6- Limites et vertus de l’habitude

“La seule habitude utile aux enfants est
de s’asservir sans peine à la nécessité
des choses, et la seule habitude utile
aux hommes est de s’asservir sans peine
à la raison. Tout autre habitude est un
vice” 553

L’éducation de l’enfant doit l’empêcher de contracter de “mauvaises habitudes”, c’est à dire celles qui assujettissent l’homme, qui amollissent sa volonté: “La seule habitude qu’on doit laisser prendre à l’enfant est de n’en contracter aucune; qu’on ne le porte pas plus sur un bras que sur l’autre; qu’on ne l’accoutume pas à présenter une main plutôt que l’autre, à s’en servir plus souvent, à vouloir manger, dormir, agir aux mêmes heures, à ne pouvoir rester seul ni nuit ni jour. Préparez de loin le règne de sa liberté et l’usage de ses forces, en laissant à son corps l’habitude naturelle, en le mettant en état d’être toujours maître de lui-même, et de faire en toute chose sa volonté, sitôt qu’il en aura une” 554 . L’habitude est une “paresse” qui augmente plus on la pratique et dont l’empire touche plus aisément les faibles, les personnes sans volonté (vieillards, “gens indolents”) que la jeunesse et les “gens vifs”:“Ce régime n’est bon qu’aux âmes faibles, et les affaiblit davantage de jour en jour". Le gouverneur exerce Emile à ne pas prendre ces mauvaises habitudes qui le rendent dépendant: par exemple, il l’entraîne à s’éveiller à n’importe quelle heure, à veiller tard; certes, l’enfant doit d’abord être livré aux lois de la nature et respecter le sommeil qui est naturel, mais il doit par la suite dépasser ces règles. Par contre, l’habitude peut servir à familiariser l’enfant à voir des objets nouveaux, des animaux étranges afin qu’il n’en ait pas peur plus tard; elle tue l’imagination qui n’est réveillée que par les objets nouveaux. Le gouverneur, pour accoutumer Emile à ne plus s’effrayer des ténèbres, l’emmènera plusieurs fois dans la nuit faire des jeux. L’habitude peut aussi rassurer, en suppléant par exemple à la raison tourmentée par les coups de tonnerre. Enfin l’habitude permet à l’enfant d’accéder à des comportements qu’il ne comprend pas encore par la raison 555 .

Notes
553.

Emile, note de bas de page 206

554.

idem, p.71

555.

“Je sais que toutes ces vertus par imitation sont des vertus de singe, et que nulle bonne action n’est moralement bonne que quand on la fait comme telle, et non parce que d’autres la font. Mais, dans un âge où le coeur ne sent rien encore, il faut bien faire imiter aux enfants les actes dont on veut leur donner l’habitude, en attendant qu’ils les puissent faire par discernement et par amour du bien”, Emile, p.128