iii. Malhonnêteté, Mensonge, Mauvaise Foi

La stratégie pamphlétaire, telle que nous l’avons définie dans ce chapitre, repose donc sur une double entreprise de dénigrement, visant les textes de l’adversaire et l’adversaire lui-même. Cela dit, ce que nous avons distingué pour les besoins de l’analyse se trouve en fait mêlé dans la pratique des pamphlétaires. Morellet le reproche d’ailleurs à Palissot, lorsqu’il prétend exposer au grand jour les manoeuvres de l’auteur de la comédie des Philosophes : « tu persuaderas à tes spectateurs que les hommes ressemblent toujours à leurs livres, parceque tu gagnerois encore à n’être pas plus décrié que tes ouvrages1005 ». Car c’est bien là un amalgame qui, entre autres, illustre ce recours permanent à l’approximation que l’on observe dans les pamphlets, même si, avec l’insincérité traditionnelle des avertissements, certains s’en défendent :

‘Si cette Relation tomboit par hazard entre les mains de quelques Cacouacs, on croit devoir les prévenir ici que l’Auteur n’a pas eu intention d’en attaquer aucun en particulier. Leurs moeurs peuvent être en contradiction avec leurs principes ; mais, s’il leur est permis d’exposer ceux-ci, de les défendre, de les soutenir même, il ne doit pas être défendu à un Citoyen de les trouver déraisonnables & dangereux1006.’

Dans le fond, la démarche pamphlétaire repose sur le postulat qu’il n’existe pas de solution de continuité entre la vie et l’oeuvre d’un auteur, qu’un auteur qui « soutient » des principes « déraisonnables & dangereux » ne peut qu’être un homme lui-même « dangereux », au caractère pernicieux, sinon aux moeurs perverses. De là le va-et-vient que les pamphlétaires pratiquent entre l’homme et l’ouvrage, voire, comme on peut le voir dans le cas de Rousseau, entre l’auteur et ses personnages.

Dans la deuxième Lettre sur la Nouvelle Héloïse, Voltaire-Ximenès assimile en effet d’une manière explicite l’auteur supposé des lettres dans l’ordre de la fiction, Saint-Preux, et l’auteur réel, Rousseau : comme Jean-Jacques

‘est aussi grand, aussi noblement fait qu’Abélard ; comme il est, ainsi que lui, l’objet des soupirs de toutes les dames de Paris, il s’est fait le héros de son roman. Ce sont les aventures et les opinions de Jean-Jacques qu’on lit dans la Nouvelle Héloïse 1007.’

Le personnage devient donc l’auteur, et la fiction rejoint la réalité1008. Or, assimiler ainsi Jean-Jacques et Saint-Preux, comme le fait Voltaire-Ximenès, c’est nier, par un coup de force logique, ce qui fonde l’énonciation romanesque et, en particulier, ce principe propre au roman épistolaire qui veut que chaque lettre n’engage que le personnage-scripteur qui la signe. Il est dès lors d’autant plus malhonnête d’en rapporter le contenu ou la forme à l’auteur lui-même1009, que Rousseau se présente comme un simple « éditeur », dont le rôle s’est borné à mettre en ordre et à élaguer une correspondance censée être réelle, même si ce procédé relève, on le sait, de l’artifice. C’est en outre nier la dialectique qui s’instaure entre l’éditeur et le texte, et qui apparaît notamment dans le système des notes de Rousseau. C’est ainsi que, dans certaines d’entre elles, il prend quelque distance par rapport à ce que disent ou pensent les personnages. La lettre XIV de la seconde partie, adressée depuis Paris par Saint-Preux à Julie, s’ouvre par exemple par la note suivante :

‘Sans prévenir le jugement du lecteur et celui de Julie sur ces relations, je crois pouvoir dire que si j’avais à les faire, et que je ne les fisse pas meilleures, je les ferais du moins fort différentes. J’ai été plusieurs fois sur le point de les ôter et d’en substituer de ma façon ; enfin, je les laisse, et je me vante de ce courage. Je me dis qu’un jeune homme de vingt-quatre ans entrant dans le monde ne doit pas le voir comme le voit un homme de cinquante à qui l’expérience n’a que trop appris à le connaître. Je me dis encore que, sans y avoir fait un fort grand rôle, je ne suis pourtant plus dans le cas d’en pouvoir parler avec impartialité. Laissons donc ces lettres comme elles sont ; que les lieux communs usés restent, que les observations triviales restent ; c’est un petit mal que tout cela ; mais il importe à l’ami de la vérité que, jusqu’à la fin de sa vie, ses passions ne souillent point ses écrits1010.’

