b. Quand La Réalité Envahit La Fiction

Lorsqu’en 1767 la Sorbonne part en croisade contre le Bélisaire de Marmontel, ce n’est pas au conte en tant que genre qu’elle s’en prend, mais bien à un texte qui, sous le voile de la fiction, comporte des propositions qu’elle estime dangereuses. C’est ainsi que, selon une démarche qui nous est à présent familière, l’Examen du Bélisaire de M. Marmontel par l’abbé Coger va s’efforcer de démontrer, à partir de considérations relatives au « style », que cette fiction contribue à véhiculer des valeurs pernicieuses et impies, en pointant les anachronismes flagrants qui trahissent une modernisation manifeste du contexte qui, rappelons-le, est censé être celui de l’Antiquité. En effet, quelques endroits du conte de Marmontel « paroissent incompatibles avec la simplicité du dialogue : on trouve des pensées, des phrases trop recherchées, trop subtiles, trop précieuses dans la bouche de Bélisaire ». Or ces incompatibilités correspondent notamment aux phrases que Coger estime rédigées dans le style encyclopédique, ce qui, selon lui, n’est pas sans donner un certain « ridicule » au personnage de Bélisaire. En effet,

‘il fait parler un des plus fameux héros de l’antiquité, comme parleroit un bel-esprit de nos jours. Nous pourrions citer nombre d’endroits de nos écrivains modernes sur la politique, sur le gouvernement, sur la noblesse, la finance, la vertu, la cour, que l’on reconnoît dans les discours de Bélisaire ; le détail nous meneroit trop loin ; nous nous bornons à montrer la ressemblance frappante qui se trouve entre le quinzième chapitre & la doctrine antichrétienne de nos prétendus philosophes.’

Et de stigmatiser une nouvelle fois, en note, ces phrases « tantôt d’un langage précieux & affété, tantôt métaphysique & alambiqué, souvent montées au ton de nos patriarches de la nouvelle philosophie » qu’il rapproche du « Discours du Patriarche des Cacouacs pour la réception d’un nouveau disciple » qui ouvrait le Catéchisme et décisions de cas de conscience à l’usage des Cacouacs, pamphlet anti-philosophique de 1758. Anachronisme coupable qui vaut aussi pour l’empereur Justinien, dont le caractère présente un semblable « défaut de vérité1231 » : les textes des historiens attestent en effet le zèle de Justinien pour la religion ; en aucun cas il n’eût donc pu souscrire aux propos de Bélisaire, ce qu’il fait pourtant dans le conte de Marmontel.

Un tel Examen, qui se fonde sur des analyses d’ordre littéraire, prépare ainsi la Censure de la Faculté de Théologie de Paris, qui s’emploiera à démontrer que le chapitre XV de Bélisaire fait l’apologie d’une « Religion purement naturelle, & encore une Religion arbitraire », émanant d’un auteur qui

‘a pris pour guides ces hommes superbes, audacieux, enflés du titre de Philosophe dont ils se décorent, qui veulent mesurer le dessein de Dieu selon leur foible portée, & soumettre la Divinité aux caprices de leur raison ; qui ne sont occupés qu’à décrier, qu’à outrager, qu’à insulter en mille manières différentes une Religion sublime dans ses préceptes, salutaire dans ses conseils, magnifique dans ses promesses, formidable dans ses menaces1232.’

L’enjeu est donc celui d’un certain usage de la fiction qui, au mépris des exigences en matière d’imitation et de couleur locale, pratique allègrement l’anachronisme à des fins idéologiques, et transforme des oeuvres littéraires en textes militants. On pourrait multiplier les exemples, et voir en particulier comment, dans la tragédie de Socrate, Voltaire s’emploie à flanquer Mélitus de comparses aux noms transparents : Chomos (Chaumeix) et Bertios (Berthier)1233. Nous voudrions restreindre l’analyse au cas des contes, et de leurs parentés avec les pamphlets qui adoptent la forme de la « relation ».

