1- Le processus de rationalisation dans les sociétés occidentales

Selon Max Weber, la rationalisation est un phénomène propre essentiellement à la civilisation occidentale: elle est le résultat du développement de la science et de la spécialisation scientifique. Ce sont les recherches pratiques des hommes ainsi que le développement des techniques scientifiques qui ont permis d’organiser la vie différemment et qui ont conduit à transformer les conditions matérielles d’existence. Dans les autres civilisations, on trouve aussi des recherches pratiques, des réflexions et une certaine sagesse philosophique, mais c’est seulement en Occident qu’on trouve cette démonstration rationnelle basée sur les mathématiques ou des expérimentations effectuées dans les laboratoires avec des instruments de mesure précis: d’ailleurs l’approche rationnelle de la physique, la chimie, l’astronomie s’est effectuée en Occident. Mais ce trait distinctif fondamental de l’Occident, la rationalisation, a pour caractéristique qu’il n’est pas limité à un domaine (comme ici la science), il s’applique en fait à tous les secteurs d’activités de l’être humain. Ce processus de rationalisation a donné naissance à l’organisation très spécifique d’un état (avec ses institutions spécialisées, sa constitution écrite) et d’une bureaucratie (avec des juristes, des spécialistes et des techniciens). La conduite rationnelle dans les affaires, l’économie rationnelle sont également propres à l’Occident, avec notamment le capitalisme. Cette rationalisation se serait étendue également aux domaines artistiques (la musique, l’architecture...), l’époque de la Renaissance étant un moment fort de la rationalisation de l’art. Enfin, la religion elle-même serait marquée par cette rationalisation.

Selon Weber, cette rationalisation (ou aussi “intellectualisation”) nous a conduit à une maîtrise plus grande du monde extérieur et des conditions de vie sans que cela amène forcément les occidentaux à être plus heureux 203 . Cette rationalisation ne signifie pas non plus une augmentation de nos connaissances générales sur les conditions dans lesquelles nous vivons:“Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu’à chaque instant nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu’il n’existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie; bref que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision” 204 . Ainsi donc, alors que la rationalisation produit un désenchantement du monde, elle manifeste et elle engendre aussi chez l’homme une confiance dans ses possibilités à maîtriser les phénomènes qui nous entourent.

Notes
203.

Max Weber décrit au contraire une profonde insatisfaction de la part de l’homme vivant dans la civilisation occidentale, qui subit de la lassitude, une insatisfaction, un “désenchantement” face à ce progrès qui n’en finit plus: “il y a toujours possibilité d’un nouveau progrès pour celui qui vit dans le progrès; aucun de ceux qui meurent ne parvient jamais au sommet puisque celui-ci est situé dans l’infini” ( Le savant et le politique, pp.70 et 71)

204.

Max Weber, Le savant et le politique,p.70