Au terme de cette revendication de « transparence1011 », avec toutes les ambiguïtés qu’elle comporte malgré tout, la situation se veut claire : les propos que le lecteur va lire n’engagent que Saint-Preux, et leur teneur est indissociable de l’inexpérience et de la jeunesse du personnage.

Mais de telles mises en garde ne sont pas de nature à arrêter Voltaire qui reprend la même assimilation en 1767, dans la Lettre à M. Hume : « Comme les auteurs se peignent assez dans leurs ouvrages, le précepteur va fréquenter à Paris les mauvais lieux1012 »,etc.

À ces glissements subreptices qui caractérisent la démarche pamphlétaire s’ajoute le recours à l’affabulation et à la calomnie. Ces allégations mensongères qu’entretiennent les auteurs de pamphlets sont d’ailleurs fréquemment dénoncées par les victimes qui s’emploient, avec un inégal bonheur du reste, à se justifier des accusations injustes qui sont portées contre elles1013.

C’est dire que, dans les pamphlets, l’adversaire se trouve réduit à l’état d’objet d’un discours mensonger, discours « monomaniaque1014 », selon le mot de Chantal Thomas, qui se caractérise par le refus a priori de comprendre le point de vue de l’autre. Le pamphlétaire est dès lors amené à présenter systématiquement les faits, gestes et paroles de son ennemi “ de l’extérieur ”, ignorant délibérément ce qui, de son point de vue, a pu les motiver1015.

La position du pamphlétaire est donc paradoxale. D’un côté, nous l’avons vu, il ne recule devant aucune manoeuvre afin de saper tout ce que, par sa personne et par ses écrits, l’adversaire peut présenter d’autorité. Mais d’un autre côté, et c’est là un des lieux communs habituellement invoqués pour justifier l’entreprise de rédaction d’un pamphlet, il prétend “ révéler ” le “ véritable ” visage de l’adversaire, dénoncer son imposture1016. Et, d’une manière emblématique, un texte comme Le Philosophe ami de tout le monde est prétendûment publié « à Sophopolis, chez le Pacifique, à la Bonne-Foix », ce qui sous-entend qu’une bonne part de “ mauvaise foi ” entrerait dans l’attitude ordinaire du pamphlétaire. Il nous semble cependant essentiel de distinguer, à la suite de Sartre, la « mauvaise foi » du « mensonge » :

‘On dit indifféremment d’une personne qu’elle fait preuve de mauvaise foi ou qu’elle se ment à elle-même. Nous accepterons volontiers que la mauvaise foi soit mensonge à soi, à condition de distinguer immédiatement le mensonge à soi du mensonge tout court. Le mensonge est une attitude négative, on en conviendra. Mais cette négation ne porte pas sur la conscience elle-même, elle ne vise que le transcendant. L’essence du mensonge implique, en effet, que le menteur soit complètement au fait de la vérité qu’il déguise. On ne ment pas sur ce qu’on ignore, on ne ment pas lorsqu’on répand une erreur dont on est soi-même dupe, on ne ment pas lorsqu’on se trompe. L’idéal du menteur serait donc une conscience cynique, affirmant en soi la vérité, la niant dans ses paroles et niant pour lui-même cette négation.’

Car

‘la disposition intime du menteur est positive : elle pourrait faire l’objet d’un jugement affirmatif : le menteur a l’intention de tromper et il ne cherche pas à se dissimuler cette intention ni à masquer la translucidité de la conscience ; au contraire, c’est à elle qu’il se réfère lorsqu’il s’agit de décider des conduites secondaires, elle exerce explicitement un rôle régulateur sur toutes les attitudes. Quant à l’intention affichée de dire la vérité (« Je ne voudrais pas vous tromper, cela est vrai, je le jure », etc.) sans doute est-elle l’objet d’une négation intime, mais aussi n’est-elle pas reconnue par le menteur comme son intention. Elle est jouée, mimée, c’est l’intention du personnage qu’il joue aux yeux de son interlocuteur, mais ce personnage, précisément parce qu’il n’est pas, est un transcendant1017.’

