsion qui vise, avec une redoutable efficacité, à mettre l’adversaire en contradiction avec lui-même. Mais les pamphlétaires jouent plus généralement du paradoxe au sens strict, en ne retenant chez l’adversaire, comme l’explique Linguet, que les propositions « les plus extraordinaires, celles qui choquent le plus la manière commune de penser », qu’ils auront soin au besoin de tronquer ou de falsifier.

Dans son discours de réception à l’Académie, Pompignan accuse-t-il les philosophes de saper « également le Trône et l’Autel924 » ? Ces derniers ont tôt fait de relever cette accusation téméraire, et d’exhumer deux “ affaires ” compromettantes pour le nouvel académicien : l’une d’elles concerne certaines « Remontrances » faites par Pompignan au roi en 1756. L’abbé Morellet lui consacre un de ses Si :

‘SI un homme qui accuse les Philosophes de vouloir sapper les fondemens du Trône & de haïr l’autorité, avoit peint de couleurs odieuses une recherche de possessions des Citoyens, sagement ordonnée par le Souverain, s’il avoit appellé cette recherche un genre d’Inquisition, ressemblant à un dénombrement d’esclaves, si ce même homme avoit osé envenimer, par une ironie insolente & injuste, l’attention que son Roi a donnée à des essais d’Agriculture, si dissimulant ce qu’il y a de louable dans ces amusemens vraiment dignes d’un Monarque, il n’y avoit trouvé qu’une occasion de lui dire avec amertume : Sire, des spéculations, des machines qu’on vous présente, des essais faits sous vos yeux ne rendront pas nos champs moins incultes ; le Parc de Versailles ne décide point de l’état de nos Campagnes. Cet homme, après avoir insulté de la sorte à l’autorité ne seroit-il pas bien imprudent d’accuser des Citoyens paisibles & soumis, de haine pour l’autorité925 ?’

Allégations auxquelles répondent les Nouveaux Si :

‘Si l’Auteur du Discours étoit injuste d’accuser de haine pour l’autorité des personnes qu’il n’a point nommées, l’Auteur des Si est plus injuste encore d’accuser personnellement de ce même crime un Citoyen zèlé, qui, connoissant la bonté du coeur de son Roi, a porté par devoir à ses pieds les malheurs du Peuple, & la vérité toujours étrangere dans les Cours.
Si ces Remontrances qu’on ose vouloir rendre odieuses, l’étoient en effet, comme l’Auteur des Si voudroit le faire paroître, en tronquant quelques propositions, en les isolant malignement, en présentant purement la lettre pour en faire oublier l’esprit ; si enfin c’étoit un attentat contre l’Autorité que d’aimer son Pays, cet attentat seroit commun à l’Auteur des Remontrances avec les plus illustres Magistrats qui donnerent, comme lui, des preuves éclatantes & de leur respect pour leur Roi & de leur amour pour le bien public926.’

À son tour, l’auteur de la Réponse aux Quand, aux Si et aux Pourquoi dénonce la manoeuvre : ces propositions « tronquées » et « malignement isolées » sont alors présentées comme un « malicieux assemblage de quelques mots épars çà & là dans le Discours de 1756927 », constitué dans la seule fin de « rendre M. le F. suspect au Gouvernement » et de « grossir la liste des séditieux & des mécontens du nom respectable de M. le F. ».

Parallèlement, Voltaire lance dans l’un de ses Quand une autre “ affaire ” :

‘QUAND on a traduit et même outré la Prière du déiste, composée par Pope ; quand on a été privé six mois entiers de sa charge en province pour avoir traduit et envenimé cette formule du déisme ; quand enfin on a été redevable à des philosophes de la jouissance de cette charge, c’est manquer à la fois à la reconnaissance, à la vérité, à la justice, que d’accuser les philosophes d’impiété ; et c’est insulter à toutes les bienséances de se donner les airs de parler de religion dans un discours public, devant une académie qui a pour maxime et pour loi de n’en jamais parler dans ses assemblées928.’

L’abbé Morellet emboîte le pas : il publie la Prière universelle qu’il assaisonne de notes929, et peut déclarer, à la fin de son pamphlet, en reprenant la formule des Quand : « Il suit de ce qu’on vient de lire que l’auteur du discours prononcé à l’Académie le 10 mars 1760, avait, en 1740, traduit et envenimé la prière du Déiste, composée par Pope : ce qu’il fallait démontrer 930 ». Or, comme le remarque Philippe van Tieghem, « la discussion qui s’engage à ce moment autour de la Prière universelle est aussi peu philosophique que possible ; la preuve en est que Morellet, pour les besoins de la cause, tantôt montre le texte de Pope inoffensif en lui-même, mais rendu impertinent par l’audace de son traducteur, tantôt, au contraire, souligne l’audace du texte pour faire rire de ce défenseur de la religion qui s’en va s’exercer sur le “ symbole du déisme ”931 ».

C’est dire que cette polémique, tout comme celle qui s’engage autour des remontrances de 1756, n’a de sens que dans la mesure où elle permet de mettre Pompignan en contradiction avec lui-même, puisqu’il se pique de dénoncer les implications tant religieuses que politiques des principes pernicieux qu’il croit reconnaître dans la « fausse littérature » et la « vaine philosophie » des hommes de lettres de son temps.

