Chapitre 2
la Conquête De L’opinion

L’opinion gouverne le monde ; mais ce sont les sages qui à la longue dirigent cette opinion.
[VOLTAIRE], Conformez-vous aux temps, dans Mélanges, éd. établie par J. van den Heuvel, p. 712.

Lorsqu’il écrit cette phrase, en 1764, Voltaire s’est engagé dans la lutte pour la réhabilitation de Jean Calas, au cours de laquelle il prend conscience de l’influence que peut avoir l’« opinion » sur le cours des événements. Resterait bien évidemment à préciser ce qu’il faut entendre par « opinion » : s’agit-il de celle des gens en place, au nombre desquels ces ministres que Voltaire s’efforce inlassablement d’intéresser à la cause qu’il défend ? S’agit-il de celle de ces élites éclairées qu’il espère rallier sous la bannière des philosophes ? S’agit-il enfin, plus largement, de ce qu’il est convenu d’appeler l’« opinion publique », dont Habermas situe l’émergence en France au cours du XVIIIe siècle ?

Si d’autre part « les sages [...] à la longue dirigent cette opinion », quelles seraient les modalités de cette entreprise qui semble conçue, dans l’esprit de Voltaire, comme une version “ philosophique ” concurrente à la direction des consciences (trop) longtemps exercée par l’Église ? En particulier, au-delà de l’exemple de l’affaire Calas, quelle place occupent les pamphlets rédigés dans le cadre de nos querelles dans cette “ conquête de l’opinion ” que les anti-philosophes comme les philosophes s’emploient à mener à bien ?

Il est essentiel de s’arrêter sur ces questions, qui impliquent une réflexion sur les enjeux du recours au pamphlet, et sur la signification de ces combats de plume qui s’engagent entre les deux camps en présence. À partir de l’analyse des relations complexes entre les gens de lettres et le pouvoir, nous nous efforcerons de mettre en évidence les différentes stratégies de conquête de l’opinion qui se font jour au cours de notre période, dans leur permanence et leurs évolutions. Enfin, nous nous interrogerons sur la capacité du pamphlet à véhiculer des valeurs, dans cette guerre littéraire entre philosophes et anti-philosophes ainsi offerte à l’appréciation du « public ».