Si donc le pamphlétaire prétend combattre l’imposture par l’imposture, il le fait en adoptant lui-même la “ posture ” toute théâtrale du menteur, qui joue le « personnage » de celui qui, dans les yeux, jure qu’il dit la vérité. On voit dès lors que la démarche du pamphlétaire est tout entière sous-tendue par une intention mystificatrice, avec ce qu’elle comporte en elle-même de théâtral.

Car il n’est que d’observer les procédures que le pamphlétaire met en place pour accréditer son discours mensonger, qui reposent essentiellement sur l’art de la persuasion. Tel convoque à l’appui de ses affirmations le témoignage de cautions extérieures. C’est ainsi, par exemple, que Voltaire justifie le bien-fondé des Anecdotes 1018 sur Fréron dans la note suivante :

‘Celui qui a daigné faire imprimer cet écrit tombé entre ses mains a voulu seulement faire rougir ceux qui ont protégé un coquin, et ceux qui ont fait quelque attention à ses feuilles. Si on parle, dans l’histoire naturelle, des aigles et des rossignols, on y parle aussi des crapauds.’

Et, il ajoute, en 1770 :

‘Il est nécessaire que ces infamies soient constatées par le témoignage de tous ceux qui sont cités dans cet écrit ; ils ne doivent pas le refuser à la vengeance publique1019.’

Étrange ambiguïté que celle qui s’attache à cette phrase, et notamment au verbe « constater ». Une première lecture permet en effet d’interpréter cette phrase comme une affirmation : ces témoignages qui sont convoqués dans le texte du pamphlet sont bien « nécessaires », en ce qu’ils attestent par ce « constat » extérieur, la véracité des « infamies » de Fréron ; on ne peut dès lors pas accuser de mensonge « celui qui a daigné faire imprimer cet écrit ». Mais on peut aussi lire cette phrase comme une injonction : il faut que « ceux qui sont cités dans cet écrit » confirment (pour la “ bonne cause ” ou pour toute autre raison) la réalité des « infamies » de Fréron, autrement dit ne désavouent pas le « témoignage » qu’on leur prête ! Le subterfuge de Voltaire réside dans l’ambiguïté de cette double lecture. Car, comme on a pu le remarquer dans les extraits que nous avons cités, Voltaire ne se prive pas de faire valoir des témoignages extérieurs, d’ailleurs plus ou moins précisément référencés. Parfois, un nom seul est avancé : « M. de Caux [...] s’est brouillé avec Fréron parce que Fréron ne le payait pas1020 ». Voltaire signale ailleurs l’existence d’un « mémoire imprimé » où le libraire Duchesne « se plaint » de la « friponnerie de Fréron1021 ». Lorsqu’il évoque les friponneries au jeu dont Fréron s’est rendu coupable, Voltaire renvoie le lecteur à « l’Observateur littéraire de l’abbé Laporte, année 1758, tome II, page 319 », qui est censé rapporter le fait, il est vrai « en termes couverts1022 » ! C’est dire que la précision de la référence est peut-être censée faire écran à l’inconsistance du témoignage. Et, selon un procédé assez voisin, lorsqu’il ne fait valoir que son propre témoignage, évidemment suspect de parti pris et de malignité, il se plaît à multiplier les circonstances censées donner à ses propos une apparence de vraisemblance :

‘Je me souviens d’avoir entendu dire à Fréron, au café de Viseux, rue Mazarine, en présence de quatre ou cinq personnes, après un dîner où il avait beaucoup bu, qu’étant jésuite il avait été l’agent et le patient1023.’

On voit comment Voltaire s’emploie à asseoir la véridicité de cette anecdote : on ne saurait en effet mettre en doute un aveu de l’intéressé, intervenu dans un contexte surdéterminé (le café de Viseux, rue Mazarine), d’autant qu’il existe un nombre appréciable de témoins (« quatre ou cinq personnes »). Un tel aveu paraît néanmoins inconcevable ? C’est que maître Aliboron était saoûl, et ne se rendait plus très bien compte de ce qu’il disait !

Le discours calomnieux se doit donc, pour ne pas être lu uniquement comme tel, d’intégrer des éléments censés apporter une couleur de vraisemblance, en particulier lorsqu’il s’offre à accueillir tous les “ on dit ” de la rumeur.

