Chapitre 1. Discipline scolaire et question du pouvoir 57

Les travaux d'E.Durkheim nous semblent incontournables dans la définition de notre objet, compte tenu du fait qu'il est sans doute l'un des premiers sociologues à avoir posé la question de la discipline scolaire, question qui se trouve au coeur de ses analyses sur les fonctions du maître dans l'éducation entendue comme une "socialisation méthodique de la jeune génération". Nous interrogerons ensuite certaines thèses qui présentent l’école soit comme un instrument qui reproduit les rapports de domination existant dans la société, soit comme une institution qui protège la société contre les enfants pauvres qu’elle éduque à l’écart. Enfin nous essaierons de comprendre (en articulant parfois des théories qui présentent entre elles des différences non négligeables) les changements qui affectent le rapport aux règles impersonnelles à l’école en relation avec des transformations dans le politique, à savoir l'instauration du nouveau rapport de domination inhérent au processus de la formation étatique marquant la constitution des sociétés occidentales au XIXème siècle. Ce processus se caractérise par l’apparition de la domination légale-rationnelle (M.Weber), par les techniques disciplinaires “douces” investissant le corps à travers les schémas de docilité (M.Foucault) et par les processus d’intériorisation du contrôle des affects et des pulsions (N.Elias).

Avec les transformations relatives à la constitution de l’Etat moderne, on assiste à un glissement dans les formes d’exercices du pouvoir, ce qui ne signifie pas pour autant la disparition des relations de domination à l’école. M. Weber souligne combien le rapport de domination existe même s’il est engendré par un contrat formellement libre: “Que l’obéissance soit formellement <<imposée>> en vertu de la discipline militaire ou qu’elle soit formellement <<volontaire>> en vertu de la discipline d’atelier, cela ne change rien au fait que la discipline d’atelier elle-même correspond à une domination” 58 . L’apparition de la forme scolaire a marqué de toute façon l’instauration d’une relation pédagogique qui n’est autre qu’un rapport de pouvoir entre un “maître” et ses “élèves”, comme l’a montré G.Vincent: “Il y a pédagogie dans la mesure où un savoir, un savoir-faire se transmettent dans des formes qui peuvent être travaillées, non seulement pour accroître la rapidité de la transmission, la durée de l’acquisition, mais obtenir des effets indépendants des effets de ce qui est transmis, en particulier des effets de pouvoir” 59 . C’est donc aux formes du pouvoir exercées à l’école que nous nous intéresserons, en comprenant leurs transformations corrélativement à des changements intervenus dans d’autres relations sociales et dans la perspective de mieux saisir la forme actuelle de la “discipline scolaire”.

Notes
57.

Dans ce chapitre, nous ferons souvent référence aux ouvrages de G.Vincent: L'école primaire française, PUL, Lyon, 1980, 344p. et de R.Chartier, MM. Compère et D.Julia, L'éducation en France du XVIème au XVIIIème siècle, Société d'édition d'enseignement supérieur, Paris, 1976, 304p.

58.

Economie et société/1. Les catégories de la sociologie, Ed.Plon, 1995, p.287

59.

L’école primaire française, p.24