II- L’action scolaire d’assujettissement et d’enfermement des enfants

1- L’école comme reflet des rapports de domination de la société ?

C.Baudelot et R.Establet, suivant une interprétation sociologique d'inspiration marxiste, ont analysé l’”école capitaliste” comme une institution (un “appareil idéologique d’Etat”, selon l’expression d’Althusser) chargée de transmettre “l’idéologie de la classe dominante” aux enfants, en dotant des qualités requises celui qui sera amené à diriger l’industrie capitaliste (pour qu’il devienne un “interprète actif de l’idéologie bourgeoise” 134 ) et en faisant accepter sa condition à celui qui subira cette idéologie capitaliste (il s’agit de former “des prolétaires passivement soumis à l’idéologie dominante” 135 ). Dans cette perspective, la liaison est directe et unilatérale entre le “politique” et l’école, entre une structure sociale et un système d’enseignement chargé d’inculquer l’”idéologie et la domination bourgeoises”. Les analyses de C.Baudelot et R.Establet reposent sur la thèse selon laquelle le système d’enseignement est duel contrairement à ce que fait croire “l’idéologie bourgeoise”: celle-ci entretient l’illusion d’une école “égale pour tous et unifiée” 136 , alors qu'elle est divisée en deux réseaux, le "primaire-professionnel" et le "secondaire-supérieur", la division des deux réseaux de scolarisation étant “directement déterminée par la division du travail <<manuel>> et du travail <<intellectuel>>” 137 et donc reproduisant les effets de la structure de la société capitaliste où s’opposent prolétariat et bourgeoisie. Autrement dit, la bourgeoisie inculquerait son idéologie aux “futurs bourgeois” comme aux “futurs prolétaires”, mais sous deux formes différentes et c’est la “division de la société en classes antagonistes qui explique en dernier ressort non seulement l’existence des deux réseaux, mais encore (ce qui les définit comme tels) les mécanismes de leur fonctionnement, leurs causes et leurs effets” 138 .

A partir de ce cadre théorique où l’école est un “appareil idéologique de l’Etat capitaliste” qui contribue à “reproduire les rapports de production capitaliste, c’est à dire en définitive la division de la société en classes, au profit de la classe dominante” 139 , C.Baudelot et R.Establet en viennent à interpréter le “rôle” de la discipline à l’école comme un processus souvent répressif visant l’inculcation de l’idéologie dominante. Mais face à cette oppression destinée surtout à soumettre les enfants d’ouvriers, les élèves appartenant au prolétariat montreraientune résistance liée à leur “instinct de classe” qui correspond à des “formes spontanées de la conscience de classe” 140 . Les effets de la “conscience de classe prolétarienne” seraient principalement localisés dans le réseau primaire-professionnel,“enserré de toutes parts par la condition ouvrière: origine sociale des élèves bien sûr, mais aussi pression quotidienne sur ces élèves des conditions matérielles d’existence du prolétariat, et surtout, destination objective de l’immense majorité d’entre eux: la production” 141 . Le travail de C.Grignon sur les collèges d’enseignement technique, où l’on relève des formes particulièrement brutales d’indiscipline (actes de démolition, violences envers les enseignants, rébellion, langage ordurier, refus de l’enseignement général qui n’est pas directement utile...) apporte la preuve selon C.Baudelot et R.Establet que “l’inculcation de l’idéologie bourgeoise” rencontre des résistances dans le réseau primaire-professionnel, qui manifestent “l’instinct de classe” des élèves.

