7- L’imitation au service de l’invention

“Il n’y a qu’une méthode pour
inventer, qui est d’imiter. Il n’y
a qu’une méthode pour bien
penser, qui est de continuer
quelque idée ancienne et
éprouvée” 707

Tout mode d’apprentissage devrait à la fois former des coutumes d’une certaine conformité mais aussi les rompre sans cesse par l’initiative et l’invention. Alain pense qu“il n’y a pas d’idée neuve” 708 , et que l’invention comporte toujours une part d’imitation: “Il n’y a qu’une méthode pour inventer, qui est d’imiter. Il n’y a qu’une méthode pour bien penser, qui est de continuer quelque idée ancienne et éprouvée” 709 . La copie, l’imitation permettent de sortir les meilleures formes, la preuve en est selon le philosophe que dans les Beaux-Arts, l’ancien est plus beau que le nouveau, car dans l’ancien ce qui était mauvais a été éliminé et le meilleur conservé. Ce qui ne veut pas dire qu’en copiant, l’artiste ne puisse pas ajouter une touche personnelle à l’oeuvre: “Pendant que les fous inventaient, les sages copiaient et les plus vigoureux des copistes y mettaient leur nature, leur coup de pinceau, leur coup de ciseau, leur mordant, leur accent” 710 . Cette conception amène le philosophe à critiquer l’attitude de certains maîtres qui s’émerveillent devant le dessin libre, qui ne fait que refléter la nature de l’enfant, avec “ces traits appuyés <...> ces mouvements gauches <...> ces gribouillages passionnés” 711 ; car celui qui s’exprime lui-même sans secours est amené à “se déformer”, il est “conduit” plus que “conduisant” et il est “esclave, comme sont et restent tant d’autres, parce qu’ils n’ont point voulu imiter” 712 .

Au-delà de la critique adressée à la technique des dessins libres qui “ne valent rien” 713 (il faut leur préférer les dessins d’imitation ou mieux le dessin d’ornement), Alain fustige de manière plus globale ces “sots pédagogues” qui “disent entre autres choses, qui ont de grandes chances d’être niaises aussi, que l’originalité de l’enfant est précieuse par dessus tout, et qu’il faut se garder de lui dicter des pensées, mais au contraire de le laisser rêver devant une page blanche, de façon que ce qu’il écrira soit spontané et non pas du maître. Or, ce qu’il écrira, laissé ainsi à lui-même, ce sera justement le lieu commun, comme cet écolier qui, ayant à décrire une tour ancienne, n’oubliera point <<les pierres noircies par le temps>>, alors qu’il pouvait voir d’un coup d’oeil que la tour en question est sensiblement plus claire de couleur que les bâtiments qui l’environnent; et cela fait voir qu’on n’observe jamais qu’à travers les idées qu’on a, ou, autrement dit, que les moyens d’expression règnent tyranniquement sur les opinions” 714 .

Notes
707.

Propos II, texte n°356, p.545

708.

Propos I, “Mnémosyne”, p.438

709.

Propos II, texte n°356, p.545

710.

Propos II, texte n°177, p.248

711.

Propos II, texte n°269, p.394

712.

idem, p.396

713.

Propos II, texte n°214, p.304

714.

Propos II, texte n°356, p.546