c) La discipline scolaire: une morale pratique régulière de tous les instants

L'esprit de discipline s'inculque à l'enfant par la pratique de la discipline scolaire plus que par les "leçons de morale", "à travers une gamme étendue d'objets et de conduites sur laquelle se déploie le sens de la règle scolaire" 130 : travail de "mise en ordre régulée" à l'intérieur même des savoirs scolaires et dans l'organisation des activités, régularité demandée à l'élève, régulation du temps et de l'espace. L'intérêt de l'analyse durkheimienne, c'est cette attention au détail des pratiques disciplinaires qui, au-delà de la référence directe à la règle scolaire dans les règlements, renvoient à l'éducation morale par le caractère régulier de la vie scolaire quotidienne.

Les contenus intellectuels des enseignements peuvent contribuer à l'éducation morale, notamment les sciences expérimentales dans lesquelles Durkheim voit une méthode pour appréhender le monde social et former le caractère moral: "il faut faire sentir la nécessité de l'expérience, de l'observation, c'est-à-dire la nécessité pour nous de sortir de nous-mêmes pour nous mettre à l'école des choses, si nous voulons les connaître et les comprendre. C'est à cette condition que l'enfant acquerra le sens de l'écart qu'il y a entre la simplicité de notre esprit et la complexité des choses: car c'est précisément à mesure que les hommes se sont rendu compte de cet écart qu'ils ont aussi reconnu la nécessité de la méthode expérimentale. La méthode expérimentale, c'est la raison raisonnante prenant conscience de ses limites et abdiquant l'empire absolu qu'elle s'attribuait à l'origine" 131 .

L'activité morale a pour fin les sociétés qui, au même titre que les minéraux ou les êtres vivants, sont supérieures à l'individu, mais restent empiriques et naturelles: "Les sociétés font partie de la nature; elles n'en sont qu'un compartiment séparé, spécial, une forme spécialement compliquée, et, par conséquent, les sciences de la nature physique peuvent nous préparer à bien comprendre le règne humain, et nous munir de notions justes, de bonnes habitudes intellectuelles, qui pourront servir à diriger notre conduite" 132 . L'enseignement artistique et littéraire "ouvre les voies à l'esprit de désintéressement et de sacrifice", mais la culture esthétique diverge de la culture morale du fait que "le domaine de l'art n'est pas le réel" 133 . Enfin Durkheim perçoit une portée morale et civique dans les enseignements historiques qui mettent l'enfant au contact de l'esprit collectif de son pays.

Notes
130.

P. de Gaudemar, Durkheim, sociologue de l'éducation, textes réunis par F.Cardi et J.Plantier, Ed. L'Harmattan, INRP, Universités Lyon 2/Rennes 2, Journées d'étude des 15-16 octobre 1992, 1993, Paris, p.17

131.

L'éducation morale, pp.222 et 223

132.

idem, pp.225 et 226

133.

ibid, p.229