Mais selon C.Baudelot et R.Establet, ces formes de refus et de résistances ne sont pas à interpréter comme des “réactions, des attitudes prolétariennes plus ou moins conscientes de protestation” 142 aux formes d’inculcation de l’idéologie bourgeoise. En fait, il faut adopter un point de vue dialectique sur la manière dont “par l’appareil scolaire, la bourgeoisie impose son idéologie comme idéologie dominante”: dans le combat à l’initiative de la bourgeoisie, il s’agirait pour celle-ci d’”empêcher à toute force, par la division des réseaux, par le dédoublement de sa propre idéologie, etc, que l’instinct de classe ne se transforme en idéologie prolétarienne” 143 . C.Baudelot et R.Establet prennent l’exemple de deux classes du technique dont les élèves ont répondu à la question: “Voyez-vous un intérêt à l’étude de l’histoire et de la géographie?”. Les réponses apportées permettent de voir le tri opéré par ces élèves dans les matières, qui montre qu’ils sont moins intéressés par certaines formes du savoir géographique et historique (géographie physique, déroulements chronologiques ou détails historiques "sans importance" appris par coeur) que par l’histoire contemporaine, celle des problèmes politiques et sociaux actuels dont ils auraient conscience de l’utilité qu’elle pourrait leur apporter plus tard, en tant qu’”arme”. Les auteurs voient là une preuve du fait que l’idéologie prolétarienne ne se limite pas simplement à des résistances, qu’elle est aussi une forme positive qui ne demande qu’à s’exprimer, mais dont le développement est stoppé par l’idéologie bourgeoise. L’efficacité de l’appareil scolaire dans la lutte idéologique de classes viendrait donc de son opposition à ce que l’idéologie prolétarienne se réalise pleinement, à travers la “fusion de la conception scientifique de l’histoire et de l’expérience concrète de la lutte des classes” 144 .

Or, il nous semble que cette interprétation des actes d’”indiscipline” est contestable sur deux aspects: tout d’abord, elle fait comme si l’école n’était qu’un “décalque” des rapports de force de la société qu’elle serait chargée de reproduire. Cela ne signifie pas pour autant que nous adhérons à l’idéologie démocratique selon lequel l’école est égalitaire et donne ses chances à tout le monde et nous adopterons ici plutôt le point de vue d’E.Plenel selon lequel “La recherche d’une traduction scolaire limpide de la reproduction sociale est vaine: parce que l’institution est elle-même un champ de luttes, parce que des demandes sociales contradictoires s’y affrontent et, surtout, parce que l’école n’est pas dans un rapport d’instrumentalisation directe par la classe dominante” 145 . L’analyse socio-historique permet de replacer le rôle propre de l’école dans la société et de voir en quoi le système scolaire n’est pas seulement une “agence” de reproduction sociale. Ainsi, l’apparition de la “discipline scolaire” telle que nous la connaissons actuellement est corrélative de l’émergence de la forme scolaire, elle n’est pas le fruit de “l’idéologie bourgeoise” voulant “soumettre” l’idéologie prolétarienne et les enfants de milieux ouvriers. Il est intéressant de voir que les petites écoles de charité de C.Démia et J.B de La Salle dont les motivations premières étaient plus de catéchiser, d’inculquer aux enfants des habitudes d’ordre, de respect des lois que de les alphabétiser réellement ont permis néanmoins d’apprendre quelques rudiments de lecture et d’écriture à certains enfants (sans doute pas tous et de manière imparfaite) et de contribuer ainsi à la diffusion des pratiques d’écriture.

Par ailleurs, l’interprétation des formes d’”indiscipline” rencontrées chez les enfants d’ouvriers en termes de “résistances prolétariennes” ne nous satisfont pas entièrement, car elles laissent à penser que les élèves agissent consciemment, poussés par cette “conscience de classe” qui les amène à refuser “l’inculcation idéologique bourgeoise”. Or nous pensons que les résistances de certains élèves d’origine ouvrière doivent être aussi interprétées en terme de refus moins conscient, voire d’incompréhension de certaines formes de relations sociales scolaires, dont ils sentent confusément qu’elles vont à l’encontre de leur manière de faire et leur manière d’être, en un mot de leur “éthos de classe”.

Il nous semble que J.Testanière 146 reproduit le même genre de dichotomie que celle relevée dans L’école capitaliste en France, (même si son travail ne se situe pas dans une perspective théorique marxiste), quand il présente les changements dans les formes de chahut des élèves de l’enseignement du second degré comme le passage depuis une forme traditionnelle propre aux enfants des milieux bourgeois jusqu’à une forme anomique, caractéristique des élèves provenant des milieux ouvriers. L’accroissement de la démographie scolaire dès les années 60, et surtout la démocratisation, l’ouverture de l’enseignement secondaire à des catégories sociales moins favorisées auraient entraîné une population scolaire plus hétérogène et moins intégrée, occasionnant la disparition du chahut traditionnel au profit d’un chahut anomique. Ce symptôme d’une mauvaise intégration des enfants d’ouvriers à l’école 147 serait le produit d’un état d’anomie provoqué par la “modification de la composition sociale du public <...> dès lors que le système pédagogique n’est pas transformé” 148 .

