4- L’école : une « culture par contrainte »

“C’est ainsi par exemple que l’on
envoie les enfants à l’école, non dans
l’intention qu’ils y apprennent quelque
chose, mais afin qu’ils s’habituent à
demeurer tranquillement assis et à
observer ponctuellement ce qu’on leur
ordonne, en sorte que par la suite ils
pensent ne pas mettre réellement et sur
le champ leurs idées à exécution” 588

L’école est l’endroit qui permet d'apprendre le travail et la contrainte, même si l’enfant ne saisit pas sur le moment la finalité de ces obligations:“L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour celui qui suit le travail. Ainsi l’enfant doit être habitué à travailler. Et où donc le penchant au travail doit-il être cultivé, si ce n’est à l’école? L’école est une culture par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu. Il doit avoir du temps pour les récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il travaille. Et si l’enfant ne voit pas d’abord à quoi sert cette contrainte, il s’avisera plus tard de sa grande utilité” 589 .

Seule l’école permet de familiariser l’enfant avec une forme de discipline, car elle oblige la soumission à une loi universelle 590 incarnée par le maître qui doit rester neutre et s’abstenir de toute faiblesse pour un élève plutôt qu’un autre:“Les enfants doivent par conséquent être soumis à une certaine loi de nécessité. Mais cette loi doit être une loi universelle et l’on doit prêter attention à ce point surtout dans les écoles. Le maître ne doit montrer aucune prédilection, aucune préférence pour un enfant parmi les autres. Car sinon la loi cesse d’être universelle. Dès que l’enfant voit que tous les autres ne se soumettent pas à la même loi, il devient rebelle” 591 . L’éducation à l’école apprend également à l’élève des principes de sociabilité (et sa future image de citoyen) en ce qu’elle permet d’apprendre à mesurer ses forces, à se limiter face au droit d’autrui. Kant trouve aberrante l’idée de Rousseau selon laquelle l’éducation de l’élève doit être confiée à un seul homme: d’une part on perd ainsi le bénéfice de la scolarisation collective dans un établissement où l’enfant côtoie d’autres élèves, sans compter d’autre part qu’aucun précepteur n’accepterait réellement de laisser 16 ans de sa vie pour éduquer un élève. Soumettre l’enfant à plusieurs personnes (nourrice, précepteur, maître d’école) n’est pas gênant s’ils suivent tous les mêmes directions de l’éducation relative au corps, à l’intellect et à la morale.

Enfin Kant pense que le premier enseignement scientifique doit se rapporter à la géographie: il est lui-même grand géographe et il est persuadé que cette science présuppose toutes les autres (physique, maths, dessin); la géographie est vivante et elle peut exercer aussi bien l’oeil que l’esprit; il accorde aussi beaucoup d’importance aux mathématiques, à l’étude de l’éloquence et des langues (car l’éducation doit préparer la formation de l’homme).

Notes
588.

idem, p.71

589.

Réflexions sur l'éducation, p.111 Kant s’oppose à Rousseau concernant l’école et l’éducation par le jeu, mais les deux philosophes tombent d’accord (contre Locke) sur le fait qu’il n’est pas bon de rendre raison de tout ce qu’on impose à l’enfant, ni d’essayer de toujours raisonner avec lui

590.

B.Lahire, D.Thin et G.Vincent soulignent que “Chez Kant, l’enfant se soumet aux lois constitutives de l’ordre scolaire non pas parce qu’elles seraient toutes justifiées à ses yeux, mais parce qu’il prend conscience de leur universalité” (dans “Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire”, L’éducation prisonnière de la forme scolaire?, PUL, Lyon, 1994, p.19)

591.

Réflexions sur l'éducation, p.126