Nous avons pu étudier comment les pamphlétaires tirent un double bénéfice polémique de la pratique de l’amalgame entre différentes querelles, qui se traduit par le recours au tir groupé contre plusieurs adversaires1234. Ce phénomène est également assez fréquent dans les contes de Voltaire, qui aime à manier le développement parasite. C’est ainsi par exemple que La Princesse de Babylone se termine par une adresse aux muses « qu’on invoque toujours au commencement de son ouvrage », et que Voltaire n’« implore qu’à la fin »... Or cette première entorse à la tradition n’est que le prélude à une autre entorse, qui consiste dans une succession de traits décochés à l’encontre du « détestable Cogé », du « pédant Larcher », sans oublier « maître Aliboron, dit Fréron », Abraham Chaumeix, Riballier, et bien d’autres encore :

‘     Ô muses ! imposez silence au détestable Coger, professeur de bavarderie au collège Mazarin, qui n’a pas été content des discours moraux de Bélisaire et de l’empereur Justinien, et qui a écrit de vilains libelles diffamatoires contre ces deux grands hommes. [...]
     Et vous, maître Aliboron, dit Fréron, ci-devant soi-disant jésuite, vous dont le Parnasse est tantôt à Bicêtre, et tantôt au cabaret du coin ; vous à qui on a rendu tant de justice sur tous les théâtres de l’Europe, dans l’honnête comédie de L’Écossaise ; vous, digne fils du prêtre Desfontaines, qui naquîtes de ses amours avec un de ces beaux enfants qui portent un fer et un bandeau comme le fils de Vénus, et qui s’élancent comme lui dans les airs, quoiqu’ils n’aillent jamais qu’au haut des cheminées ; mon cher Aliboron, pour qui j’ai toujours eu tant de tendresse, et qui m’avez fait rire un mois de suite du temps de cette Écossaise, je vous recommande ma Princesse de Babylone ; dites-en bien du mal afin qu’on la lise.
     Je ne vous oublierai point ici, gazetier ecclésiastique, illustre orateur des convulsionnaires, père de l’église fondée par l’abbé Bécherand et par Abraham Chaumeix ; ne manquez pas de dire dans vos feuilles, aussi pieuses qu’éloquentes et sensées, que La Princesse de Babylone est hérétique, déiste et athée. Tâchez surtout d’engager le sieur Riballier à faire condamner La Princesse de Babylone par la Sorbonne ; vous ferez grand plaisir à mon libraire, à qui j’ai donné cette petite histoire pour ses étrennes1235.’

Dans certains contes, au cours même de la narration, des traits peuvent être décochés au passage. Ainsi dans l’épisode parisien de Candide lorsque, pendant une conversation qui réunit Candide, Martin et « un petit abbé périgourdin », Fréron est à l’honneur, promu par antonomase au rang de type du « folliculaire » plein de fiel et dévoré d’envie :

‘( Quel est, dit Candide, ce gros cochon qui me disait tant de mal de la pièce où j’ai tant pleuré et des acteurs qui m’ont fait tant de plaisir ? ( C’est un mal vivant, répondit l’abbé, qui gagne sa vie à dire du mal de toutes les pièces et de tous les livres ; il hait quiconque réussit, comme les eunuques haïssent les jouissants : c’est un de ces serpents de la littérature qui se nourrissent de fange et de venin ; c’est un folliculaire. ( Qu’appelez-vous folliculaire ? dit Candide. ( C’est, dit l’abbé, un faiseur de feuilles, un Fréron 1236. »’

Fréron n’est pas non plus oublié dans L’Homme aux quarante écus, dans un passage apparemment plus modéré au cours duquel le narrateur, s’inspirant du marquis de Beccaria, plaide en faveur de la modération, et incite à mettre « de la proportion entre les délits et les peines ». Son indulgence concerne aussi Rousseau, dans un développement qui reprend l’essentiel des reproches que Voltaire adresse à l’« homme aux paradoxes » :