Dans l’acception qu’en donne J.Testanière, le chahut traditionnel témoigne d’un profond respect des valeurs culturelles de l’école et d’une “intériorisation” des normes scolaires, il est organisé par le groupe-classe (tout le monde participe, bons comme mauvais élèves), il se dirige plutôt vers le personnel subalterne (surveillants, éducateurs) et rarement contre les professeurs des matières principales. Il marque “les temps forts de la vie collective” et il exprime, il renforce “l’intégration du groupe scolaire en lui donnant conscience de son unité” 149 . Le chahut traditionnel ne serait en fin de compte qu’une “négation momentanée de l’ordre scolaire” (qui en confirme en fait “l’excellence”), un “désordre” provisoire, alors que le chahut anomique mènerait lui à la “désorganisation”, c’est à dire une forme individuelle d’indiscipline, sans meneur ni plan prévu à l’avance, à travers laquelle quelques élèves se révoltent contre les normes et les buts de l’institution et qui conduirait au chahut irrégulier, imprévisible de tous les professeurs, sans distinction de matière. Le chahut anomique révélerait ainsi un refus du système scolaire, il caractériserait une certaine révolte et une non-intériorisation des normes scolaires de la part des élèves d’origines ouvrières.

Dans la définition retenue par J.Testanière, le chahut est toujours un acte volontaire, conscient: “Faute de pouvoir distinguer le désordre involontaire (et nous devons admettre qu’avec le temps l’élève se conforme de plus en plus à l’ordre pédagogique dont il a intériorisé les valeurs) de l’intention de chahuter, il faut appeler chahut tout cas de désordre qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif, accompli par l’élève lui-même, et qu’il savait devoir produire ce résultat” 150 . Or, on peut objecter à J.Testanière de ne pas laisser assez de place aux comportements “involontaires” qui peuvent se produire chez des élèves dont l’ethos ne les prépare pas à comprendre et à maîtriser les règles du jeu de l’espace scolaire. C’est ce que souligne par exemple B.Lahire:“lorsque les règles du jeu des deux espaces de socialisation (famille et école), d’une part sont trop différentes et, d’autre part, ne peuvent être vécues harmonieusement par les enfants, alors ces derniers restent en décalage par rapport aux exigences et aux contraintes scolaires” 151 .

Par ailleurs, J.Testanière nous semble trop décrire la classe comme une “petite société” (pour reprendre l’expression durkheimienne), dont les changements dans la structure sociale entraînent des réactions de la part des élèves, plus ou moins organisées en fonction du degré d’homogénéité de la classe et surtout qui indiquent le plus ou moins fort degré d’intégration des élèves. Dans cette analyse, l’école serait en quelque sorte un microcosme social que J.Testanière décrit dans des termes proches de la conception fonctionnaliste selon laquelle les conflits sociaux ne naissent que là où l’harmonie est rompue, là où certains individus (en l’occurrence les élèves d’origines populaires) ne respectent pas les “valeurs de base” et ne se conforment pas à la discipline “nécessaire” dans une société, c’est à dire ne se soumettent pas aux règles qui garantissent la vie collective et l’ordre établi. L’analyse de J.Testanière décrit d’un côté un chahut “normal”, parce qu’il s’intègre aux règles du système scolaire, il les respecte et un chahut “anormal” qui provient d’une modification du système social et qui correspond à un état anomique, c’est à dire de “dérèglement social” (le concept d’anomie relevant du langage sociologique de Durkheim et d’autres fonctionnalistes, comme Merton). Or, il nous semble trop rapide d’interpréter les problèmes de discipline rencontrés par la présence d’enfants en inadéquation avec les normes du système scolaire comme s’il s’agissait d’une "anomalie", d’une "maladie" survenant dans une micro-société.

