II- Les évolutions dans la « discipline scolaire »: châtiments corporels et réglementation

La théorie de la forme scolaire permet d’une part de mettre à l’écart certaines conceptions posées comme évidentes, notamment l’idée selon laquelle la “discipline” est un ensemble de moyens “naturellement” indispensables au maintien des enfants dans des conditions propres à leur faciliter l’apprentissage scolaire 301 ; cette théorie montre d’autre part combien l’émergence de cet “ordre nécessaire” dans une classe et la manière de “faire respecter cet ordre” sont corrélatifs de l’apparition de la forme scolaire. Ainsi, selon E. Durkheim, la justification de l’apparition des châtiments physiques à l’école par leur utilisation préalable au sein de la famille est dépourvue de tout fondement historique: les punitions corporelles ne se seraient pas d’abord constituées dans la famille pour passer de là à l’école, mais elles seraient “tout entières, en tant que système régulièrement organisé, d’origine purement scolaire”: “Quand l’éducation est exclusivement familiale, <les punitions corporelles> n’existent que d’une manière sporadique, à l’état de phénomène isolés. La règle générale est plutôt, dans ce cas, l’extrême indulgence; les mauvais traitements sont rares. Ils ne deviennent réguliers, ils ne constituent une méthode disciplinaire que quand l’école apparaît, et, pendant des siècles, cette méthode se développe comme l’école elle-même" 302 .

Cependant si le concept de forme scolaire impose selon G.Vincent de comprendre le “principe d’engendrement” de cette configuration socio-historique particulière qui "émerge" à partir du XVIème siècle (sinon, comment parler de "forme"?), cette "unité" récurrente que l'on retrouve à travers les transformations de l'école et ses pratiques, et que l'on peut définir comme le "rapport à des règles impersonnelles", la théorie de la forme scolaire permet aussi de saisir, de prendre en compte la dimension du changement, de la modification à travers cette “permanence”. C'est pourquoi, nous voudrions nous interroger sur les transformations relatives à l'"ordre" et son "imposition" à l'école en fonction de cet invariant que constitue le rapport aux règles impersonnelles. Notre objectif n'est évidemment pas de faire une description exhaustive de toutes les manières de "maintenir l'ordre" à travers l'histoire de l'institution scolaire, mais bien d'en analyser les évolutions significatives afin de saisir les fondements actuels de ce qu'on nomme la "discipline scolaire". Les variations dans l'utilisation des châtiments corporels nous semblent être un bon indicateur des transformations de la "discipline scolaire", transformations corrélatives aux évolutions de la forme scolaire où le rapport de pouvoir et le rapport au corps ne disparaissent pas mais prennent des formes différentes.

Notes
301.

Cette idée est contenue par exemple dans la circulaire du 23 novembre 1971: “Il va de soi que, pendant les heures scolaires, l’une des obligations essentielles de l’instituteur est de faire respecter l’ordre et la discipline dans sa classe, en veillant notamment à éviter toute dissipation de nature à perturber l’enseignement ou à entraîner des risques de dommages corporels pour les enfants”

302.

E. Durkheim, L’éducation morale, PUF, Quadrige, Paris, p.157