épitre
à Monsieur Pal*****, Auteur
de La dunciade.
J’AI lu, mon cher, l’ingénieux ouvrage,
Que te dicta ton esprit trop malin ;
Plus d’un lecteur sourit à chaque page,
Et tu répands des fleurs & du venin
Sur les écrits de ta muse peu sage.
Ne crains-tu pas que les auteurs enfin
Ne soient piqués d’un pareil badinage ?
Le nombre est grand de ceux dont tes bons mots
A découvert ont montré le visage ;
Ils pourraient bien quelque jour dans leur rage
Trop se venger de tes plaisants propos.....
Rassure-toi, ceux que Phébus engage
Sont amateurs des charmes de la paix ;
Ce n’est qu’en vers qu’ils montrent du courage ;
Dans leurs écrits ils font un grand tapage,
Mais par raison ne se battent jamais. [3]
CETTE lorgnette
1766, échue en ton partage,
Qu’on découvrit en bêchant ton jardin,
Fait bien honneur au célebre MERLIN ;
Mais il pouvait paraître encor plus sage ;
De la lorgnette étendant le pouvoir,
Il aurait pu te faire appercevoir
Nombre de Sots errants sur chaque plage.
NE trouve-t-on qu’au milieu de Paris
Un plat rimeur qu’on croit grand personnage ;
Le dieu des vers entouré d’étourdis,
Des faux savants l’importun verbiage,
Mille travers, un mauvais persifflage ;
Cet opéra qu’on veut trouver exquis,
Même en dépit du sévere langage,
Que contre lui tient la saine raison ?
Mais quelque jour cet orgueilleux bouffon
Nous charmera par son honteux naufrage.
MERLIN devait mettre tout en usage
Pour fabriquer un verre plus perçant,
Qui découvrît chaque Sot à l’instant,
Même fût-il au plus lointain rivage.
Quelle douceur de lorgner l’univers, [4]
D’appercevoir tout d’un coup ses travers,
De démasquer le faux & l’étalage
De tout pédant, & des faiseurs de vers !
Ah ! qu’à Merlin mon coeur rendrait hommage !
Oui, si j’étais un de ses favoris,
Qu’il m’en donnât ce trop précieux gage,
Le jour, la nuit, j’en voudrais faire usage ;
Tu lorgnais les travers de Paris,
Et moi les Sots qui sont en tout pays.
Je pourrais bien, fixant ton hermitage,
Te découvrir, la lunette à la main,
Obéissant aux ordres de MERLIN,
Et parcourir gens de ton voisinage.
Mais en cherchant les Sots de tout étage,
Tu pourrais bien aussi m’appercevoir ;
Et je suis sûr que la raison t’engage
A ne jamais regarder ton miroir.
N****. [5]
la Dunciade,
OU
LA GUERRE DES SOTS.
_______________
CHANT QUATRIEME.
le Bâton.
___________________
JE vais finir cet élégant ouvrage,
Que produisit un censeur né mordant ;
Je vais conter le terrible accident
Qui terrassa l’auteur du badinage,
Et qui mit fin à ses propos joyeux.
VOUS, jeunes gens, qui courez à la gloire,
Et qui parlez le langage des dieux,
Ne soyez point des critiques fâcheux ;
Que PAL.... frappe votre mémoire ;
Pour votre bien retenez son histoire.
STUPIDITÉ
1767 s’éloignant d’APOLLON,
Voulut au moins avoir une retraite, [7]
Pour y cacher sa honte & sa défaite ;
Elle s’en fut aussi-tôt chez FRERON
(17681),
Qui la reçut comme sa souveraine.
La déité craignant le Dieu des vers,
Chez son ami se renferme sans peine ;
Là, d’un pédant elle affecte les airs ;
Tous les dix jours, SOTTISE un peu trop vaine,
Fait, sans pitié, bâiller notre univers,
Et le mortel que sans cesse elle inspire,
Prête son nom à tout ce qu’elle écrit ;
Là, sans rien craindre, elle outrage & déchire
Le dieu des vers, le bon goût & l’esprit.
CHARMÉ d’avoir confondu son audace,
Et l’escadron qui suit ses étendards,
PHEBUS s’envole au sommet du Parnasse ;
Mais quel objet vient frapper ses regards !
Il apperçoit les neuf Soeurs irritées,
Qui de fureurs paraissent transportées ;
Même des pleurs s’échappaient de leurs yeux.
