iii. La Construction De Représentations Polémiques

À lire ces échanges de pamphlets, les coups pleuvent de part et d’autre, d’une portée d’ailleurs inégale. On ne s’attardera donc pas sur les accusations de plagiat1086, de présomption1087 ou encore de charlatanisme1088 que les anti-philosophes ne manquent pas d’adresser aux philosophes. Réciproquement, on n’approfondira pas les reproches de cupidité1089 et d’ignorance1090 dont les philosophes gratifient les anti-philosophes. Nous nous concentrerons donc sur les représentations polémiques des uns et des autres qui mettent en jeu, sinon un véritable antagonisme idéologique, du moins une série d’accusations portées contre l’adversaire, qui s’intègrent à un projet concerté et polémiquement restitué dans une logique du complot.

Notes
1086.

 Par exemple dans les Petites Lettres sur les grands philosophes (Lettre première, p. 3), ou encore dans la Lettre de M. *** à M. Fréron sur le mot ENCYCLOPÉDIE du Dictionnaire qui porte ce nom, pp. 248-249. Sur cette question, voir aussi notre deuxième partie, chap. 2, § 1.1.

1087.

 Fréron, par exemple, définit ainsi l’article « Encyclopédie » : « C’est, pour en bien parler, tantôt un long & présomptueux panégyrique de M. Diderot, de ses Strabons, & de leur volumineuse compilation ; tantôt un pompeux galimathias où le style bigarré d’un néologisme inintelligible se propose d’ébranler les esprits par les foibles vibrations de quelques ténébreuses étincelles » (Lettre de M. *** à M. Fréron, p. 265).

1088.

 Le “ bon ” Damis déclare notamment à Cidalise : « Mais quels sont donc enfin ces rares avantages / Attachés, dites-vous, au commerce des sages ? / Je ne prends point pour tels un tas de charlatans / Qu’on voit sur des tréteaux ameuter les passans, / Qui mettent une enseigne à leur philosophie : / De ce vain appareil ma raison se défie » (Les Philosophes, II, 5).

1089.

 Dans le second des Dialogues chrétiens, le Ministre protestant explique comment il a lutté contre la Vie heureuse, « livre [...] plein de blasphèmes et d’impiétés » : « pour diminuer au moins la grandeur du mal, j’en ai emprunté sous main quelques exemplaires que je n’ai point rendus : j’ai imaginé, pour les retrancher de la société, de les envoyer en Espagne, où je les ai fait payer le double de leur valeur aux libertins qui les ont achetés ; après quoi j’en ai donné avis au Grand Inquisiteur, qui a fait saisir et brûler les exemplaires, mettre à l’inquisition les gens qui en étaient possesseurs, et qui m’a envoyé cent pistoles d’or pour le service que j’ai rendu à la religion » (p. 365).

1090.

 On apprend, par exemple, dans la Relation de frère Garassise que « Griffet [...] est occupé à rallonger l’Histoire de frère Daniel ; et quoiqu’il ne soit pas plus instruit que frère Daniel des lois du royaume, des droits des différents corps, des libertés de l’Église gallicane, de l’ancienne chevalerie, des États du royaume, et des anciens parlements, cependant, il écrit toujours à bon compte » (p. 349).