Chapitre 3
politique De Voltaire

On l’a vu souvent s’exposer à l’orage presque avec témérité, rarement on l’a vu le braver avec constance : et ces alternatives d’audace et de faiblesse ont souvent affligé ses amis, et préparé d’indignes triomphes à ses lâches ennemis.
CONDORCET, Vie de Voltaire, p. 151.

Condorcet, que l’on ne peut guère suspecter d’antipathie à l’égard de Voltaire, est obligé de le reconnaître : entre autres faiblesses, le Patriarche a souvent manqué de « constance », y compris au cours des combats dans lesquels il se lançait avec le plus de conviction. Si, jusqu’ici, nous n’avons guère illustré que ses « audaces », il nous faut aussi dire un mot de ses « faiblesses », sans doute moins pour rendre justice à ses ennemis (car notre propos n’est pas d’instruire un éventuel procès de Voltaire), que parce qu’elles nous paraissent éclairer les données majeures de ce que l’on pourrait appeler, en détournant quelque peu le sens du titre de l’ouvrage de René Pomeau, la “ politique de Voltaire ”.

Dans les extraits de la correspondance que nous avons abondamment cités au cours de cette étude, certains leitmotive reviennent avec une particulière insistance, au nombre desquels les appels à l’union que Voltaire lance à ces philosophes parisiens qu’il baptise très tôt ses « frères ». Le phénomène est surtout remarquable autour des années 1760, alors que les philosophes voient leur entreprise mise à mal, notamment sous les coups des anti-philosophes, et que le Patriarche entreprend de diriger le combat philosophique. Or on ne peut qu’être surpris qu’après avoir victorieusement remporté la campagne contre Pompignan en l’accablant de pamphlets de sa façon, Voltaire délaisse obstinément sa plume lorsque, moins d’un mois après le tonitruant discours de réception à l’Académie, éclate la querelle de la comédie des Philosophes, pourtant d’une ampleur sans précédent au cours de notre période, si l’on en juge par l’abondante quantité de pamphlets échangés de part et d’autre. “ Silence éloquent ” cependant, selon le célèbre oxymore, lorsqu’on considère l’identité des protecteurs de Palissot, et la nature de leurs rapports avec les philosophes après la malheureuse affaire de la Vision de Charles Palissot, qui se solde, on s’en souvient, par l’embastillement de son auteur. Silence donc qui nous amènera à analyser de plus près les relations que Voltaire entretient avec le pouvoir, et ce qu’elles engagent au niveau de la stratégie d’action qui est la sienne.