‘Pardonnons à ce pauvre Jean-Jacques lorsqu’il n’écrit que pour se contredire ; lorsqu’après avoir donné une comédie sifflée sur le théâtre de Paris, il injurie ceux qui en font jouer à cent lieues de là ; lorsqu’il cherche des protecteurs, et qu’il les outrage ; lorsqu’il déclame contre les romans, et qu’il fait des romans dont le héros est un sot précepteur qui reçoit l’aumône d’une Suissesse à laquelle il a fait un enfant, et qui va dépenser son argent dans un bordel de Paris ; laissons-le croire qu’il a surpassé Fénelon et Xénophon, en élevant un jeune homme de qualité dans le métier de menuisier : ces extravagantes platitudes ne méritent pas un décret de prise de corps ; les petites-maisons suffisent avec de bons bouillons, de la saignée, et du régime1237.’

Par leur contenu polémique, de tels développements contribuent ainsi à rendre problématique la frontière que l’on s’efforce de tracer entre le conte et le pamphlet. D’ailleurs, dans le chapitre qu’il consacre aux « formes fixes » de la prose au XVIIIe siècle, Gustave Lanson distingue « deux sortes de “ contes ” philosophiques » : « ceux où la narration, construite indépendamment de toute idée, sert de carcasse à supporter toute sorte de satires et de critiques que l’auteur fait éclater successivement comme des pièces d’artifice, et ceux qui sont construits pour démontrer par toutes leurs parties une thèse définie. » Et il illustre la première sorte de contes par l’exemple des Voyages de Scarmentado : dans ce conte, « les amours fidèles d’un prince et d’une princesse qui se poursuivent à tour de rôle à travers le monde, fournissent un dessin de narration, où Voltaire trouve le moyen de nicher toutes les choses et une partie des personnes qui ne lui agréent pas : la métaphysique, la guerre, les jésuites, la censure de Bélisaire, Coger, Larcher, Fréron, que sais-je encore ? C’est une fusillade incessante, ou, si vous préférez, un jeu de massacre : à chaque chapitre, à chaque phrase, un des “ bonshommes ” fait la culbute1238 ». La narration du conte fournit ainsi un cadre à l’intérieur duquel Voltaire déploie ses attaques, selon un procédé que nous avons déjà pu analyser à propos des pamphlets1239. L’effet de convergence est dès lors d’autant plus fort lorsqu’on a affaire à un pamphlet qui adopte la forme de la « relation », comme dans la Relation... du jésuite Berthier. René Pomeau remarque à cet égard que l’on retrouve, dans ce texte, « l’univers de ses contes1240 ». Du reste, le fait que Jacques van den Heuvel intègre la Relation... du jésuite Berthier dans son édition des contes pour le Livre de poche paraît significatif de la confusion qui peut s’opérer, dans le cas de Voltaire, entre pamphlets et contes.

L’analyse que Roland Mortier consacre à la « satire » du Pauvre Diable aboutit aux mêmes conclusions : « La suite des tribulations du pauvre diable importe peu. Suffit qu’il ait permis à Voltaire de traîner dans la boue les représentants les plus écoutés du parti dévot, depuis le milieu jésuite (assez nettement ménagé) jusqu’au parti janséniste, doublement odieux à ses yeux et d’autant plus férocement fustigé. Car ce n’est plus de raillerie qu’il s’agit ici, mais d’une véritable exécution littéraire où la passion et le ressentiment entraînent Voltaire, au-delà de la simple satire, jusqu’à la dénonciation, au pamphlet, voire même (pour Fréron) à l’insulte1241. »

Terminons par un extrait de cette « satire seconde » qu’est Le Neveu de Rameau. Lorsqu’en juin 1760 Diderot écrit à Malesherbes pour se disculper des allégations de ces « personnes mal instruites ou mal intentionnées » qui lui attribuent la Préface de la Comédie des Philosophes, il déclare :

‘Je n’ai point été à la pièce des Philosophes. Je ne l’ai point lue. Je n’ai point lu la Préface de Palissot, et je me suis interdit tout ce qui a trait à cette indignité. Loin de ces injures atroces, je ne serai point tenté de manquer à la promesse que je me suis faite et que je me suis tenue jusqu’à présent de ne pas écrire un mot de représailles. Quand les honnêtes gens veulent bien s’indigner pour nous, nous sommes dispensés de l’être1242.’

