c) L'autonomie de la volonté

Pour autant, pour agir moralement, il ne suffit pas de respecter la discipline et d'être attaché à un groupe: "il faut encore que, soit en déférant à la règle, soit en nous dévouant à un idéal collectif, nous ayons conscience, la conscience la plus claire et la plus complète possible, des raisons de notre conduite" 86 . Le troisième élément de la moralité est donc l'intelligence de la morale où "la règle qui prescrit les actes" doit être "librement voulue c'est-à-dire librement acceptée, et cette acceptation libre n'est autre chose qu'une acceptation éclairée" 87 . Selon Durkheim, les évolutions de la conscience morale des peuples contemporains rendent nécessaire cette intelligence de la morale, transmise sous la forme d'un enseignement rationnel qui constitue le trait distinctif de la morale laïque:"les faits moraux sont des phénomènes naturels qui relèvent de la seule raison. Car il n'y a de science possible que de ce qui est donné dans la nature, c'est-à-dire dans la réalité observable. Parce que Dieu est en dehors du monde, il est dehors et au-dessus de la science; si donc la morale vient de Dieu et l'exprime, elle se trouve par là-même hors des prises de notre raison" 88 .

L'éducation morale suit apparemment une logique antinomique, puisque d'un côté les règles morales apparaissent comme extérieures à notre volonté et d'un autre côté, nous ne pouvons concevoir comme moral qu'un acte que nous avons accompli en toute liberté, sans subir de pression. La notion d'"autonomie de la volonté" doit permettre de dépasser cette contradiction: en acceptant librement l'idée qu'il est dans notre nature d'être limité par des forces qui nous sont extérieures, en comprenant la nécessité des règles morales et de leur caractère impératif, nous restons encore certes passifs à l'égard de la règle qui nous commande, mais en même temps nous prenons une part active "en la voulant délibérément", en connaissant "sa raison d'être". Notre personnalité ne se trouve diminuée que si l'obéissance passive à laquelle nous consentons ne se fait pas "en pleine connaissance de cause": "Quand, au contraire, nous exécutons aveuglément une consigne dont nous ignorons le sens et la portée, mais en sachant pourquoi nous devons nous prêter à ce rôle d'instrument aveugle, nous sommes aussi libres que quand nous avons seuls toute l'initiative de notre acte" 89 .

Notes
86.

ibid, p.101

87.

L'éducation morale, p.101

88.

idem, p.102

89.

ibid, p.100