2- La discipline comme condition de possibilité négative de l’éducation

“La discipline transforme l’animalité
en humanité. Par son instinct un animal
est déjà tout ce qu’il peut être; une
raison étrangère a déjà pris soin de tout
pour lui. Mais l’homme doit user de sa
propre raison. Il n’a point d’instinct et
doit se fixer lui-même le plan de sa
conduite. Or puisqu’il n’est pas
immédiatement capable de le faire,
mais au contraire vient au monde <pour
ainsi dire> à l’état brut, il faut que
d’autres le fassent pour lui” 575

La discipline est la partie négative de la culture qui compose l’éducation 576 ; c’est l’acte indispensable par lequel on dépouille l’homme de son animalité, alors que l’instruction est la partie positive de l’éducation: “Celui qui n’est pas cultivé est brut, celui qui n’est pas civilisé est sauvage. Le défaut de discipline est un mal bien plus grand que le défaut de culture, car celui-ci peut se réparer plus tard; mais la sauvagerie ne peut plus être chassée et une erreur dans la discipline ne peut être comblée” 577 . Seule la discipline permet de “dénaturer” l’homme, de l’arracher à l’état sauvage dans lequel il se “complaît”: “On dresse des chiens, des chevaux; on peut aussi dresser des hommes (le mot <<dressiren>>, <<dresser>> vient de l’anglais, de <<to dress>> qui signifie: habiller)” 578 . Avec le dressage, on produit une certaine forme d’obéissance extérieure, mais qui n’est pas immédiatement liée à la liberté: “l’éducation n’est pas encore à son terme avec le dressage; en effet, il importe avant tout que les enfants apprennent à penser” 579 . Et pourtant toute éducation doit comporter une part de dressage, pour “redresser” dans l’espèce humaine la tendance grossière de sa nature et le penchant de chaque liberté à abuser.

La discipline est dite négative parce qu’elle empêche, elle contraint, elle interdit, mais en même temps elle forme en faisant prendre conscience de soi-même:“La discipline a pour fonction de préserver de l’erreur, de nous empêcher de dépasser les bornes de notre faculté de connaître <...> La discipline en son usage négatif est inséparable de la prise de conscience de mes pouvoirs théoriques, donc en ce sens, de moi-même” 580 :“Le mécanisme du dressage commence à former l’homme; former c’est rendre l’homme autre, transformer sa nature" 581 . Mais le dressage s’il est nécessaire n’est pas une fin en soi, il n’est qu’une étape obligatoire pour parvenir à la formation de l’enfant, du futur citoyen qui aura à la fois une adhésion raisonnée et une obéissance aux lois, même si elles ne lui plaisent pas; on retrouve ce double aspect dans les deux formes de l’obéissance:“Avant toutes choses l’obéissance est fondamentale pour le caractère d’un enfant, particulièrement d’un écolier. Elle est double: premièrement c’est une obéissance à la volonté absolue du guide et secondement c’est une obéissance à la volonté de celui-ci reconnue comme raisonnable et bonne. L’obéissance peut être dérivée de la contrainte et elle est alors absolue, ou de la confiance et alors elle est de l’autre forme. Cette obéissance volontaire est très importante; mais la première, l’obéissance absolue, est extrêmement nécessaire, puisqu’elle prépare l’enfant à l’accomplissement des lois auxquelles il devra obéir plus tard comme citoyen, même si elles ne lui plaisent pas” 582

Notes
575.

idem, p.70

576.

“L’éducation comprend les soins et la culture. Cette dernière est 1) négative, c’est la discipline, qui se borne à empêcher les fautes; 2) positive, il s’agit alors de l’instruction et de la conduite, et dans cette mesure elle appartient vraiment à la culture”, Réflexions sur l'éducation, p.85

577.

Réflexions sur l'éducation, p.74

578.

idem,p.83

579.

ibid, p.83

580.

Crampe-Casnabet M, “Du dressage à la civilisation: Kant”, p.232

581.

idem, p.241

582.

Réflexions sur l'éducation, pp.125 et 126