Pour l'analyse et la mise en forme de nos observations, il nous paraissait inapproprié d'utiliser le terme de "situations" qui se rapporte davantage à l'idée d'une évolution dramatique, dans les moments de crise qui sont présents ponctuellement dans nos observations mais qui ne rendent pas compte du contexte très codifié, très structuré à l'avance d'une classe. Pour autant le concept de "structure" nous paraissait inadéquat pour analyser les formes de relations sociales observées dans leur dynamique présente et relativement à la continuité historique de leur constitution. Nous empruntons à N.Elias le concept de "configuration" qui nous semble répondre à plusieurs exigences liées à notre orientation problématique:
A C.Freinet , l’institutrice trouve contradictoire avec l'esprit de la pédagogie Freinet l'attitude de deux de ses collègues: le premier punit les enfants lorsqu'ils "parlent trop"; le deuxième classe les enfants dans les “bons lecteurs”, les “bons moyens lecteurs”
A la Maison des Trois Espaces, l'enseignante s'est trouvée en désaccord une année avec une collègue dont elle ne partageait pas "l'éthique": "Par exemple faire confiance aux gamins, ne pas tout fermer à clef, des choses aussi bêtes que ça"
A Tom Pouce, l’institutrice trouve qu’il n’y a pas assez de cohérence entre collègues sur certaines attitudes pédagogiques: par exemple, lorsqu'elle est insultée par un élève, l'une des enseignantes le fait simplement sortir de la classe, sans autre remarque ni punition.
Le concept de configuration permet de prendre en compte des relations singulières entre des êtres sociaux, mais sans pour autant s'enfermer dans des particularismes monographiques, ni penser que "tout est relatif": l’analyse configurationnelle de N.Elias 788 dont nous nous sommes inspirée rend possible la compréhension d'autres lieux et d'autres temps, par le travail de production de connaissances et de généralisation et partant, elle permet la production de principes d’intelligibilité sociologique. La reconstitution de la pluralité des contextes nécessaires à la compréhension des comportements observés permet de considérer plusieurs niveaux d'analyse du social, combinant autour d'un même objet des contextes d’ordre macro-sociologique et des contextes d’ordre plus micro-sociologique. Les formes de relation sociales entre l'enseignant et ses élèves sont ainsi analysées en liaison avec des déterminismes plus larges que ceux engagés apparemment et visiblement dans les observations en classe.
C'est en ce sens que notre démarche se distingue de l'approche d'A.Coulon qui dissocie selon nous artificiellement les données relatives aux analyses "micro-sociologie" et "macro-sociologique": "Le secret de l'assemblage social ne réside pas dans les statistiques produites par des <<experts>> et utilisées par d'autres <<experts sociaux>> qui en ont oublié le caractère réifié. Le secret du monde social se dévoile au contraire par l'analyse des ethnométhodes, c'est-à-dire des procédures que les membres d'une forme sociale utilisent pour produire et reconnaître leur monde, pour le rendre familier en l'assemblant" 789 . Si nous partageons l'idée que le procès éducatif gagne à être analysé dans les modalités concrètes de sa construction, il nous semble par contre abusif de traiter les variables d'âge, de sexe, de milieu social comme si elles étaient des attributs relevant spécifiquement de l'analyse macro-sociologique et de l'approche statistique. Le concept de configuration nous permet de dépasser cette fausse opposition, en considérant que l'individu réagit en fonction des données relatives à une situation, mais aussi sans oublier le contexte social dans lequel se produisent ces interactions 790 . Ainsi le concept de configuration permet d’analyser les relations d’interdépendance entre les enfants et leur maître, mais sans pour autant cloisonner l’interprétation uniquement aux éléments visiblement en présence dans une situation:“...les dépendances qui lient les individus entre eux ne se limitent pas à celles dont ils peuvent avoir expérience et conscience. Les situations d’interaction et les réseaux de relations sont toujours articulés à des déterminations lointaines et invisibles qui, à la fois, les rendent possibles et les structurent” 791 .
Nous avons analysé les pratiques pédagogiques de cette école dans le cadre de notre mémoire de maîtrise: La pédagogie Freinet, une "école pour le peuple?", Université Lyon II, sous la direction de R.Bernard, B.Lahire et D.Thin, 1990/91
Nous analysons les différences entre ces deux écoles dans la présentation de la configuration C.Freinet au chapitre 6 de la 2ème partie.
Pour prendre un exemple parmi d'autres dans les travaux de N.Elias, son étude du sport le conduit à “dégager des caractéristiques (parfois similaires), de conceptualiser leurs propriétés distinctives avec une plus grande précision” et de “les situer dans une perspective meilleure”, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, N.Elias et E.Dunning, Ed. Fayard, Paris, 1995, p.217
Ethnométhodologie et éducation, PUF, collection l'éducateur, Paris, 1993, p.127
Sur ce point, nous partageons la critique que formule R.Sirota à l'égard des analyses ethnométhodologiques qui ont trop tendance à "décontexualiser" parce qu'elles se situent dans un "vide social où les rapports de force et de pouvoir seraient oubliés" ("Approches ethnographiques en sociologie: l'école et la communauté, l'établissement scolaire, la classe", Revue française de pédagogie, juillet-août-sept 1987, n°80, pp.69 à 97)
R.Chartier dans l’"Avant-propos" de Engagement et distanciation, Ed. Fayard, Paris, 1993, p.IV