Si « jusqu’à présent » il n’a en effet pas écrit « un mot de représailles », force est pourtant de constater que Diderot s’emploie à venger de telles injures en grand secret, puisque Le Neveu de Rameau comporte à plusieurs reprises des développements sur Palissot et les habitués de la ménagerie de Bertin. Dans l’extrait suivant, le Neveu évoque le « pacte tacite » passé entre les « especes » dans son genre et leurs protecteurs : « on nous fera du bien, et [...] tot ou tard nous rendrons le mal pour le bien qu’on nous aura fait ». Entre autres turpitudes, le Neveu mentionne les démêlés de Palissot avec Helvétius. Le parallélisme est alors évident entre les accusations lancées contre Palissot et celles que Morellet avait complaisamment énumérées dans sa Vision de Charles Palissot :

La Vision de Charles Palissot 1243 Le Neveu de Rameau 1244

ET on [...] racontera [...] comment tu as fait de bonne heure de petits ouvrages & de grandes friponneries, [...]
ET comment tu as fait des satyres contre des personnes qui te recevoient chez elles, & comment tu as volé tes associés au privilege des Gazettes étrangeres, & comment tu as volé une caisse qui t’étoit confiée & comment tu as fait banqueroute,
ET comment tu as fait abjurer le Christianisme à un de tes camarades dans une partie de débauche & comment tu as fait de ta maison un mauvais lieu & comment ******** &c. [...]
ET lorsqu’on aura remué les ordures de ta vie, on s’étonnera de te voir devenu tout à coup l’Apôtre des moeurs & le défenseur de la Religion, & on demandera comment un homme qui n’a ni Religion, ni moeurs, ni probité, ose-t-il parler de probité, de moeurs & de Religion, & tu répondras que la foi couvre la multitude des péchés, & qu’il vaut mieux être frippon qu’incrédule & crapuleux que Philosophe, & on trouvera ta réponse bonne [...].


Qu’Helvetius jette les hauts cris que Palissot le traduise sur la scene comme un malhonnete homme, lui a qui il doit encore l’argent qu’il lui prêta pour se faire traiter de la mauvaise santé, se nourrir et se vetir. A-t-il dû se promettre un autre procedé, de la part d’un homme souillé de toutes sortes d’infamies, qui par passe-tems fait abjurer la religion a son ami, qui s’empare du bien de ses associés, qui n’a ni foi, ni loi, ni sentiment ; qui court a la fortune per fas et nefas ; qui compte ses jours par ses sceleratesses ; et qui s’est traduit lui même sur la scene comme un des plus dangereux coquins1245, impudence dont je ne crois pas qu’il y ait eu dans le passé un premier exemple, ni qu’il y en ait un second dans l’avenir. Non. Ce n’est donc pas Palissot, mais Helvetius qui a tort.

Cette défense de Palissot est évidemment polémique. Si les protecteurs qui accueillent de telles « especes » n’ont eu que ce qu’ils méritaient, c’est qu’« ils ont ete punis de leur imprudence ». En effet, explique le Neveu, « c’est nous que la Providence avait destiné de toute eternieté [sic] a faire justice des Bertins du jour ; et ce sont nos pareils d’entre nos neveux qu’elle a destinés a faire justice des Monsauges et des Bertins a venir ». Mais par un retour de balancier caractéristique de la conception du monde circulaire que développe le Neveu, la roue de la fortune amène les sages à rendre justice à leur tour aux « especes ». Car, « tandis que nous executons ses justes decrets sur la sottise, vous qui nous peignez tels que nous sommes, vous executez ses justes decrets sur nous1246 ». Ainsi se trouve légitimée la réponse à l’agression dont les « sages » sont victimes de la part des « especes ».

