Chapitre 4
une Esthétique Du « Plaisant »

     Je ne veux pas dire que les piéces que j’imprime soient des impertinences, je parle seulement des sujets de ces piéces. Elles sont plaisantes & les sujets ridicules. Voilà tout ce que j’ai prétendu, sans vouloir offenser personne.
Recueil des facéties parisiennes,
Préface, p. IV.

Dans le « chant second » du Pauvre Diable, l’auteur fait s’exprimer un Voltaire apparemment plus soucieux d’« amuser le vulgaire » que de s’attacher, en « Historien sincère », à dévoiler la « vérité » :

Tout Ecrivain, qui met de son côté
Tous les rieurs, a dit la vérité ;
Et le grand art d’amuser le vulgaire
Vaut bien le nom d’Historien sincère1250.

Au-delà de l’intention polémique, cette confession met l’accent sur l’un des ressorts fondamentaux de l’écriture pamphlétaire, qui vise à susciter le rire. Le rire est en effet une arme redoutable, qui a pour vertu première d’imposer à l’adversaire les stigmates du ridicule, tout en divertissant un public friand de telles « plaisanteries ».

Or si l’on veut s’efforcer de cerner au plus près le ton spécifique qui caractérise les pamphlets de notre période, il importe de définir la qualité particulière de ce rire, avant de réfléchir à son impact sur le public. Car cette tonalité, qui contribue à modeler l’esthétique de nos pamphlets, n’est pas non plus sans incidences sur l’efficacité polémique de ces textes, à commencer par leur pouvoir de nuire.

C’est pourquoi nous nous efforcerons de montrer comment le recours au « sifflet satirique » constitue pour les pamphlétaire une réponse pertinente au « poison » que l’adversaire est accusé de distiller dans ses écrits. Or, s’il est vrai que l’efficacité des pamphlets repose notamment sur l’effet cumulatif qui résulte de la récurrence des attaques, se pose le délicat problème de l’innovation formelle : comment, en effet, rester « plaisant » en ressassant inlassablement les mêmes traits contre l’adversaire ? Enfin, peut-on faire rire à tout prix ? Ou le « grand art d’amuser le vulgaire » rencontre-t-il des limites, imposées par le “ bon goût ” ? La teneur de certaines attaques n’est-elle pas en effet de nature à susciter l’indignation contre l’agresseur plutôt que le rire contre l’agressé ?

Notes
1250.

 Le Pauvre Diable, chant second, p. 12.