Certes, le fait est bien connu,

‘Un ennemi aveuglé par l’humeur qui le domine, n’examine un ouvrage qu’avec la volonté déterminée d’y trouver des erreurs ou de lui en supposer. Dissimulant avec soin toutes les parties dignes d’éloges, il ne cite les articles qui le choquent qu’en les tronquant & les détachant de ce qui les précéde & les suit. Par ce détour il intervertit le sens naturel, & par-là il séduit la bonne foi de ceux qui ont la foiblesse de le croire sur sa parole. C’est ainsi que l’on captive le suffrage de ceux qui ne prennent pas la peine d’examiner, & qu’on les intéresse à préconiser des faussetés, des satyres, & des brochures, dont la licence & la noirceur font tout le mérite1024.’

Certes, un homme comme Palissot peut, en défigurant les propos des encyclopédistes à des fins polémiques, faire montre d’une « impudence [...] trop grossière pour réussir ». « Cependant », ajoute Grimm, « elle a toujours fait son effet, et c’est sur de pareilles pièces que le procès entre les philosophes et les ennemis de la raison a été jugé de tout temps par les sots1025. » Mais ces basses manoeuvres, destinées à « séduire la bonne foi de ceux qui ont la foiblesse de [les] croire sur [...] parole », paraissent ne devoir avoir de prise que sur « les sots ». Peut-être convient-il alors de revoir notre appréciation de la relation que le pamphlétaire entretient avec son public. Plutôt que de présenter les intentions du pamphlétaire sous le jour de la mystification, qui suppose implicitement qu’il se fonde sur une certaine crédulité du public1026, ne pourrait-on pas parler de la recherche d’une sorte de complicité, comme il est de rigueur lorsqu’on hasarde une « plaisanterie », littéraire ou non ?

La malhonnêteté qui caractérise l’écriture pamphlétaire ne se développerait dès lors pas à l’insu du public, mais bien avec sa complicité. Identifiée comme telle, elle fait en effet partie des “ lois ” ou des présupposés propres à cette sorte d’écrits polémiques qu’est le pamphlet. Dès lors, si mauvaise foi il y a, elle s’inscrirait plutôt dans le processus d’adhésion que le public accorde à une parole pamphlétaire qu’il sait mensongère, en feignant de ne pas le savoir :

‘Certes, explique Sartre, pour celui qui pratique la mauvaise foi, il s’agit bien de masquer une vérité déplaisante ou de présenter comme une vérité une erreur plaisante. La mauvaise foi a donc en apparence la structure du mensonge. Seulement, ce qui change tout, c’est que dans la mauvaise foi, c’est à moi-même que je masque la vérité. Ainsi, la dualité du trompeur et du trompé n’existe pas.’

Il s’ensuit donc que

‘je dois savoir très précisément cette vérité pour me la cacher plus soigneusement ( et ceci non pas à deux moments différents de la temporalité ( ce qui permettrait à la rigueur de rétablir un semblant de dualité ( mais dans la structure unitaire d’un même projet1027.’

On peut dès lors émettre l’hypothèse que le lecteur de pamphlets passerait avec l’auteur une sorte de “ pacte de malignité ”, qui ne serait pas qualitativement différent de celui auquel tout lecteur de fiction souscrit, sans en avoir toujours pleinement conscience, lorsqu’il entreprend de lire une oeuvre littéraire. Nous avons déjà souligné l’intérêt que présente le recours à l’anonymat ou au pseudonyme pour que soit rendu possible le discours artificieux des pamphlets1028. Il nous apparaît en effet essentiel que ces textes soient assumés par un auteur fictif, distinct de l’auteur réel, qui endosse le rôle du pamphlétaire. Car ces textes, n’étant au sens strict autorisés par “ personne ”, peuvent dès lors être pris en charge par tout le monde, pour peu que le lecteur, dont on sollicite la mauvaise foi, accepte de revêtir le masque dépersonnalisé du pamphlétaire. Dans cette perspective, la stratégie d’écriture du pamphlet ne se révèle pas par nature différente de l’entreprise littéraire, et dans les procédés qu’elle mobilise, et dans le pacte fondateur qu’elle suppose de la part du lecteur.