« Ah ! dit PHEBUS, d’où naissent vos alarmes ?
« Apprenez-moi le sujet de vos larmes.
« Comme autrefois, un jeune homme audacieux
« Oseroit-il soupirer pour vos charmes
(17692) ? [8]
« Pouvez-vous donc ignorer la noirceur,
« Dont est capable un insolent rimeur ?
« Lui répondit aussi-tôt Uranie.
« Vous connaissez le malheureux génie,
« Qui soumet tout à sa mauvaise humeur,
« Qui se moqua de la philosophie ;
« Il ne devait insulter que les Sots ;
« Et cependant, excité par l’envie,
« Il a le front de lancer ses bons mots
« Sur DIDEROT, MARMONTEL & DUCLOS.
« A ses dépens lui-même apprête à rire.
« Nous dédaignons plus d’un abbé TR....
(17703),
« Plus d’un D....
(17714), & plus d’un POINSINET
(17725),
« De qui, sans doute, aujourd’hui la satyre
« Peut librement se jouer & médire.
« Mais dans un temps si fertile en faquins [9]
« On devrait même épargner les DAQUINS
(17736).
« Comme un maçon S..... peut écrire
(17747),
« Chez la SOTTISE avoir le premier rang,
» Et s’y trouver au-dessus de LE F....
(17758) ;
« Mais qu’un censeur, enfantant des bévues,
« Avec les Sots place les MARMONTELS,
« Voilà pourquoi vous nous voyez émues :
« Dissipez donc des chagrins trop cruels.
« Laisserez-vous, dans le siecle où nous sommes,
« Impunément bafouer de grands hommes ?
« Que l’insolent éprouve nos mépris ;
« Et vengez-vous d’un téméraire ouvrage,
« Où l’on noircit vos plus chers favoris.
« Oui, dit PHEBUS, c’est moi que l’on outrage ;
« Je punirai PAL.... trop surpris ;
« Il apprendra combien mon coeur l’abhorre :
« Et je prétends, pour l’accabler encore,
« Que ma vengeance éclate dans Paris. [10]
DEPUIS long-temps le dieu des vers conserve
Certain trésor que lui donna MINERVE ;
C’est un bâton simple, mais précieux,
Et trop souvent utile dans ces lieux ;
Par un pouvoir singulier & magique,
A la raison il met un satirique.
PHEBUS le prête à qui veut s’en servir ;
A plus d’un grand il a daigné l’offrir ;
Plus d’un auteur en sentit la puissance,
Et prudemment garde un humble silence :
Même on prétend que jadis DESPREAUX,
Qui, sans égard, déchira ses rivaux,
Par lui reçut un avis salutaire ;
On dit aussi qu’il corrigea V.....
Mais c’est en vain que l’on voudrait compter
Tous les mortels dont ce bâton propice
Vint dissiper le fiel & la malice.
Le blond PHEBUS se le fait apporter,
Vole à Paris pour venger son injure ;
Il prend d’abord la taille & la figure
D’un gros garçon, d’un laquais vigoureux ;
La présidente & la vive marquise
Auraient jeté maints regards amoureux
Sur APOLLON, sur sa personne exquise,
Croyant lorgner Champagne ou Poitevin.
CHEZ PAL.... PHEBUS arrive enfin ;
« Trop loin, dit-il, vous poussez la licence,
« Vous insultez plus d’un grand écrivain, [11]
« Qui fait honneur à son siecle, à la France :
« Mais voyez-vous ce que j’ai dans la main ?
« Vous en allez savoir bientôt l’usage ;
« Je vais vous rendre & plus doux & plus sage ;
« Soumettez-vous à l’arrêt du destin.
A CE discours PAL..... immobile
Baisse en pleurant sa paupiere débile ;
Il se soumet, glacé par la frayeur,
Au châtiment commun à tout rimeur ;
Il tend l’épaule à la main trop agile,
Et le bâton fit alors son effet.
Le malheureux gémit, demande grace,
Et reconnaît combien il a mal fait :
Le Dieu content s’en revole au Parnasse.
PROFITEZ bien de l’utile leçon,
O vous, rimeurs, qui vous mêlez d’écrire ;
On peut braver le sifflet d’APOLLON,
C’est un vain bruit dont on ne fait que rire ;
Mais craignez tous le merveilleux bâton.
FIN.