i. Des « Réponses » Tendancieuses

Les titres des pamphlets mettent souvent en avant, d’une manière explicite ou implicite1142, la notion de « réponse ». Car, dans le système constitué par les échanges qui nous occupent, le pamphlet s’inscrit toujours contre un texte antérieur qui a déclenché la querelle, ou contre un autre pamphlet rédigé dans le cadre de cette querelle. C’est dire que se noue un dialogue entre le pamphlet et le texte qui en est la cible désignée, dont il s’agit de déterminer les modalités.

La voix du pamphlétaire s’élève donc contre celle de son adversaire, à laquelle elle « répond » de manière polémique. Nous avons vu que la situation de l’énonciation1143, dans certains pamphlets, pouvait amener le locuteur à s’adresser directement à son adversaire, dont la présence est ainsi sollicitée dans le texte ; plus fréquemment sans doute, le locuteur parle de son adversaire à la troisième personne. Dans ce dernier cas, l’adversaire est placé en position de tiers exclu du jeu de la communication : il est celui dont on parle en son absence, et se trouve ainsi enfermé dans une position figée. Mais, en dépit des apparences, même lorsqu’on s’adresse à lui à la deuxième personne, la situation n’est guère différente, dans la mesure notamment où c’est le plus souvent sur le mode de l’injonction ou du conseil (faussement) bienveillant qu’il est pris à partie. D’autre part, le principe même de la « réponse » implique que le pamphlétaire oppose son discours à celui de l’adversaire, qu’il doit aussi faire entendre. Or, par la pratique de la citation malveillante notamment, la parole de l’autre, passée au crible du « digesteur », se trouve malignement déformée dans un souci polémique1144. C’est dire que le mot de l’adversaire, ainsi objectivé, est retranscrit à des fins caractérisantes : comme on peut l’observer dans les ouvrages de fiction, le discours du personnage participe de l’élaboration de l’image que l’auteur entend proposer de celui qui le prononce. L’auteur d’un pamphlet s’efforce ainsi d’imposer une représentation polémique de son ennemi1145, construite en particulier à partir de la manière (malhonnête) dont il détourne ses paroles. C’est dire que si dialogue il y a, il ne se noue pas dans la perspective d’une recherche en commun de la vérité, animée par le souci de rigueur et de précision qui caractérise par exemple le dialogue socratique. Bien au contraire, le pamphlétaire n’a de cesse de s’emparer du mot de son adversaire pour en faire entendre l’inanité et, la fin justifiant les moyens, le réduire au silence et le renvoyer à son néant. On voit donc que ces « réponses » tendancieuses se développent sur le mode d’un dialogue de sourds, au cours duquel le discours antagoniste n’est jamais restitué avec honnêteté, et qui adopte la forme d’une réfutation dévoyée, de laquelle toute notion de vérité se trouve évacuée.

Notes
1142.

 Sur cette question, voir notre troisième partie, chap. 1, § 1. Un titre comme Les Pourquoi, réponse aux ridicules Quand de M. le comte de Tornet annonce en effet explicitement que le texte « répond » de manière polémique aux Quand de Voltaire, présentés comme « ridicules » ; un titre comme les Préjugés légitimes contre A.-J. de Chaumeix, par l’écho qu’il fait entendre avec les Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie, signale quant à lui implicitement que le texte est à lire comme une réponse à l’ouvrage de Chaumeix.

1143.

 Voir notre chap. 2, § 1.1.

1144.

 Voir notre chap. 1, § 1.

1145.

 Sur cette question, voir notre chap. 2, § 3.