les Quand,

ou

avis Salutaires

a Un Pécheur Notoire De Fait & De Droit, Qui
tend À L’impénitence Finale.

Outre la violence de son propos, et la forme des « quand » qu’il adopte, ce pamphlet, signalé par l’inspecteur d’Hémery à la date du 5 juin 1760 (B.N.F., ms. fr. 22161, f° 98 verso), pose un véritable problème d’attribution. Barbier avance en effet le nom de l’abbé Morellet, ce qui ne laisse pas de surprendre de la part d’un homme qui vient de faire paraître, et avec quel bruit, la Vision de Charles Palissot (voir le texte, reproduit plus bas), et qui donc se présente clairement comme un défenseur des philosophes. Philosophes qui viennent d’être doublement agressés, dans le discours de réception de Lefranc de Pompignan (ces « Quand » se rattachent à cette querelle), puis dans la comédie des Philosophes de Palissot. Il est donc pour le moins étonnant que ce même Morellet se lance dans une virulente diatribe contre Voltaire, qui apparaît alors sinon comme l’« oracle », du moins comme le chef de file des philosophes. Plusieurs arguments nous semblent dès lors pouvoir être avancés pour contester l’attribution de Barbier.

Tout d’abord, on ne peut qu’être surpris par le silence qui entoure ce pamphlet. Certes, de tels textes sont de ceux qu’il est sage d’ignorer, en particulier quand l’agressé s’appelle Voltaire. On trouve bien, dans une lettre adressée à d’Alembert du 10 juin 1760 (Best. D 8968), une allusion à de « mauvais quand » qui ne suscitent que l’indifférence du Patriarche1714. Mais il peut très bien s’agir des VII Quand de Lefranc de Pompignan (hypothèse retenue par Theodore Besterman), ou des Réponses aux Quand, aux Si et aux Pourquoi, car il mentionne également l’existence de « mauvais pourquoi » (voir les textes, reproduits plus haut). Plus intéressant en revanche est le silence de Morellet dans ses Mémoires. Lui qui relate d’une manière très circonstanciée les péripéties qui ont jalonné l’affaire de la Vision, ne dit rien de ces Quand qui, il est vrai, s’il en était l’auteur, ne lui feraient guère honneur, et s’accorderaient singulièrement mal avec le portrait du défenseur de la philosophie qu’il entend donner de lui-même dans ces pages. D’autant que ces Quand ne renvoient pas la même image que Morellet propose de Voltaire, lorsqu’il évoque sa visite à Ferney (pp. 204-205). Sauf à invoquer la duplicité de l’abbé « Mords-les », on comprend mal un tel déferlement d’agressivité à l’encontre de Voltaire, que Morellet admire vraisemblablement, à en juger par les expressions qu’il lui emprunte, notamment dans la Vision, lorsqu’il évoque le « bel auto-da-fé » annuel « où on brûlera à petit feu un certain nombre de gens de Lettres pour le salut & l’édification des autres » (p. 8), ou lorsqu’il brocarde « Maître Aliboron, dit Fréron de l’Académie d’Angers » (p. 9). L’hypothèse de l’auto-flagellation semble encore moins crédible. Lors de l’interrogatoire qui a suivi son arrestation pour avoir composé la Vision, Morellet avoue en effet « qu’il est aussi l’auteur [...] des notes sur la Prière universelle de Pope, imprimées en dernier lieu.1715 » Or c’est en particulier ce pamphlet que l’auteur des Quand prend pour cible, dès la première page : « Quand avec un scandale inoui on a osé produire une Epitre à Uranie, où la plus punissable irréligion est présentée, un Poëme de la Pucelle, amas honteux d’impiétés, d’ordures grossières, de criminelles insolences contre son Roi & ce qu’il y a de plus respectable, on ne doit point relever la Priere universelle de Pope ; ou du moins si on a cette audace, on n’a point celle de l’accompagner de faussetés dont on ne sçauroit manquer d’être démenti. »

Tant d’incohérences auraient de quoi confondre ! C’est pourquoi il nous paraît plus simple de considérer que le pamphlet que nous reproduisons ci-dessous n’est pas de l’abbé Morellet, mais émane bien plutôt de quelque anti-philosophe attaché à défendre l’honneur de Lefranc de Pompignan.

IL est un homme qui doit son existence au plagiat & à l’envie ; dans les secousses que donnoient à son esprit des mouvemens jaloux, il a souvent enfanté des satyres révoltantes. Il a méconnu son Dieu, il a manqué à son Souverain, il s’est fermé les portes de sa Patrie. Confiné dans un repaire industrieusement acquis des deniers qu’il a sçu tirer de ses finesses typographiques, il éléve encore une voix rauque contre les vivans illustres & les morts. C’est par un tel moyen qu’il se console des orages que son ambition insensée & l’oubli de tous ses devoirs ont suscité contre sa [1] propre vie. Il débite hardiment des mensonges atroces, parce qu’il ne connoît point la vérité : les regards de cette même vérité le confondroient bientôt s’ils étoient un instant fixés sur lui.

Il est bon cependant de lui dire que

Quand avec un scandale inoui on a osé produire une Epitre à Uranie, où la plus punissable irréligion est présentée, un Poëme de la Pucelle, amas honteux d’impiétés, d’ordures grossières, de criminelles insolences contre son Roi & ce qu’il y a de plus respectable, on ne doit point relever la Priere universelle de Pope ; ou du moins si on a cette audace, on n’a point celle de l’accompagner de faussetés dont on ne sçauroit manquer d’être démenti. Mais quand on a reçu des traitemens ignominieux, qu’il y auroit même de l’indécence à rapporter, est-on sensible à un démenti public ?

Quand pour tout mérite on ne posséde que l’art de rhabiller les pensées d’autrui, que malgré l’étalage de beaucoup de volu [2] mes, on ne peut se dissimuler que rien n’est de son propre fond, on n’a garde d’insulter son maître ; il faut se taire & fléchir devant lui.

Quand dans une lettre à un sçavant Astronome, on vient tout récemment de s’élever contre les Regratiers de la Littérature, ennemis irréconciliables des succès & du génie ; on n’imite point ces Regratiers en usant des invectives dont ils se servent.

On ne manque point à gens infiniment supérieurs à soi, surtout quand par des corrections corporelles1716 on a été averti que c’est une grande faute.

Quand on a fait retentir les Tribunaux*1717 de la Capitale & des Provinces de barbares & indignes vexations, d’infidélités fréquentes dans ses engagemens & d’une insatiable cupidité, on ne s’arme point pour la Philosophie que jamais on n’a con [3] nue, ou qu’on a du moins si bassement trahie.

Quand enfin à cause d’un perpétuel esprit de vertige & de tracasserie, on s’est fait chasser de tous les asyles, on doit se réserver quelques jours pour le repentir : mais quand on est né fou, turbulent, inquiet, envieux & médiocre, on meurt avec ces dons de la nature, comme le Serpent meurt de son venin.

FIN

[4]

Notes
1714.

 « Et alors on m’envoyait de mauvais quand et de mauvais pourquoi contre moi, et je disais je m’en fous en style académique. »

1715.

 Cité par J. Delort, Histoire de la détention des philosophes et des gens de lettres à la Bastille et à Vincennes, p. 333.

1716.

 Allusion au guet-apens de la rue Saint-Antoine, ourdi à l’instigation du chevalier de Rohan.

1717.

* Procès contre Travenol, contre un Juif, contre des Marchands de Bled à Lyon, &c. &c. &c. (Note de l’auteur.)