Enfin P.Woods analyse dans une perspective de type interactionniste les “incidents perturbateurs” provoqués par les élèves dans les classes comme le produit d’attitudes rationnelles: “Beaucoup de comportements d’élèves semblent dépourvus de but, de sens, d’importance. C’est précisément souvent le cas dans les actes d’agressions. Mais la recherche sur les perspectives propres aux élèves dévoile un comportement rationnel à de tels comportements” 152 . Selon P.Woods les enfants issus de foyers ouvriers répudient les valeurs de la classe moyenne représentée à l’école (ambition, indépendance, acceptation de gratifications différées, bonnes manières...) et développeraient leur propre “contre-culture” en réaction au système conventionnel: “La contre-culture scolaire entretient donc des rapports de similarité avec la culture prolétarienne -opposition à l’autorité, rejet du conformisme, simplicité, haut degré de sexisme et de racisme, plaisir à se retrouver entre copains, s’amuser, chaparder; beaucoup d’<<enfantillages>> et de <<couillonnades>>. Les garçons se divertissent fort et, loin d’envier les conformistes, les <<oreilles sages>> se sentent vraiment supérieurs à eux. Par cette analyse, l’organisation scolaire, bien qu’elle puisse être importante et même décisive pour certains élèves, ne représente qu’un facteur subalterne pour les autres. De plus, la contre-culture n’est pas seulement une réaction à la ligne officielle, qu’on ne pourrait définir que négativement en termes d’éléments rebelles. Elle représente un mode de vie légitime” 153 . Cette analyse présente les résistances des élèves d’origines ouvrières comme autant de comportements rationnels, conscients et organisés en “contre-culture” se rattachant à une culture de classe et à ses valeurs contre l’ordre officiel. P.Willis 154 (dont P.Woods s’inspire en partie) a décrit les comportements des élèves issus de familles ouvrières dans l’enseignement secondaire en Angleterre comme des “formes culturelles d’opposition de la classe ouvrière”; cette opposition à l’autorité officielle serait de même nature à l’école et à l’usine, la “culture anti-école” propre à la culture ouvrière conduisant finalement les élèves d’origines ouvrières à “faire le choix volontaire” d’aller à l’usine.

Au total, les travaux de C.Baudelot et R.Establet, J.Testanière et P.Woods situés dans des champs théoriques bien différents nous semblent se heurter à deux écueils. Premièrement, dans leur manière de présenter les actes “d’indiscipline”, ces recherches se réfèrent toutes (à leur façon) à une conception de l’école qui agirait comme une reproduction sociale, ce qui n’empêche pas que nous pensions que l’école est un lieu d’assujettissement de l’enfant selon certaines modalités d’exercice du pouvoir et que ces modalités réussissent inégalement en fonction de la proximité entre les dispositions socialement acquises par l’enfant dans son milieu familial et celles scolairement valorisées. Dans cette perspective et pour reprendre les propos de G.Vincent qui s’appuie sur l’analyse socio-historique de l’école et ses relations avec le politique, nous préférerons considérer l’école non pas comme un “reflet de l’organisation politique”, mais bien plutôt comme un “relais” 155 . Le deuxième point qui nous paraît contestable dans les travaux de C.Baudelot, R.Establet, J.Testanière et P.Woods concerne la manière de présenter les enfants d’origines ouvrières comme s’ils étaient animés d’une “conscience de classe”, ou tout au moins d’une conscience de leurs conditions et de leurs positions dans l’espace social, ce qui les conduirait à adopter consciemment (même de manière inorganisée) des formes de contestation contre l’ordre établi à l’école (sous la forme par exemple une “contre-culture”).

