Les si.

SI on est Homme de Lettres, quand on a beaucoup lu, beaucoup écrit, &c. ; on est un Homme à détester, quand on a, sur la Religion, sur le Gouvernement, sur l’autorité, sur la société, sur le principe des vertus & des vices, les sentimens consacrés de nos jours dans plus d’un écrit.

SI on est Philosophe, quand on a fait des traités de Morale, &c. ; quel nom donnerons-nous désormais à celui qui, pénétré de vénération pour le culte de ses peres, plein de zéle pour la gloire & la prospérité de l’Etat, de respect pour l’autorité, de soumission aux loix, d’exactitude aux bienséances, d’amour pour la société, travaille en secret toute la vie à devenir meilleur Chrétien, meilleur sujet, meilleur Citoyen, meilleur humain ; ne donne au Public que des Ouvrages utiles, où brillent la vérité, la candeur, la modestie, la modération avec la force contre les nouveautés séduisantes, dont les [95] sectateurs se donnent les airs de bouleverser à leur gré la Religion, l’Etat, la société & les moeurs ?

SI pour être Homme de Lettres & Philosophe, il faut n’être ni vertueux, ni Chrétien ; on avoue que notre siécle l’emporte, en Philosophes, sur tous les siécles passés.

SI la haine de l’autorité n’étoit pas le caractere dominant des productions de notre littérature, on ne verroit pas le Public allarmé, les honnêtes Gens indignés, les vrais dévots désolés : on ne verroit pas tous les hommes sensés, les vrais Citoyens, les Amateurs de la société & de la vertu, déplorer la honte de leur siécle : on ne verroit pas enfin l’autorité sévir contre des Ouvrages qui feroient honneur à la Nation.

S’IL est une calomnie noire, atroce, horrible, détestable, c’est celle dont on se rend coupa[ble] en osant attribuer, faussement, témérairement & sans la moindre vraisemblance, à une secte imaginaire de Citoyens, le plus abominable des crimes. Seroit-ce là la nouvelle Philosophie ? [96]

SI les incrédules (& ce sont les seuls contre lesquels M. le F. s’est emporté) avoient quelque prétexte, quelqu’intérêt à prêcher les nouveaux dogmes, à se faire des disciples, ils choisiroient, pour réussir, la plus détestable de toutes les voies. Mais vouloir, sans aucun intérêt, nous rendre méprisable ce que nous avons eu jusqu’ici de plus sacré, vouloir effacer de l’esprit & du coeur des hommes ce qui est le plus profondément gravé, dans la seule vue de se distinguer par le beau titre de Philosophes & d’esprits forts, c’est le comble de l’extravagance.

SI c’est être criminel que de se servir des termes les plus forts, les plus énergiques, quand on fait entendre jusqu’aux pieds du Trône les gémissemens d’un Peuple accablé, M. le F. mérite le dernier supplice.

SIL est louable d’envenimer, par des interprétations malignes, ce qu’un Sujet fidele a cru pouvoir dire à un Monarque sensible & bien-aimé, l’Auteur des SI mérite la plus grande récompense.

SI, dans une harangue faite, non pas au [97] Roi, mais à l’Académie, c’est un crime de dire que les sentimens de bonté du Monarque suffisent pour adoucir les malheurs de ses Sujets ; si c’est là flatter l’autorité ; si c’est même passer au dernier dégré de la flatterie ; il faudra traiter d’indignes flatteurs, [de] courtisans bas & serviles, tous ceux qui, dans quelque occasion que ce soit, dans un Discours même où l’éloge du Roi est une obligation, s’aviseront de parler aux François de la bonté, de la sensibilité du Monarque qui les gouverne1708.

SI tous les différends des Gens de Lettres, contre lesquels M. le F. s’emporte, enfantent des libèles aussi peu polis, aussi peu modérés que celui des QUAND, des SI, & des POURQUOI ; déclamer contre une pareille façon de s’escrimer, en interdisant toutes personnalités, toute invective, n’est pas donner l’exemple de cette fureur : c’est vouloir la corriger.

SI ceux contre lesquels M. le F. s’emporte ne forment, tout au plus, qu’une secte de Gens de Lettres ; on ne doit pas dire, du Discours à l’Académie, que c’est une satyre des Lettres & de ceux qui les cultivent. [98]

SI les Bibliothéques formées des Ouvrages de notre siécle ne contenoient pas des écrits scandaleux, frivoles, ou insolens, on n’y trouveroit pas les Pensées Philosophiques, les Bijoux Indiscrets, l’Esprit, &c. &c. &c. &c. &c.

SI d’odieuses personnalités, dont on farcit ces misérables libèles, sont propres à dénoter une secte de Philosophes modérés, modestes, & qu’il faut respecter, nous ne pouvons marquer trop de vénération à l’Auteur de ces Notes & à sa secte.

SI les nouveaux Philosophes veulent se faire estimer, qu’ils n’écrivent pas qu’on ne peut atteindre à la sublimité de leurs sentimens ; qu’ils ne s’arrogent pas le premier rang dans la société ; qu’ils respectent la naissance, les dignités ; & qu’ils se jugent eux-mêmes, au travers de leur orgueil & de leur vanité.

S’IL est vrai que quelques Philosophes peuvent mourir aussi chrétiennement que M. de Maupertuis, ce n’est pas une raison de ne pas décrier leur vie, si elle est scandaleuse & répréhensible. [99]

SI un Auteur a donné occasion, dans ses Ouvrages, de tirer des conséquences téméraires & impies, & qu’il refuse de les désavouer ; il est bien justement taxé d’irréligion & d’impiété. En matiére de religion & de moeurs, on n’est jamais long-temps accusé & innocent.

SI M. de Maupertuis a été faussement accusé, ce n’est pas une raison pour ne pas accuser ceux qui, comme M. de Maupertuis, ne désavouent pas, sincèrement, publiquement & expressément, les sentimens qu’on leur suppose.

SI, pour faire respecter la religion par cette foule d’Ecrivains modernes qui ne peuvent se dispenser d’en parler & d’en médire, il n’y avoit d’autre voie que de convaincre des incrédules obstinés, & d’éclairer des aveugles ; c’est alors que l’impiété & l’impudence marcheroient tête levée. Mais, par malheur pour ces nouveaux cathécumènes, la sûreté de l’état, l’intérêt de la société, les cris du public, demandent qu’on puni[ss]e ces cyniques apostats, dont les écrits infâmes feront éternellement la honte & l’opprobre de l’humanité. [100]

Notes
1708.

 Ce paragraphe répond au passage suivant des Si de l’abbé Morellet : « SI un homme qui accuse les Philosophes de vouloir sapper les fondemens du Trône & de haïr l’autorité, avoit peint de couleurs odieuses une recherche de possessions des Citoyens, sagement ordonnée par le Souverain, s’il avoit appellé cette recherche un genre d’Inquisition, ressemblant à un dénombrement d’esclaves, si ce même homme avoit osé envenimer, par une ironie insolente & injuste, l’attention que son Roi a donnée à des essais d’Agriculture, si dissimulant ce qu’il y a de louable dans ces amusemens vraiment dignes d’un Monarque, il n’y avoit trouvé qu’une occasion de lui dire avec amertume : Sire, des spéculations, des machines qu’on vous présente, des essais faits sous vos yeux ne rendront pas nos champs moins incultes ; le Parc de Versailles ne décide point de l’état de nos Campagnes. Cet homme, après avoir insulté de la sorte à l’autorité ne seroit-il pas bien imprudent d’accuser des Citoyens paisibles & soumis, de haine pour l’autorité ? » (Les Si, pp. 80-81.)