Chapitre 3. Les disciplines scolaires: approche socio-génétique

L’analyse socio-historique des châtiments corporels scolaires réalisée dans la perspective théorique de la forme scolaire a révélé combien à l’école, l’élève n’apprend pas que des contenus scolaires, il s’exerce aussi à des relations de pouvoir et à des manières de se soumettre: certes l’écolier des Frères qui apprend à lire dans les Civilitéss’initie à la lecture, mais il se forme aussi dans un même mouvement indissociable à “l’obéissance à des règles -des manières de manger, de se moucher, d’écrire, etc.- selon des règles, qui sont constitutives de l’ordre scolaire” 351. L’école “en même temps qu’elle transmet des savoirs, des connaissances, est fondamentalement liée à des formes d’exercice du pouvoir” 352 , qui s’appliquent au-delà des châtiments corporels et des punitions.

Notre recherche sur la définition et le sens à accorder au terme de "discipline scolaire" ne peut donc pas faire l'économie d'un questionnement sur la nature des liens qu'entretiennent "savoirs", "connaissances" et "ordre", "discipline" scolaires, ensemble complexe dont l'intrication des éléments rappelle l'ambiguïté terminologique entre la "discipline" et les "disciplines scolaires": ainsi, il n'y aurait pas deux relations (élève-savoirs, élève-maître), deux processus différenciés (apprendre des "savoirs scolaires" et se soumettre à des normes de comportement), dont l'un conditionnerait l'autre (suivant l’idée que “discipliner” l’enfant sert à le rendre disponible à l’acquisition des “savoirs scolaires”). Pour comprendre et délimiter ce que le domaine pédagogique désigne par "discipline scolaire", il importe donc de s'interroger sur la spécificité de la transmission scolaire des savoirs scolaires par rapport à d’autres modes d'apprentissage (notamment la transmission des savoirs pratiques) et par rapport à d'autres formes de savoirs (notamment les savoirs savants/professionnels).

Autrement dit, notre démarche consiste à analyser les caractéristiques de la transmission scolaire des savoirs scolaires en étudiant ce qui se différencie du mode scolaire d’apprentissage et ce qui ne relève pas des connaissances scolaires, afin de pouvoir préciser “par contraste” en quoi l'apprentissage des savoirs à l'école est spécifique. Cette réflexion permettra de rendre étranger à nous même des pratiques et des formes de savoir du monde scolaire devenues tellement familières qu'on ne peut les accepter telles quelles, d'emblée, comme objet directement observable d'un point de vue sociologique. Pour effectuer ce travail de mise à distance avec le mode de socialisation scolaire, nous nous appuierons sur des travaux analysant la manière dont se transmettent les savoirs pratiques relatifs aux métiers (en particulier: La transmission des savoirs de G.Delbos et P.Jorion). Ensuite, nous nous intéresserons à la manière dont les connaissances ont été “pédagogisées”, formalisées en "savoirs scolaires" qui, explicités dans des manuels, doivent être transmis selon des méthodes d'apprentissage (à partir de deux exemples de scolarisation: "lire-écrire-compter" et les savoirs du corps). Pour finir, nous étudierons les transformations de deux exercices scolaires (dictée et composition) afin d’observer en quoi les évolutions que nous avons notées pour la discipline scolaire se retrouvent corrélativement dans les contenus et les modes d’apprentissage scolaire.

Notes
351.

B.Lahire, D.Thin et G.Vincent, dans “Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire”, L’éducation prisonnière de la forme scolaire?, PUL, Lyon, 1994, p.17

352.

idem, p.20