I1 et I2 utilisent fréquemment les ardoises pour réaliser certains exercices de calcul et d'orthographe. Ces séances sont certainement celles parmi les pratiques pédagogiques des deux institutrices qui sollicitent le plus les corps et la concentration des élèves: d'ailleurs elles ne durent en général pas très longtemps, comme si les enseignantes ne pouvaient pas exiger plus d'effort de la part des enfants. La manière de procéder est similaire chez les deux institutrices: d'abord, rangement des affaires posées sur le bureau, en ne laissant que ce qui sera nécessaire pour l'exercice (l'ardoise, l'éponge et la craie), le reste étant placé dans le casier; puis on passe à l'exercice proprement dit: une consigne, un signal pour l'exécuter, un signal pour montrer, une vérification des réponses, un signal pour effacer.
Dans ces exercices, les enfants sont soumis à un découpage précis du temps en micro-séquences, à un rythme collectif où l'individualité de la progression est impossible (à chaque signal, les élèves doivent s'exécuter en même temps: ni trop tôt, ni trop tard) et où l'urgence du temps est fréquemment rappelée par des "dépêchez-vous", "ne traînez pas", "on ne rêve pas...". Ils doivent également se conformer à une posture et à des gestes très précis, articulés à la manipulation de l'ardoise (position d'attente, écrire au signal, montrer au signal, effacer au signal puis à nouveau position d'attente) . I1 à la différence d'I2 ne demande pas aux élèves d'aller laver leurs éponges, ce qui permet aux enfants de CP2 de se déplacer, et de se défouler (de manière quand même contrôlée par l'institutrice qui donne l'ordre successivement à chaque rangée) suite à un exercice qui mobilise beaucoup d'attention de la part des élèves. A ce moment où la tension se relâche, I2 est moins regardante sur le comportement des élèves qui peuvent courir et se bousculer un peu (alors que c'est d'ordinaire interdit) et elle les incite même parfois à aller plus vite, disant un jour à une rangée "Et bien les enfants, vous n'avez pas gagné le concours de vitesse!"
Dans ces exercices avec ardoises, les institutrices s'appuient sur le procédé dit "La Martinière": "Une question étant posée par le maître, à un premier signal les élèves inscrivent la réponse sur l'ardoise puis, à un second, montrent l'ardoise. D'un seul coup d'oeil, l'enseignant connaît la proportion de réponses justes et la personnalité des élèves en difficulté. Il en conclut immédiatement soit à la nécessité de faire un retour en arrière, soit à la possibilité d'enchaîner, voire à l'utilité de rectifier, etc..." 916 . M.Foucault décrit un exercice d'écriture sur ardoises à l'école mutuelle qui ressemble à ceux observés dans la configuration Jean Giono: "9. Mains sur les genoux. Ce commandement se fait par un coup de sonnette; 10: mains sur la table, tête haute; 11: nettoyez les ardoises: tous essuient les ardoises avec un peu de salive ou mieux avec un tampon de lisière; 12: montrez les ardoises; 13: moniteurs, inspectez. Ils vont visiter les ardoises de leurs adjoints et ensuite celles de leur banc. Les adjoints visitent celles de leur banc, et tous restent à leur place" 917 .
Cette méthode implique en CP1 et en CP2 une très grande vigilance de la part des maîtresses et un certain "cadrage" des comportements pour lequel I1 s'appuie sur un système de récompenses par bons points et de punitions par retrait de ces bons points (système reposant sur l'émulation, qu'I2 n'utilise pas)
Enfin, ces exercices sur ardoises s'inscrivent logiquement dans la configuration J.Giono à côté d'un ensemble d'habitudes gestuelles répétitives. Par exemple I2, à la fin des contrôles, exige des enfants qu'ils retournent leur feuille sur le bureau; lorsqu'elle fait lire au tableau des mots aux enfants, chacun doit lire à son tour, mais doit attendre d'abord que l'institutrice pointe le mot avec sa règle. En CP1, les élèves avant chaque contrôle doivent inscrire leurs signes derrière la feuille; ils doivent garder la feuille tournée face contre le bureau tant que l'institutrice donne les explications, puis ne la retourner qu'au signal; quand ils ont terminé, ils doivent retourner la feuille ("comme ça, la maîtresse elle voit que vous avez fini, et ce n'est pas la peine de crier pour dire que vous avez fini" et cela permet aussi d'éviter le copiage entre enfants). Lorsqu'ils sont devant une feuille d'exercices, les enfants doivent mettre le doigt sur le premier exercice (pour qu'elle vérifie que les élèves ne se trompent pas). L'aspect répétitif des habitudes se retrouve dans les contenus même d'apprentissages, puisque les élèves de CP1 comme de CP2 travaillent souvent sur des histoires qui comportent des phrases ou des éléments répétitifs qui aboutissent, par accumulation successive à former une histoire entière 918 .
G.Mialaret (sous la direction de), Vocabulaire de l'éducation, Paris, PUF, 1979, p. 359
Surveiller et punir, Ed. Gallimard, Paris, 1975, p.156
Pour donner un exemple: Comment faire pour réparer la pauvre Nathalie?": repeindre son visage et ses petits souliers, lui tailler une nouvelle robe de soie bleue...(les enfants doivent reprendre tous les éléments avant d'en ajouter un nouveau).