On voit que ces réponses pamphlétaires à l’adversaire peuvent donc se trouver dans ce qu’il est convenu d’appeler les “ oeuvres constituées ”, oeuvres que l’histoire a érigées en monuments de la littérature, par opposition à cette multitude de textes “ de circonstance ” dont relèveraient les pamphlets, rapidement périmés parce que trop exclusivement en prise sur ce contexte déterminé qui seul explique leur rédaction. Un tel phénomène n’est pourtant pas sans bouleverser quelque peu ces catégories, et nous invite à reconsidérer le rapport que les auteurs de notre période entretenaient avec le texte “ littéraire ”. Sans doute un homme comme Voltaire a-t-il manifesté une conscience aiguë de la distinction à établir entre ses tragédies, grâce auxquelles il comptait passer à la postérité, et ces « rogatons » qu’il écrivait pour son plaisir (et, n’en doutons pas, pour celui de ses lecteurs), au nombre desquels il plaçait, outre ses « petits pâtés », l’essentiel de ses contes. Sans doute aussi convient-il d’opérer, parmi ces « rogatons », de nouvelles distinctions. C’est ainsi par exemple que le soin que Voltaire a pu apporter à l’édition de ces « satires » que sont Le Pauvre Diable, Le Russe à Paris ou encore La Vanité, ainsi que la place qu’il demande à ses éditeurs de leur accorder dès les premières « collections complettes » de ses oeuvres1247, prouvent qu’il leur conférait une “ dignité littéraire ” supérieure à celle de bien d’autres textes qu’il ne songeait pas à recueillir pour les sauver du néant. Reste que ces contes de Voltaire qui, au fil des siècles, ont été sacralisés par l’institution littéraire, n’étaient sans doute pas perçus par leur auteur, et vraisemblablement aussi par son public, comme ses productions les plus remarquables. Reste surtout que ce culte de l’Oeuvre qui se met en place au XIXe siècle, et qu’a repris l’histoire littéraire, nous semble fausser les perspectives, et ne permet pas de rendre compte du rapport qu’au cours de notre période les écrivains entretenaient avec une création littéraire conçue non pas comme l’édification de monuments intemporels, tels qu’en eux-mêmes enfin l’éternité les change, mais comme indissociable du combat des idées, dont elle constitue un support privilégié. Car c’est au service de la “ bonne cause ” que nombre de ces textes, “ petits ” ou “ grands ”, ont été écrits, chacun avec les moyens que permettent leurs formes et les lois qui les régissent, ce qui n’est pas sans opposer des défis permanents à toute entreprise de classification. C’est ainsi que Roland Mortier remarque, dans son analyse des Trois Empereurs en Sorbonne, que

‘la parenté de ce conte, dans son argumentation et dans son répertoire d’exemples, avec de nombreux autres textes voltairiens est d’une éclatante évidence. La satire en vers ne procède pas autrement que la facétie en prose, le dialogue, le conte, le pamphlet, l’article de dictionnaire ou la correspondance. Il n’y a, hormis la forme, aucune différence radicale de nature entre Les trois empereurs, l’article Ravaillac des Questions sur l’Encyclopédie, la Canonisation de saint Cucufin, le Dîner du comte de Boulainvilliers, ou certaines notes acerbes à l’Examen important de Milord Bolingbroke, sans parler des petits libelles contre Riballier, Larcher et Coger, dit Coge pecus 1248.’

