5- L’éducation du corps

‘“Exercez continuellement son corps;
rendez-le robuste et sain, pour le rendre
sage et raisonnable; qu’il travaille,
qu’il agisse, qu’il courre, qu’il crie, qu’il
soit toujours en mouvement, qu’il soit
homme par la vigueur et bientôt il le
sera par la raison” 544

Rousseau ne cesse de célébrer les vertus des exercices du corps, de la fatigue et de l’effort: “Je ne m’arrêterai pas à prouver tout au long l’utilité des travaux manuels et des exercices du corps pour renforcer le tempérament et la santé; c’est ce que personne ne dispute: les exemples des plus longues vies se tirent presque toujours tous d’hommes qui ont fait le plus d’exercice, qui ont supporté le plus de fatigue et de travail” 545 . Le corps doit être éduqué à vivre durement, de manière progressive, par exemple en lavant l’enfant avec de l’eau froide (mesurée avec un thermomètre, pour ne pas les exposer trop rapidement)“à mesure qu’ils se renforcent, diminuez par degrés la tiédeur de l’eau, jusqu’à ce qu’enfin vous les laviez été et hiver à l’eau froide et même glacée” 546 . Rousseau se méfiant de la médecine (dont la seule utilité est l’hygiène), il conseille d’habituer l’enfant à supporter la maladie plutôt que de faire appel à cet “art mensonger”, “frustre au genre humain”: “Faute de savoir se guérir, que l’enfant sache être malade: cet art supplée à l’autre <la médecine> et souvent réussit beaucoup mieux; c’est l’art de la nature” 547 .

Mais au-delà de cette éducation corporelle rude, le renforcement physique par les exercices facilite les opérations de l’esprit (pour cultiver l’intelligence de l’élève, il convient de cultiver “les forces qu’elle doit gouverner”) et le corps est un instrument indispensable pour expérimenter et s’instruire “par les choses”:“Comme il est sans cesse en mouvement, il est forcé d’observer beaucoup de choses, de connaître beaucoup d’effets; il acquiert de bonne heure une grande expérience: il prend ses leçons de la nature et non pas des hommes, il s’instruit d’autant mieux qu’il ne voit nulle part l’intention de l’instruire” 548 . De même que pour exercer un art, l’enfant a besoin de bons outils, solides, pour apprendre à penser et il doit donc exercer ses membres, ses sens, ses organes, qui sont les “instruments de notre intelligence”: “Ainsi, loin que la véritable raison de l’homme se forme indépendamment du corps, c’est la bonne constitution du corps qui rend les opérations de l’esprit faciles et sûres” 549 .

Les exercices du corps et ceux de l’esprit sont en étroite relation:“Non seulement les exercices continuels, ainsi laissés à la seule direction de la nature, en fortifiant le corps, n’abrutissent point l’esprit; mais au contraire ils forment en nous la seule espèce de raison dont le premier âge soit susceptible, et le plus nécessaire à quelque âge que ce soit. Ils nous apprennent à bien connaître l’usage de nos forces, les rapports de nos corps aux corps environnants, l’usage des instruments naturels qui sont à notre portée et qui conviennent à nos organes” 550 ; ils entretiennent un rapport très complémentaire : il faut que l’enfant “travaille en paysan et qu’il pense en philosophe, pour n’être pas aussi fainéant qu’un sauvage. Le grand secret de l’éducation est de faire que les exercices du corps et ceux de l’esprit servent toujours de délassement les uns aux autres” 551 .

Les exercices doivent permettre d’entraîner le corps et il faut exploiter par exemple l’intérêt des enfants pour le dessin: “je voudrais que le mien <l’élève> cultivât cet art, non précisément pour l’art même, mais pour se rendre l’oeil juste et la main flexible; et, en général, il importe peu qu’il sache tel ou tel exercice, pourvu qu’il acquière la perspicacité du sens et de la bonne habitude du corps qu’on gagne par cet exercice” 552 . L’objectif n’est pas ici que l’enfant fasse appel à son imagination, ni qu’il sache imiter (comme dans la perspective d’Alain), mais qu’il exerce son corps et ses capacités à observer, à connaître les objets qu’il dessine et à reconnaître la nature qui l’entoure.

Notes
544.

Emile , p.147

545.

idem, p.61

546.

ibid, p.66 et 67

547.

ibid, p.60

548.

ibid, p.149

549.

Emile, p.157

550.

idem, p.156

551.

ibid, p.263

552.

ibid, p.183