c) Les entretiens avec les enseignants

Ces entretiens ont essentiellement un statut informatif (de même que les entretiens avec les directeurs d'établissement), en fin de séjour d'observation, afin d'éclairer certains points et de mieux saisir la "philosophie" éducative au fondement des pratiques. C'est pourquoi la retranscription des entretiens avec les enseignants ne s'est attachée qu'au contenu, alors que pour les enfants, nous avons essayé de restituer également le plus possible la forme (expressions, intonations, hésitations, modulations de la voix, rires, soupirs...). La difficulté que nous craignions pour ces entretiens (et qui s'est confirmée) était d'être confrontée à un discours "bien rodé" surtout pour les configurations Tom Pouce, C.Freinet et de la Maison des Trois Espaces, où les enseignants défendent des convictions et des pratiques pédagogiques (avec la difficulté en plus pour Tom Pouce d'avoir un statut privé ce qui l'oblige à veiller davantage à sa réputation pour le recrutement de son public). Les militants pédagogiques sont dans une position ambiguë face au sociologue qu'ils cherchent à la fois à séduire (pour se faire reconnaître scientifiquement, acquérir une légitimité par un travail universitaire) mais dont ils acceptent difficilement certaines analyses qu'ils interprètent comme des risques de remise en cause (dans un contexte où ils doivent défendre une pédagogie, une école).

C'est pourquoi les conversations informelles, suite à des questions posées "en situation" ou en fin de classe se sont révélées beaucoup plus riches, permettant de rompre avec le discours officiellement affiché et offrant plus de confidences sur les doutes, les "réajustements" pratiques, les exaspérations par rapport à des comportements d'enfants, les remises en question inhérentes à tout travail professionnel de terrain qui présente nécessairement des décalages avec les réflexions théoriques. Les commentaires suivant les moments de crise ont été particulièrement fructueux, livrant les interprétations que font les enseignantes des conduites perturbantes. Pour autant, nous ne pensons pas que le sociologue doive requérir systématiquement l'avis des enquêtés sur les analyses menées, ainsi que le préconise A.Coulon avec les "dispositifs de vérification", "qui sont la demande de confirmation, auprès des enquêtés, que les cadres d'analyse sont corrects", partant du principe que les chercheurs doivent s'assurer que "la structure qu'ils découvrent dans les actions est la même que celle qui oriente les participants dans ces actions" 756 . Nous pensons que le sociologue doit s'autoriser à rompre avec les représentations communément partagées par les enquêtés et pour ce faire, prendre le risque de se rendre parfois impopulaire en proposant des interprétations qui tranchent avec celles des acteurs de terrain.

Notes
756.

Ethnométhodologie et éducation, PUF, l'éducateur, Paris, 1993, p.123