Notes
909.

 Théorie du libelle, pp. 107 et 116.

910.

 Sur cette affaire, voir notre deuxième partie, chap. 2, § 1.

911.

 Le Tombeau de la Sorbonne, p. 72.

912.

 Il s’agit du P. Dupré.

913.

 Le Tombeau de la Sorbonne, pp. 66-68.

914.

 Ibid., pp. 65 et 68.

915.

 Il s’agit de « la même dame chez laquelle il s’était consolé des tourments de l’absence, et de chez qui il avait rapporté en Suisse les principes secrets de ce qu’il appelle la petite vérole » (p. 407). Rousseau s’est réfugié dans son cinquième étage en tentant d’échapper à ses poursuivants.

916.

 Lettres sur la Nouvelle Héloïse, pp. 408-409.

917.

 On retrouve la même rhétorique binaire dans les propos que Voltaire fait tenir au narrateur du L’Homme aux quarante écus (Romans et contes, Paris, Gallimard, La Pléiade, p. 456). Sur les rapports entre les pamphlets et les contes, voir notre chap. 3, § 3.2.

918.

 Significativement, Voltaire omet à cette date (1766) le terme de « philosophe » que l’on attendrait en vertu des systèmes de parallélismes mis en place dans cette diatribe. Sur la situation particulière de Rousseau dans les querelles opposant philosophes et anti-philosophes, voir notre cinquième partie, chap. 1, § 2.

919.

 Lettre au docteur Pansophe, pp. 831-832.

920.

 Voltaire fait ici allusion à la Lettre de J.-J. Rousseau à M. de Voltaire du 18 août 1756 (Rousseau, Oeuvres complètes, t. IV, pp. 1057-1075). Reste que, émanant de Voltaire, le conseil ne manque pas de sel... Il est vrai que si Voltaire s’est fait fort lui aussi de « décrier les miracles de Jésus », son attitude avait au moins cela de cohérent qu’il n’entendait pas assigner à cette lutte l’ambition de « relever le crédit de la religion ». Selon Henri Gouhier, là réside un des griefs essentiels de Voltaire contre Rousseau : « Voici alors ce que Voltaire ne comprend plus : pourquoi, chez Rousseau, cette volonté de se séparer des “ philosophes ” ? pourquoi faire semblant de croire que “ les lumières ” n’éclairent que l’athéisme ? pourquoi combattre du même côté que ceux qui défendent les superstitions, l’intolérance, les abus de pouvoir religieux et politiques ? pourquoi présenter comme le vrai christianisme une philosophie qui exclut radicalement l’essentiel de ce qui a toujours constitué le christianisme ? Bref, pourquoi mentir ? » (Rousseau et Voltaire, p. 255).

921.

 Lettre au docteur Pansophe, p. 834.

922.

 Dans la présentation de son édition du Dictionnaire philosophique, Christiane Mervaud analyse notamment l’effet sur le lecteur des « agressions de la pensée autoritaire » de Voltaire : « La rigidité des équations mathématiques dans maintes formules s’impose comme vérité » (Oeuvres complètes, vol. 35, Oxford, The Voltaire Foundation, pp. 173-174.

923.

 Henri Gouhier analyse en ces termes l’opposition entre Voltaire et Rousseau sur la question du déisme : « Chacun s’en tient à un déisme et, sur le chemin, ils peuvent faire un assez long parcours de compagnie : ici et là, il n’y a qu’une religion naturelle sans traces de sur-naturel. Mais, aux yeux de Rousseau, cette religion naturelle représente l’essence même de la religion chrétienne ; la critique rationaliste du sur-naturel ne détruit pas mais purifie le christianisme. Ce que Voltaire attaque dans le soi-disant “ restaurateur du christianisme en Europe ”, c’est ce qu’en termes d’une autre époque, on appellerait le “ modernisme protestant ” de Rousseau, sa prétention de réformer la religion des Réformateurs. Même dans leurs parties communes, un esprit bien différent inspire les deux déismes : pour Voltaire, il est clair que le sur-naturel tient à l’essence du christianisme, une religion naturelle ne saurait donc se proposer de le récupérer ; pour Rousseau, au contraire, la religion naturelle est l’essence même du christianisme.

Le point de vue de Voltaire coïncide donc avec celui du théologien : ou le christianisme avec révélation et miracles, ou un déisme étranger au christianisme ; pour l’un comme pour l’autre, un christianisme sans révélation ni miracles est une notion contradictoire » (Rousseau et Voltaire..., pp. 253-254). Sur la position particulière de Rousseau dans nos querelles, voir notre cinquième partie, chap. 1, § 3.

924.

 Discours de réception à l’Académie française, p. 5.

925.

 Les Si, pp. 80-81.

926.

 Les Nouveaux Si, pp. 4-6.

927.

 Réponse aux Quand, aux Si et aux Pourquoi, p. 103.

928.

 Les Quand, p. 369.

929.

 Sur la fonction polémique de ces notes, voir notre troisième partie, chap. 1, § 4.3.

930.

 La Prière universelle..., p. 40.

931.

 P. van Tieghem, « La Prière universelle de Pope et le déisme français au XVIIIe siècle », p. 204.