Chapitre 2
mises En Fiction

Ce n’est point là, Monsieur, une fiction ironique éclose de mon cerveau.
Lettre de M. de *** à M. Fréron
sur le mot ENCYCLOPÉDIE
, p. 252.

S’il est vrai, comme nous avons essayé de le montrer à partir des analyses de Sartre, que le pamphlétaire se place dans la posture du menteur, c’est sans doute parce que les attaques qu’il conduit sont animées moins par un souci de vérité que par un principe d’utilité polémique. C’est dire que le pamphlet se développe sur le mode de la fiction (mensongère), orchestrée dans l’intention de nuire à l’adversaire. Nous avons déjà pu signaler que le recours à des pseudonymes permettait d’alimenter la fiction1030. Il nous apparaît à présent comme emblématique de cette identité fictive et polémique du personnage du menteur qu’endosse l’auteur de pamphlets.

Car on assiste le plus souvent, dans les pamphlets, à la mise en place d’un cadre fictionnel à l’intérieur duquel vont se déployer les attaques contre l’ennemi. De même que le personnage littéraire est tout entier sous la coupe de l’auteur, l’adversaire se trouve ainsi réduit à l’état d’objet d’un discours fictionnel, doté d’un caractère, de rôles, d’attitudes et de pensées façonnés avec malveillance. Or de tels traits, repris à l’intérieur d’un même pamphlet, sont aussi relayés par les attaques que lancent d’autres pamphlets. De tels échos, dans leurs fortes convergences, contribuent alors à élaborer et à renforcer une certaine représentation de l’adversaire, qui se trouve enfermé dans l’image tendancieuse qu’érige de lui le pamphlétaire.

Notes
1030.

 Voir notre troisième partie, chap. 2, § 1.2.