1- La peine corporelle « gratuite »

R. Chartier, D.Julia, MM.Compère en dressant un portrait de la manière dont les "apprentissages scolaires" étaient réalisés en Europe au XVème siècle, soulignent le caractère arbitraire, cruel, d'une "pédagogie" sans norme:"Le fouet et le baiser sont les deux faces d'une éducation qui met ensemble mignotage et châtiment et qui n'a point, comme plus tard, la méfiance d'un corps que le maître peut cajoler ou meurtrir" 303 . Les écrivains de la Renaissance dénoncèrent violemment ces pratiques, parmi lesquels Montaigne, Rabelais ou Erasme qui plaide pour un véritable réquisitoire contre les "tortures scolaires":"On ne dirait pas que c'est une école, mais une salle de torture: on n'y entend que crépitement de férules, sifflements de verges, cris et sanglots, menaces épouvantables" 304 . Mais ces dénonciations restent vaines et le christianisme ne change rien à ces pratiques, sauf pour leurs justifications: le châtiment corporel est alors associé à la "macération des chairs" pour en "extirper le péché" 305 .

Selon E. Durkheim, c’est lorsque la vie scolaire du Moyen Age arrive elle-même à son plus haut point de développement et d’organisation, que les peines auraient atteint leur maximum d’intensité: “L’arsenal de ses peines s’enrichit, leur application est plus fréquente, à mesure que la vie scolaire devient plus riche, plus complexe, plus organisée. Et il y a dans la nature de l’école quelque chose qui incline si fortement à ce genre de punitions qu’une fois établies, elles persistent pendant des siècles, en dépit des mesures de prohibition légales les plus répétées. Ce n’est qu’avec la plus extrême lenteur qu’elles reculent, sous la pression de l’opinion publique” 306 .

Notes
303.

L'éducation en France du XVIème siècle au XVIIIème siècle, p.112

304.

Erasme, "Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis", cité par R. Chartier, MM.Compère, D.Julia dans L'éducation en France du XVIème siècle au XVIIIème siècle, p.112

305.

Par exemple au XVIème, Ignace de Loyola (de la Compagnie de Jésus) considérait dans ses “exercices spirituels” que la troisième manière de faire pénitence est de “châtier la chair”, c’est à dire d’”infliger au corps une douleur qui se sent”, notamment en se flagellant mais sans pour autant entraîner de trop gros dégâts corporels qui causeraient des maladies ou “altéreraient” les forces

306.

E.Durkheim, L’éducation morale, PUF, Quadrige, Paris, 1992, p.157