Cependant, loin de nous l’idée de nier que les enfants d’origines populaires ont une perception suffisamment juste de la place qu’ils occupent avec leur famille dans les rapports de domination dans la société et de nombreux travaux sur les cultures et le mode de vie populaires apportent la preuve du contraire. Ainsi, R.Hoggart 156 décrit bien à travers les pratiques quotidiennes vécues et observées dans sa famille appartenant aux milieux populaires, les sentiments de son enfance liés à des conditions matérielles très précaires et à une situation dominée à maints égards (notamment par la prise en charge de l’assistance publique ou de la paroisse). Sa description montre combien l’enfant qu’il était avait une conscience aiguë des rapports de domination, de la puissance que donnent les privilèges et de la méfiance vis à vis du “monde des autres”, “disposant de tous les pouvoirs et difficile à affronter sur son propre terrain” 157 . Les oeuvres littéraires d’Azouz Begag (Le gône du Châaba ) ou d’Annie Ernaux (La place, Les armoires vides ) sont autant de témoignages des expériences d’étrangeté et d’extériorité que peut ressentir un enfant de milieux populaires dominés face aux formes culturelles et aux formes de relations sociales dominantes d’une société, qu’il rencontre notamment à l’école 158 .

La conscience du “décalage” entre des manières d’être et de se comporter, la compréhension d’un rapport de domination défavorable aux milieux populaires notamment à l’école, peut amener les élèves à une forme de contestation plus ou moins collective et organisée; mais elle peut conduire aussi à une non-soumission involontaire ou bien non maîtrisée face à des formes d’exercices de pouvoir qui ne sont pas toujours directement “lisibles” et “interprétables” en tant que rapports de domination. Par exemple, un élève qui arrive constamment en retard à l’école va à l’encontre d’un principe de temporalité fondamental dans la forme scolaire (et donc dans le respect de l’ordre scolaire). On peut analyser différemment ce “manquement”, par des interprétations qui ne sont pas exclusives entre elles: comme une conduite consciente destinée à perturber le déroulement de la classe (pour “se faire remarquer” par les autres élèves, pour se venger d’un enseignant...), comme des difficultés à respecter des impératifs horaires, qui proviendraient de dispositions acquises dans un milieu familial où les habitudes seraient peu tournées vers la régularité et la ponctualité, comme une “souffrance” par rapport au milieu scolaire où l’élève n’arrive pas à aller, car il y rencontre des échecs.

En fait, le problème vient de l’interprétation ultérieure de cette “conscience” repérée chez les enfants ouvriers et s’il nous paraît excessif de gommer une forme de résistance à la culture dominante de la part des classes populaires 159 , il nous paraît tout aussi exagéré de décrire ces milieux comme figés dans une attitude constante d’opposition et de revendication 160 . Ces formes d’interprétation opposées oscillent entre les deux écueils (le “misérabilisme” et le “populisme”) décrits par C.Grignon et JC. Passeron dans Le savant et le populairepour retracer les difficultés du sociologue (ou de tout locuteur d’une culture dominante) qui ne veut pas tomber dans un ethnocentrisme de classe quand il parle des “cultures populaires”: le populisme accorde une importance exagérée à l’autonomie des cultures populaires, par excès de relativisme culturel et par oubli du rapport de domination entre des classes sociales, alors que le misérabilisme accentue trop la théorie de la “légitimité culturelle” niant ainsi la possibilité pour les milieux populaires d’avoir leur mode de vie indépendamment des contingences matérielles et de l’imposition d’une culture dominante.

Dans cette perspective, nous pensons que l’origine des formes de résistance et d’indiscipline chez les enfants d’ouvriers doit être élargie au-delà de l’interprétation unique en termes de “contre-culture” à l’encontre du système conventionnel scolaire ou bien de résistance clairement consciente et préparée contre “l’idéologie bourgeoise” ou contre les “normes et buts de l’école”. Mais notre interprétation ne compte pas rejoindre à l’inverse la version “misérabiliste” de l’analyse des modes de vie populaires, et il ne s’agit pas non plus de décrire les enfants de milieux populaires comme complètement “assujettis” et “sans résistance” face à l’école.

Notes
134.

Pour reprendre une expression de C.Baudelot et R.Establet, dans L’école capitaliste en France, Ed Maspéro, Paris, 1970, p.160

135.

C.Baudelot et R.Establet, L'école capitaliste en France, p. 160

136.

“L’école n’est continue et unifiée que pour ceux qui la parcourent en son entier: une fraction déterminée de la population, principalement originaire de la bourgeoisie et des couches intellectuelles de la petite bourgeoisie”, C.Baudelot et R.Establet, dans L’école capitaliste en France, pp. 18 et 19

137.