Encore convient-il de signaler que, comme nous l’avons vu, les distinctions de « forme » ne sont pas toujours évidentes à établir. S’il est vrai que les textes de notre corpus se caractérisent par une subversion des formes, si le pamphlet, par la parodie et le pastiche, ne trouve de forme propre que dans l’emprunt à des genres préexistants, il paraît dès lors impossible de mettre au jour des critères constitutifs susceptibles de définir un “ genre ” du pamphlet, dont on pourrait dégager la poétique. Nous avons certes pu identifier un certain nombre de modèles, qui prennent consistance dans des effets de séries. Mais ces modèles originaux eux-mêmes, replacés dans la succession des textes qui reprennent et subvertissent des modèles antérieurs, font apparaître une telle disparate que c’est en vain que l’on chercherait l’unité d’un “ genre ”. Si d’autre part le pamphlet emprunte sa forme à des genres préexistants, nous avons observé aussi que, réciproquement, certains textes, rattachés d’une manière explicite ou implicite à un genre constitué, pouvaient accueillir des attaques qui, selon l’expression de Roland Mortier, présentent des « parentés évidentes » avec celles qui sont conduites dans les pamphlets. C’est dire qu’il semble plus juste de parler, non pas d’un “ genre ” du pamphlet, mais d’une écriture pamphlétaire, relevant des catégories de la rhétorique, dont on a pu analyser les procédés1249.

Encore faut-il ajouter que si de tels procédés semblent caractéristiques de cette écriture pamphlétaire dont on trouverait des manifestations dans des écrits polémiques d’autres siècles, la spécificité des textes de notre période pourrait résider dans un style particulier, indissociable d’un certain ton qu’il s’agit de préciser.

Notes
1231.

 Examen du Bélisaire de M. Marmontel, pp. 37, 49-50 et 81-87.

1232.

 Censure de la Faculté de Théologie de Paris contre le livre qui a pour titre Bélisaire, pp. X et XV.

1233.

 Sur l’exploitation idéologique de la figure de Socrate, voir notre cinquième partie, chap. 1, § 1.2. Sans quitter le domaine du théâtre, et sur la question de la comédie satirique, voir notre première partie, à l’article “ Comédie satirique ”.

1234.

 Voir notre chap. 2, § 2.3.

1235.

 La Princesse de Babylone, dans Romans et contes, Paris, Gallimard, La Pléiade, pp. 413-414.

1236.

 Candide, chap. XXII, ibid., p. 203. Signalons qu’en 1760, dans la continuation apocryphe de Candide (reproduite dans l’édition de J. Goldzink, Paris, Magnard, coll. « Texte et contextes »), ce principe des traits décochés au passage est repris et amplifié, à l’encontre de Pompignan, Fréron, Trublet (pp. 321, 336 et 347), ou encore Berthier (pp. 357 et 360).

1237.

 L’Homme aux quarante écus, ibid., p. 456.

1238.

 G. Lanson, L’Art de la prose, pp. 182-183.

1239.

 Voir notre chap. 2, § 1.

1240.

 R. Pomeau, dir., « Écraser l’infâme », 1759-1770, chap. I, « “ Coups de patte ” à l’Infâme », p. 11.

1241.

 R. Mortier, Les Formes de la satire chez Voltaire, p. 51.

1242.

 Diderot, Correspondance, éd. établie par L. Versini, p. 201.

1243.

 La Vision de Charles Palissot, pp. 16-18.

1244.

 Diderot, Le Neveu de Rameau, p. 69.

1245.

 Diderot fait ici allusion à la comédie de L’Homme dangereux, que Palissot a tenté de faire représenter en 1770. Cette référence incite à penser qu’il s’agit là d’un ajout tardif au texte du Neveu.

1246.

 Diderot, Le Neveu de Rameau, p. 70.

1247.

 Sur cette question, voir notre troisième partie, chap. 1.

1248.

 R. Mortier, Les Formes de la satire chez Voltaire, p. 53.

1249.

 Voir notre chap. 1.