Le « libelliste » que met en scène Frédéric II dans son ouvrage Sur les libelles établit d’ailleurs un parallèle entre sa démarche satirique et celle d’un auteur de fiction. C’est ainsi que, lorsque le locuteur lui demande comment il parvient « à décrier ceux sur lesquels la médisance n’a point de prise », l’homme réplique :

‘N’ai-je pas de l’imagination [...] ? Est-il plus difficile de faire une Satire qu’un Roman ! Qu’en coûte-t-il de composer des anecdotes secrètes, de fabriquer des histoires qui ayent de la vraisemblance ; car le degré de probabilité qu’on a l’art de donner aux Contes qu’on publie est précisément ce qui les accrédite le plus ; & après tout, est-il si difficile de donner des ridicules aux hommes1029 ?’

Tout un pan de l’activité pamphlétaire consisterait donc dans un exercice de l’« imagination », visant à élaborer une série de fictions « vraisemblables » mettant en scène un adversaire ridicule qui devient, pour un public avide de « médisances », l’objet d’un spectacle hautement réjouissant.

Notes
1005.

 La Vision de Charles Palissot, p. 6.

1006.

 Nouveau Mémoire pour servir à l’histoire des Cacouacs, Avertissement.

1007.

 Lettres sur la Nouvelle Héloïse, p. 399.

1008.

 Rousseau se trouvera dès lors, dans les Lettres sur la Nouvelle Héloïse, affublé des qualificatifs qui s’appliquent à son héros Saint-Preux : le « petit valet philosophe suisse », le « valet amoureux », le « tendre amant », le « précepteur Jean-Jacques », ou encore le « doux ami » (respectivement, pp. 398, 399 et suiv., et 404). Sur la question des appellatifs par lesquels l’adversaire est désigné dans les pamphlets, voir plus haut, § 2.1.

1009.

 Dans la lettre XVII de la seconde partie, Saint-Preux livre à Julie ses réflexions au sujet des spectacles parisiens. Il observe en particulier que « le Français ne cherche point sur la scène le naturel et l’illusion et n’y veut que de l’esprit et des pensées ; il fait cas de l’agrément et non de l’imitation, et ne se soucie pas d’être séduit pourvu qu’on l’amuse. [...] L’acteur pour [lui] est toujours l’acteur, jamais le personnage qu’il représente. [...] Tout cela ne choque personne et ne fait rien au succès des pièces : comme on ne voit que l’acteur dans le personnage, on ne voit non plus que l’auteur dans le drame : et si le costume est négligé, cela se pardonne aisément ; car on sait bien que Corneille n’était pas tailleur, ni Crébillon perruquier » (La Nouvelle Héloïse, p. 254). Sans doute Voltaire prend-il plaisir à traiter le citoyen de Genève “ à la mode française ”...

1010.

 La Nouvelle Héloïse, p. 231.

1011.

 Voir J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, 1971.

1012.

 Lettre de M. de Voltaire à M. Hume, p. 855.

1013.

 Palissot, par exemple, fait paraître des Mémoires sur la vie de l’auteur, rédigés par lui-même, insérés dans l’édition de L’Homme dangereux que nous avons consultée, et dans lesquels il répond aux « calomnies » qui ont été produites dans les pamphlets. Dans les pages qui précèdent, nous avons fait état de certaines d’entre elles : voir en particulier le démenti qu’apporte Palissot à l’accusation d’avoir fait une banqueroute frauduleuse (p. 142), d’avoir « abusé de la confiance de deux personnes » (p. 146), etc.  Bref, explique-t-il, « la passion de me noircir a été portée jusqu’au point de me faire des crimes des actions de ma vie les plus indifférentes » (p. 155).

1014.

 Dans l’article qu’elle consacre à « la métaphore animale dans les pamphlets contre Marie-Antoinette », Chantal Thomas définit en effet l’écriture pamphlétaire comme une « écriture démonstrative, monomaniaque sans digression » (« L’architigresse d’Autriche... », dans La Révolution du Journal, 1788-1794, p. 230).

1015.

 Nous élargissons à l’ensemble de la pratique pamphlétaire les analyses que Jean Sareil développe à propos de Voltaire : voir « Voltaire polémiste ou l’art dans la mauvaise foi », dans XVIII e  siècle, t. XV, 1983, pp. 345-356.

1016.

 Sur cette justification des pamphlets, voir M. Angenot, La Parole pamphlétaire, pp. 85 et suiv.

1017.

 J.-P. Sartre, L’être et le néant, p. 83.

1018.