C.Baudelot et R.Establet,L’école capitaliste en France, p.120. Les auteurs écrivent plus loin que: “La division sociale du travail, qui attend les individus à la sortie du processus de scolarisation, en a déjà déterminé le mécanisme dès le départ” (p.123)

138.

idem, p.42

139.

C.Baudelot et R.Establet, L'école capitaliste en France, Ed Maspéro, 1970, p.42

140.

idem, p.174

141.

ibid, p.179

142.

ibid, p.186

143.

ibid, p.187

144.

C.Baudelot et R.Establet, L'école capitaliste en France, Ed Maspéro, 1970, p.191

145.

E.Plenel, La République inachevée. L’Etat et l’école en France, Ed. Payot, Paris, 1985, p.24

146.

“Chahut traditionnel et chahut anomique dans l’enseignement du second degré”, Revue française de sociologie, VII-VIII, 1967, pp.17 à 33

147.

L’interprétation de C.Baudelot et R.Establet diffère sensiblement puisqu’il faut voir là selon eux les conséquences de “l’instinct de classe” des fils d’ouvriers qui “résistent aux formes d’inculcation idéologique qui sont en contradiction avec cet instinct”. Les réactions des fils d’ouvriers à la discipline vont à l’encontre de la culture secondaire-supérieure et ses “petits jeux désinvoltes ou ascétiques”, culture petite-bourgeoise très sensible à “l’esprit de compétition et à la réussite aux examens” (contrairement aux fils d’ouvriers) ce qui prouve qu’elle reste attachée aux éléments essentiels de l’inculcation secondaire-supérieure (L’école capitaliste en France, Ed Maspéro, Paris, 1970, pp.185 et 186)

148.

J.Testanière dans “Crise scolaire et révolte lycéenne”, Revue française de sociologie, XIII, 1972, p.3

149.

J.Testanière, “Chahut traditionnel et chahut anomique dans l’enseignement du second degré”, Revue française de sociologie, VIII, n° spécial, 1967, p.21

150.

idem, p.21

151.

B.Lahire, Tableaux de famille, Gallimard/Le Seuil, Paris, 1995, p.56

152.

P.Woods, L’ethnographie de l’école, A.Colin, Paris, 1990, p.60

153.

P.Woods, L’ethnographie de l’école, A.Colin, Paris, 1990, p.60

154.

P.Willis, “L’école des ouvriers”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°24, nov.1978, pp. 51 à 61

155.

L’école primaire française, p.9

156.

dans 33 Newport Street (autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises)et La culture du pauvre

157.

La culture du pauvre, Ed. de Minuit, Paris, 1970, p.117

158.

A.Ernaux explique par exemple: “La politesse entre parents et enfants m’est demeurée longtemps un mystère. J’ai mis aussi des années à <<comprendre>> l’extrême gentillesse que des personnes bien éduquées manifestent dans leur simple bonjour. J’avais honte, je ne méritais pas tant d’égards, j’allais jusqu’à imaginer une sympathie particulière à mon égard. Puis je me suis aperçue que ces questions posées avec l’air d’un intérêt pressant, ces sourires, n’avaient pas plus de sens que de manger la bouche fermée ou de se moucher discrètement” (dans La place, Gallimard, Paris, 1983, p.72)

159.

Les travaux de M. de Certeau montrent l’usage et la réappropriation que font les milieux populaires des cultures diffusées et imposées par les élites, ce qui témoigne d’une “résistance” à l’imposition de certaines formes culturelles dominantes; dans un autre domaine, M.Verret a décrit également (dans Le travail ouvrier ou La culture ouvrière) les formes de contestation et de militantisme dans la classe ouvrière.

160.

C.Grignon et JC Passeron rappellent que la culture populaire se vit aussi comme une culture dominée, et qu’elle est donc sous certains aspects une culture d’”acceptation” et de “dénégation”: “Les cultures populaires ne sont évidemment pas figées dans un garde-à-vous perpétuel devant la légitimité culturelle, ce n’est pas une raison pour les supposer mobilisées nuit et jour dans un garde-à-vous contestataire”(dans Le savant et le populaire, Gallimard/Le Seuil, St Amand, 1989, p.90)