7- L’éducation pratique: la moralisation de l’homme

“<La> culture physique de l’esprit se
distingue de la culture morale en ceci
que cette dernière se rapporte
seulement à la liberté, tandis que celle-
là ne se rapporte qu’à la nature. Un
homme peut être physiquement très
cultivé, son esprit peut être très orné, et
il peut cependant être bien mal cultivé
moralement et n’être qu’un homme
méchant” 620

La culture physique se distingue de la culture pratique qui est liée à la volonté, la liberté et qui “en son sens le plus haut, est morale: il s’agit ici de l’action régie par la seule considération de la loi qui commande impérativement, universellement, c’est-à-dire rationnellement en chaque individu autonome” 621 . L’éducation morale est la fin ultime de la formation de l’homme 622 qui par nature n’est “pas du tout un être moral”: “il ne devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi” 623 . Or pour la conduite éthique, on ne peut pas se contenter de bonnes habitudes, car l’habitude n’est qu’une mécanique qui ne peut “assumer la fonction de régir l’action raisonnable autonome” 624 et par ailleurs la culture morale, qui est une culture de la liberté, exclut la discipline comme contrainte:“Veut-on la fonder sur l’exemple, les menaces, les punitions, que sais-je encore?” 625 L’éducation morale s’écarte donc des formes précédentes d’éducation, elle ne s’appuie plus sur la discipline 626 , mais sur la liberté: l’enfant ne doit pas faire “ce qui est bien”, mais parce que “c’est le bien” et ainsi la culture morale “doit se fonder sur des maximes et non sur la discipline. L’enfant doit apprendre à agir d’après des maximes dont il aperçoive lui-même la justice” 627 .

L’éducation morale va former le caractère, qui doit être ferme dans ses résolutions, ce qui s’acquiert en partie par la régulation de la vie de l’enfant, en attribuant un temps à chaque activité (“l’ordre est un principe de fermeté, la régularité dans l’activité évite la formation d’une âme inconstante et perpétuellement distraite” 628 ): “Acquérant ainsi de la fermeté, l’enfant saura agir d’après les maximes c’est à dire des règles, des lois qu’il se donne finalement pour lui-même, et alors la discipline sera parfaitement devenue intérieure: l’enfant sera son propre maître” . L’éducation morale du caractère de l’enfant passe aussi par l’obéissance qui doit s’intérioriser pour devenir obéissance à soi-même, c’est à dire autonomie et liberté; à ce stade, l’éducateur doit essayer le plus possible d’amener l’enfant à percevoir les raisons qui dictent l’action, au lieu de lui donner des ordres et des punitions qui rendent le caractère inconstant 629 : “La première époque chez l’élève est celle où il doit faire preuve de soumission et d’obéissance passive; la seconde celle où on lui laisse, mais sous des lois, faire déjà un usage de la réflexion et de la liberté. La contrainte est mécanique dans la première époque; elle est morale dans la seconde” 630 . C’est en achevant la formation de l’enfant par cette éducation morale qu’on parviendra à faire émerger en lui les dispositions dignes d’un citoyen des Lumières, c’est à dire celles d’un être de raison, libre et autonome, qui obéit à une loi qu’il comprend.

Notes
620.

Réflexions sur l'éducation, p.109

621.

Crampe-Casnabet M, “Du dressage à la civilisation: Kant”, p.235

622.

“On doit veiller à la moralisation. L’homme ne doit pas simplement être apte à toutes sortes de fins, mais il doit aussi acquérir une disposition à ne choisir que des fins bonnes” , Réflexions sur l'éducation, p.83

623.

Réflexions sur l'éducation, p.141

624.

Crampe-Casnabet M, “Du dressage à la civilisation: Kant”, p.236

625.

Réflexions sur l'éducation, p.117

626.

“La moralité est une chose si sublime que l’on ne doit pas l’avilir de telle sorte et la mettre au même rang que la discipline”, Réflexions sur l'éducation, p.124

627.

Réflexions sur l'éducation, p.124

628.

“Introduction: Kant et le problème de l’éducation”, Réflexions sur l'éducation, p.59

629.

Ce n’est plus le temps des punitions ou des récompense qui produisent un “être soumis à l’opinion”

630.

Réflexions sur l'éducation, p.85