4- L’ autodiscipline

Les nouvelles méthode de la fin du XIXème siècle impliquent une autre forme d’assujettissement de l’élève, dans la perspective d’une “éducation du jugement”, d’une “régulation de la liberté par la <<raison>>” 340 . Les auteurs des réformes scolaires de 1880 dont le caractère n’est pas entièrement novateur 341 insistent alors beaucoup sur la compréhension intellectuelle de l’écolier dans ses apprentissages et son corollaire dans le comportement, “savoir se conduire” en comprenant la nécessité de la règle. Une nouvelle manière d’assujettir va prendre place, essayant d’avoir une emprise “de l’intérieur” sur l’enfant et nécessitant la mise en place d’une science nouvelle, la psycho-pédagogie: à la fin du XIXème siècle, les pédagogues utilisent dès lors abondamment des notions comme l’attention, la raison, l’imagination, la conscience, l’imitation...

Qu’en est-il de l’utilisation des châtiments corporels à l’école? L’arrêté de Victor Cousin (ministre de l’instruction publique en 1840) proscrit les peines corporelles à l’école (cette interdiction nous paraît significative, même s’il n’est pas raisonnable de penser qu’elle ait été appliquée du jour au lendemain par tous les maîtres 342 ); le même arrêté précise que les“seules punitions que l’on puisse infliger sont: 1°) La mise à genoux pendant un quart d’heure au plus 2°) La perte de la place obtenue dans les divers exercices 3°) La privation ou la restitution d’un ou plusieurs billets de satisfaction <...> 6°) La privation d’une partie ou de la totalité de la récréation 7°) L’écriteau désignant la nature de la faute. Les écriteaux, collés sur de petites planchettes, sont passés au cou de l’élève” 343 . A ce propos, E.Plenel fait remarquer le changement dans la signification des punitions qui relèvent d’un “accroissement de la dose d’apprentissage”: “l’exercice recopié, les traditionnelles lignes, les conjugaisons répétées, remplacent le fouet d’hier. La sanction ne se contente plus d’accabler: elle devient régénérante”

Une lecture rapide des textes légiférant les punitions à l’école peut nous donner une idée de l’évolution concernant l’interdiction relative aux punitions corporelles et les sanctions autorisées. L’arrêté du 18 janvier 1887 (modifié le 12 juillet 1918) indique qu’à la maternelle “les seules punitions permises sont les suivantes: privation pour un temps très court du travail et des jeux en commun, retrait des récompenses”; l’arrêté du 22 juillet 1922 indique qu’au primaire “les seules punitions dont l’instituteur puisse faire usage sont: les mauvais points, la réprimande, la privation partielle de récréation, la retenue après la classe sous la surveillance de l’instituteur et l’exclusion temporaire” 344 . Les textes plus récents marquent une réticence plus grande quant à l’utilisation des punitions et des sanctions puisque l’arrêté du 26 janvier 1978 spécifie qu’à l’école maternelle, “aucune sanction ne peut être infligée. Seul est autorisé l’isolement sous surveillance d’un enfant momentanément difficile pendant un temps très court nécessaire à lui faire retrouver un comportement compatible avec la vie de groupe”. Ce même arrêté précise qu’à l’école élémentaire, “tout châtiment corporel pour quelque cause que ce soit est strictement interdit. Aucune sanction ne peut être infligée à un élève pour une insuffisance de résultat” . Là encore, comme pour la maternelle, “Il est permis d’isoler de ses camarades, momentanément et sous surveillance, un enfant difficile ou dont le comportement peut-être dangereux pour lui-même ou pour les autres”. 345 Il est possible également de changer d’école un enfant trop difficile.

Aujourd'hui, les instructions officielles rappellent que toute punition doit "respecter la dignité de l'enfant" et que la "discipline" doit être plus intériorisée qu'"imposée": elles conseillent l'"autodiscipline", ainsi que le souligne le Code Soleilde 1978 où il s’agit de convaincre plus que de contraindre l’enfant: “Le maître s’efforcera de suggérer et non d’ordonner, de convaincre chaque enfant qu’en obéissant à la <<règle du jeu scolaire>> il joue son rôle dans l’organisation, la bonne tenue, la discipline dans la classe. Dès lors cette participation ne lui apparaîtra plus comme une contrainte désagréable, mais comme une tâche qu’il aura librement acceptée et qu’il remplira avec joie parce qu’on lui en a expliqué le sens et démontré l’utilité” 346 . L’analyse de ces textes montre qu’on passe d’une interdiction de la punition corporelle à un essai de compréhension du comportement de l’élève. On retrouve ici certaines préoccupations psycho-pédagogiques 347 : il ne s’agit plus de “maîtriser” des corps et un ordre dans la classe, mais aussi d’essayer de “comprendre” l’élève anormal qui n’arrive pas à se conformer à l’ordre scolaire, en le “canalisant” non pas de manière directe et brutale, mais éventuellement en l’isolant (comme quelqu’un souffrant d’une maladie contagieuse) en tout cas en le "traitant" (convocation des parents, recours à un psychologue, orientation en classe de perfectionnement...).

Notes
340.

selon G.Vincent dans L'école primaire française, p.88

341.

G.Vincent montre que les Constitutionsde Port-Royal contenaient déjà l’idée qu’il faut parler aux enfants, “pour les faire réfléchir sur les intentions de leurs actes ou pour leur donner les raisons pour lesquelles on les reprend”(dans L’école primaire française, p.89). F.Delforge décrit lui aussi dans Les petites écoles de Port-Royal (1637-1660), l’idée qu’il s’agit pour les éducateurs de “convaincre” et de “capter la confiance” des enfants et de n’utiliser la sanction qu’en tant qu’”étape ultime” et “désagréable pour tous”, à n’utiliser qu’en “cas d’absolue nécessité”.

342.

et même si au hasard de nos visites dans les écoles, nous avons pu remarquer que les peines corporelles n’ont pas complètement disparu de certaines pratiques enseignantes

343.

cité par E.Plenel dans La République inachevée. L’Etat et l’école en France, Ed. Payot, Paris, 1985, p.61

344.

cité par B.Douet, dans Discipline et punitions à l'école, PUF, Paris, 1987, p.30

345.

B.Douet, Discipline et punitions à l'école, pp.30 et 31

346.

Code Soleil, 1978, p.36, cité par B.Douet dans Discipline et punitions à l’école, PUF, Paris, 1987, p.30

347.

B.Douet est lui-même une illustration de l’”envahissement” du champ scolaire par les préoccupations psycho-pédagogiques lorsqu’il écrit: “Dans le même esprit que Henry et Selosse dénoncent le système pénal et carcéral, il nous semble temps de rechercher et de comprendre les causes profondes de l’indiscipline, et de trouver les <<vrais remèdes>> plutôt que d’appliquer un système aveugle et finalement néfaste” (dans Discipline et punitions à l’école, PUF, Paris, 1987, p.208)