 La dimension mystificatrice de semblables « anecdotes » apparaît d’autant plus nettement lorsqu’on relit la mise au point méthodologique que l’historien Voltaire développait au début du chapitre XXV du Siècle de Louis XIV, qui traite précisément des « Particularités et anecdotes du règne de Louis XIV ». Certes, explique-t-il, « Les anecdotes sont un champ resserré où l’on glane après la vaste moisson de l’histoire ; ce sont de petits détails longuement cachés, et de là vient le nom d’anecdotes ; ils intéressent le public quand ils concernent des personnages illustres ». Mais c’est pour préciser aussitôt : « Nous n’admettons pour vérités historiques que celles qui sont garanties. Quand des contemporains comme le cardinal de Retz et le duc de La Rochefoucauld, ennemis l’un de l’autre, confirment le même fait dans leurs mémoires, ce fait est indubitable ; quand ils se contredisent, il faut douter : ce qui n’est point vraisemblable ne doit point être cru, à moins que plusieurs contemporains dignes de foi ne déposent unanimement ». En outre, « Les mémoires secrets des contemporains sont suspects de partialité ; ceux qui écrivent une ou deux générations après doivent user de la plus grande circonspection, écarter le frivole, réduire l’exagéré, et combattre la satire » (Oeuvres historiques, Paris, Gallimard, La Pléiade, pp. 889-890). Dans les textes qui nous intéressent, Voltaire ne semble à l’évidence pas animé de tels scrupules. Il est vrai qu’il ne prétend pas non plus faire oeuvre d’historien, mais de polémiste.

1019.

 Anecdotes sur Fréron, p. 391.

1020.

 Ibid., p. 389.

1021.

 Ibid., p. 387. Il s’agit de l’Avis du libraire sur la dernière feuille des Lettres sur quelques écrits de ce temps, s.d.

1022.

 Ibid., p. 386. Dans la lettre XIV, La Porte rend compte de l’Histoire des Grecs, ou de ceux qui corrigent la fortune au Jeu (La Haye et Paris, Duchesne, 1758), qui évoque « ces habiles fripons qui ne vivent que du produit des cartes & des dez, & qui regardent l’argent des dupes comme leur véritable patrimoine ». À l’endroit signalé par Voltaire, la Porte interrompt son compte rendu et raconte une « histoire » qui, « pour n’être pas dans le Livre, n’en est pas moins vraie », et précise que « tous les Auteurs sont encore vivans, & la plûpart très-connus » : « Un Procureur, qui n’étoit Grec qu’en matiere de chicane, tomba entre les mains de quelques Chevaliers de l’Ordre, qui le traiterent comme il traitoit lui-même ses Cliens. Quand il fut question de partager sa dépouille, on s’apperçut qu’un des Grecs assistans avoit disparu avant la conclusion de l’affaire. On alla le chercher. Voyez jusqu’où les fripons poussent la probité. On l’éveilla, & on lui remit sa part de la rétribution. Il remercia ses généreux confreres, & les félicita d’avoir dupé un Procureur. Voici encore une Histoire dont j’ai été témoin. J’étois à la campagne avec un homme de Lettres & quelques amis. Un Officier & un Abbé, tous deux initiés dans les mystères de la Grèce, y vinrent passer quelques jours. Sur la réputation de l’homme de Lettres, ils le prirent pour un Grec, quoiqu’il n’en fut pas un. On joua, & ils gagnerent six louis, qu’ils eurent la bonne foi de partager avec le Grec prétendu, & qui le fut véritablement dans cette occasion ; car il n’en rendit rien. Il s’en est vanté lui-même dans le temps ; quoique depuis il ait voulu donner un autre tour à cette aventure » (Obs. lit., 1758, t. II, pp. 319-320).

1023.

 Ibid., p. 385. On retrouve la même présentation de Fréron ex-jésuite sodomite dans le chapitre V de la Défense de mon oncle, intitulé « De la sodomie ».

1024.

 Mémoire des libraires associés à l’Encyclopédie, sur les motifs de la suspension actuelle de cet Ouvrage, p. 3.

1025.

 Cor. lit., t. IV, p. 253.

1026.

 Sur les représentations que les textes polémiques et les témoignages proposent “ du ” public, voir notre troisième partie, chap. 3, § 3.1.

1027.

 J.-P. Sartre, L’être et le néant, pp. 84-85.

1028.

 Voir notre troisième partie, chap. 2, § 1.2.

1029.

 Sur les libelles, pp. 15-16.