1- Les conditions d'accès au travail sont conditions d'accès au savoir

Le métier s'apprend dans les conditions pratiques de son exercice et par tout ce qui "se passe" de lui dans la vie quotidienne. Au contraire de la transmission des savoirs à l'école, l'acquisition de savoirs liés aux métiers de la mer n'est pas attachée à un lieu autonome (les bâtiments de l'école), ni à un temps (découpé en horaires et partagé par les vacances) séparés de manière spécifique des autres activités sociales: l'entourage familial dispense un “savoir” non-enseigné, qui prend un caractère d'évidence, sous la forme de savoir-faire, savoir-dire, savoir-vivre inculqués pêle-mêle, découverts par soi-même mais parfois corrigés.

Un exemple est particulièrement éclairant: G.Delbos et P.Jorion décrivent le cas d'un enfant en saliculture qui reste près de ses parents en jouant dans une petite saline (pour ne pas les perturber dans leur travail). L'enfant participe au travail parce qu'“on ne peut rester à rien faire quand les autres travaillent”: il devient ainsi une "main d'oeuvre" pour décharger ses parents de travaux qui ne requièrent ni initiatives, ni responsabilité. Les parents tirent profit de cette présence supplémentaire pour optimiser le rendement de ceux qui font partie de l'équipe. L'acquisition des expériences du métier ne se fait donc pas de manière individuelle et séparée de la vie familiale et sociale comme à l'école: l'enfant participe ici à un travail collectif. Du coup, l'enfant n'est pas un "apprenti", mais une "aide": il est question de travail, pas d'apprentissage. On ne peut pas déterminer un "début" et une "fin" "d'apprentissage" et le passage de l'enfant comme main-d'oeuvre complémentaire, puis comme main-d'oeuvre supplémentaire est difficile à établir. Enfin, l'enfant participe au travail aussi pour se faire reconnaître par son travail: l'enfant, notamment lorsqu'il est de sexe masculin, fait une “projection” de lui-même dans le monde adulte du travail où il "se voit déjà".