les Vii Quand
en Maniere Des Viii
de M. De V***

ou
lettre
d’un
apprenti Bel-Esprit

qui Ne Manque Pas De Sens Commun,

a M. Son Pere, En Province,
pour Lui Donner Bonne Opinion De Lui.

‘Melius non tangere clamo :
Flebit.....
HOR. Satyr. [Note: Comme nous l’avons signalé, il s’agit là de la première réponse aux Quand de Voltaire présentés plus haut. L’inspecteur d’Hémery, qui signale ce pamphlet le 1er mai 1760, précise qu’il croit que c’est « M. Lefranc qui en est l’auteur » (B.N.F., ms. fr. 22161, f° 92). Le titre laisse penser que le pamphlet de Voltaire auquel répond ici Pompignan ne comportait que huit « quand », alors que le texte que nous avons donné en compte neuf. On peut en déduire que le texte qu’a lu Pompignan correspond à une version incomplète des Quand.] [Note: Nous reproduisons le texte de l’édition originale, qui figure dans un recueil factice conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal (Ars., 8°BL 34230(1)).]

MONSIEUR, MON TRÉS-CHER PERE,

VOUS savez que j’ai composé deux Tragédies, dans lesquelles j’avais fait mon possible pour m’approprier le stile de notre plus fameux Poëte tragique 1703 . Vous savez que Messieurs les Comédiens Français n’ont pas voulu les recevoir, & qu’ils m’ont [3] dit que j’étais encore trop au-dessous de mon modèle. Cela se peut bien : car je suis modeste, & je ne serai jamais insolent. C’était ma faute. J’ai voulu d’abord m’élever jusques aux grands ouvrages de notre Auteur ; & j’aurais dû commencer par m’exercer à copier ses petites productions. Il vient d’en paraître une, qui a été fort accueillie du Public, parce que c’est une méchanceté. Je me suis cru quelque talent pour réussir dans ce genre ; & il me semble qu’en attendant que je fasse de bonnes Tragédies, je dirai tout aussi bien de grosses injures d’un grand Poëte. Je me suis nourri de mon modèle ; je l’ai médité ; & j’ai fait, vaille que vaille, une noirceur qui a toutes les élégan [4] ces de la sienne. Ne jugez de mon stile qu’après avoir lu le petit Ecrit du grand Philosophe, qui m’a servi de guide. Si, après cela, les QUAND vous ennuient ; si vous trouvez la monotonie insipide, & plus de fiel que de sel dans la plaisanterie, vous direz : Hoc Ciceronis habet. Quand vous m’aurez lu, faites-moi imprimer dans notre Ville ; car j’aimerais fort à être Auteur. Mais que l’ouvrage ne porte pas mon nom ; car, si par hazard j’avais fait une sottise, il ne serait point assez célèbre pour la rendre illustre. [5]

LES VII QUAND

EN MANIERE DES VIII DE M. DE V,

Brochure très-courte & très-intéressante.

QUAND on s’est exilé de sa Patrie de peur d’en être banni, on peut ne rien craindre de ses loix, & publier hardiment des libèles contre des citoyens qui lui font honneur : mais il faudrait du moins, dans ces libèles, ne point emprunter le langage des Halles. Et d’ailleurs, quand on est assez faible, pour ne pouvoir lire, sans pleurer, la critique de ses propres ouvrages, il est toujours dangereux de vouloir faire rire, en mettant au jour une satyre.

QUAND un homme, né riche, est par-dessus cela homme de lettres, on ne doit point le tourner en ridicule [6] sur ce que, par hasard, il est riche : mais, Quand un homme de lettres devient très-opulent par la ruine de ses Libraires, il est démontré que ses richesses ne sont point l’effet du hasard. Il doit se trouver heureux qu’on le rende ridicule ; &, pour y parvenir, il a raison de se faire appeler M. le Comte.*1704

QUAND un Auteur fait honneur à son siécle par ses ouvrages, il faut qu’il soit bien mal-adroit, s’il ne peut se déguiser assez pour se faire honneur à lui-même par son caractère : mais il y a des coeurs si pervers, qu’avec tout l’esprit du monde, ils ne pourront jamais parvenir à se masquer.

QUAND on accuse une fameuse Aca [7] démie d’avoir pour maxime & pour loi de ne jamais parler de Religion dans ses assemblées, c’est une preuve qu’on les a peu fréquentées. Mais Quand, pour blâmer un Académicien d’avoir osé se montrer religieux, on lui impute de s’être donné des airs ; on devroit se rappeller qu’il y a tel autre Académicien qui, pour entrer dans cette société littéraire, s’est aussi donné des airs, sans que personne en fût la dupe ; attendu qu’il y a beaucoup de différence entre le stile noble de la Harangue du 10 mars, & la platte profession de foi de l’Epître au R. P. D. L. T., dont tout le Public a oublié la date.

QUAND certain Académicien a accusé certaine Philosophie de sapper les fondemens du Trône & de l’Autel, il est plus que probable qu’il n’a point eu en vue celle de certain Philosophe : [8] car, si celui-ci a fait dans sa vie tout ce qu’il a pu pour tourner en ridicule ce que la Religion a de plus sacré & ce que la Morale a de plus certain, il ne l’a fait que pour s’amuser, & tout au plus pour se faire lire. On sçait qu’en matière d’impiété, comme sur tout autre objet, il n’a aucuns principes ; & que certainement il est très-Catholique, dès qu’il a un accès de fièvre.

QUAND, après avoir eu l’honneur d’être accueilli par des Rois, on a fini par les trouver des personnages fort incommodes dans la société*1705 , c’est [9] se déceler soi-même, que d’entrer dans une colère si chaude contre les Sçavants qui mettent la fidélité & la soumission au nombre des devoirs qu’enseigne la Philosophie.

QUAND un méchant a eu des querelles avec un homme de bien1706, il n’est pas étonnant qu’il ait encore la brutalité d’insulter à sa cendre, de calomnier sa mémoire, & d’injurier quiconque ose le louer. Mais, Quand le Public se rappelle qu’une haine si durable a eu pour motif des préférences littéraires, il se dit à lui-même : « Les talents n’élèvent donc pas toujours l’ame ! On peut être, à la fois, & Poëte célèbre & Auteur bassement jaloux : mais, dans ce cas-là, on n’est point Philosophe. »

VOUS voyez, par cet échantillon, [10] MONSIEUR MON TRÉS-CHER PERE, que j’aurais pu faire un Quand quand beaucoup plus long. Mais, Quand on a une si belle matière, on fait très-bien de ne pas l’épuiser. Je suis, avec un profond respect, &c.

Ce 23 avril 1760.

FIN.

[11]

Notes
1703.

 Voltaire.

1704.

* Il y a dans Paris plusieurs Lettres de l’Auteur des Quand, qui sont signées le Comte de Tornet. (Note de l’auteur.)

1705.

* L’Auteur des Quand écrivit il y a quelques années à Madame D...., dans une Lettre dont elle a donné des copies : Quand pourrons-nous vivre & mourir dans les bras de l’amitié, dans quelque retraite inconnue à tous les hommes, & sur-tout aux Rois ? Quand on s’exprime ainsi, on se donne des airs, quelques motifs personnels que l’on puisse avoir de haïr l’autorité. (Note de l’auteur.)

1706.

 Maupertuis.