3- Les vertus du travail

“Il est de la plus haute importance que
les enfants apprennent à travailler.
L’homme est le seul animal qui doit
travailler” 583

Le concept de travail apparaît au philosophe comme une réponse au dilemme pédagogique entre obéissance et liberté, selon A. Philonenko:“La notion de dressage n’est pas une notion synthétique; ce n’est qu’une notion unilatérale. Seul un concept synthétique liant obéissance et liberté, contrainte et volonté, peut fonder réellement l’éducation. Il nous paraît que Kant indique ce concept synthétique dans l’idée de travail” 584 . Le travail permet d’obtenir l’obéissance, car il oblige à reconnaître le poids du monde, sa réalité et à s’y soumettre mais par le travail, on atteint aussi la liberté car l’homme effectue un projet, qui est pure idéalité. Bref, liberté et obéissance s’unissent synthétiquement dans la notion de travail qui médiatise le passage de la nature à la culture: en modifiant le monde par le travail, l’homme se modifie lui-même. Kant est d’ailleurs persuadé que la finalité de la Providence est de poser des problèmes à l’homme qui l’obligent à se dépasser, à travailler et à s’adapter.

Le travail présente des vertus pédagogiques importantes puisqu’il est le plus à même de préparer l’enfant à l’éducation morale:“L’enfant est habitué à travailler et par la contrainte, la discipline de l’école, il est soumis à une obéissance passive, absolue comme dit Kant, mais dont le résultat est une activité de l’enfant. Ainsi la contrainte s’intériorise. Peu à peu l’enfant cesse d’obéir à ce qui n’est pas lui: il obéit à lui-même et découvre sa liberté. L’obéissance devient alors volontaire, c’est à dire une obéissance qui est d’abord obéissance à la raison, obéissance à soi, ou si l’on préfère: autonomie” 585 .

Le travail s’oppose aux distractions qui ne sont qu’une délivrance superficielle et“La meilleure façon de jouir de la vie est aux yeux de Kant le travail”comme le souligne A. Philonenko:“c’est une délivrance profonde, qui réalise l’homme, lui permet de s’épanouir en sa liberté, qui l’arrache à l’ennui pour le conduire à saisir profondément l’intérêt pratique, qui vivifie sa raison, et enfin le mène à la joie” 586 . La vie possède un sens, une valeur et par l’action, par le travail, l’homme ordonne le temps au lieu de le subir et il donne un sens à son existence: le travail d’éducateur est la suprême félicité, car l’homme donne non seulement un sens à sa vie, mais il aide d’autres vies à acquérir un sens. L’éducation par le jeu (comme la conseille notamment Rousseau) est une erreur et on manque la réalité humaine en attirant l’enfant par le jeu d’autant plus que Kant est convaincu de la nécessité du travail (qui donne un objectif à l’activité) pour former l’intelligence: “Dans le travail, l’occupation n’est pas en elle-même agréable, mais c’est dans un autre but qu’on l’entreprend. En revanche, l’occupation dans un jeu est en elle-même agréable, sans qu’il soit besoin de plus de se proposer un but” 587 .

Notes
583.

Réflexions sur l'éducation, p.110

584.

“Introduction: Kant et le problème de l’éducation”, Réflexions sur l'éducation, p.37

585.

idem, p. 58

586.

“Introduction: Kant et le problème de l’éducation”, Réflexions sur l'éducation, p.41

587.

Réflexions sur l'éducation, p.110