b) Les rondes et danses

Ces séances sont particulièrement intéressantes à observer, car on pourrait penser à priori qu'elles relèvent d'activités (comme les travaux manuels que nous verrons plus loin) où la part d'"expression" de l'élève est plus grande que dans les activités dites "de base" en CP (calcul, lecture, écriture). Or, même si les institutrices laissent à ces activités qu'on pourrait qualifier rapidement d'"artistiques" une latitude plus grande aux postures et aux comportements, l'imposition d'un ordre scolaire est tout aussi présente, par l'intermédiaire d'exercices progressifs où la capacité à inventer, à créer est peu sollicitée et où il s'agit davantage pour les élèves de développer une compétence à imiter, à répéter des gestes, à comprendre des consignes et à les interpréter convenablement:

• (5.04.93/I2/13h30 à 14h20) La classe est rassemblée dans le préau. La plupart des enfants sont en chaussons ou en baskets, les autres restent en chaussettes. Les enfants forment un groupe autour de l'institutrice qui prend un tambourin et déclare "Avant de commencer, comme d'habitude un peu d'échauffement!". Elle n'a pas besoin d'en dire plus: les élèves courent dans tous les sens, au rythme du tambourin (qui accélère, ralentit, est saccadé puis régulier...). Certains enfants rient, se bousculent un peu, font exprès de tomber (surtout les garçons) ou discutent tout en courant (surtout les filles) L'institutrice intervient pour stopper ce genre de comportement uniquement quand elle estime qu'ils sont dangereux et que les enfants risquent de se faire mal.
• Tout en continuant le rythme du tambour: "Bon maintenant, quand le tambour sera arrêté, il faut que tous vous touchiez du bois dans la salle". Elle stoppe et les enfants se précipitent vers les portes, les bancs, les fenêtres. Elle reprend le tambour en expliquant que "maintenant, quand j'arrête, il faut toucher du fer"(ils se précipitent vers les pieds de table et des bancs, la boîte aux lettres). A chaque fois, l'institutrice fait un tour et signale quelques enfants (pas tous) qui ne respectent pas la consigne, puis: "Maintenant, je ne veux plus voir vos pieds par terre!"Les enfants se précipitent sur les bancs, les tables et grimpent aux poteaux en poussant des cris et en se bousculant."Maintenant, je ne veux plus voir vos pieds par terre, mais vous n'avez plus le droit de monter sur la table ou les bancs, ni sur les poteaux". Les élèves mettent quelques secondes avant de trouver des positions à terre, les pieds en l'air. Dès que certains ont trouvé, les autres comprennent et adoptent des positions identiques ou similaires <...>
• L'institutrice passe à un autre exercice: quand elle arrête le tambour, les enfants qui courent dans tous les sens doivent changer de direction et repartir à l'envers <...> Les enfants se mettent en rond et l'institutrice chante avec eux la "chanson de la brioche", dont ils connaissent déjà les paroles et les gestes qui vont avec. Elle s'arrête, entre dans le cercle et se place en face d'un enfant, avec les mains sur les hanches: "Est-ce que ma brioche est bien dorée, bien grillée, bien sucrée?" . L'enfant doit alors quitter le cercle, les autres élèves le suivent, le cercle se reforme et l'enfant à son tour interpelle un élève en reprenant la même phrase que l'institutrice. Lorsqu'un élève se trompe, s'il oublie une partie des mots ou une partie de la phrase, la maîtresse lui fait remarquer et il doit tout recommencer <...>
• L'institutrice passe à une ronde chantée que les enfants ne connaissent pas. Elle leur demande de faire un cercle "comme il faut", en se tenant la main. Elle chante une première fois "l'histoire du petit violoniste" qui a un air et des paroles très simples, puis elle demande aux enfants de reprendre phrase par phrase après elle, enfin elle indique les gestes à effectuer. Un enfant est au centre du cercle et tourne en sens inverse de la ronde: il sautille et fait comme s'il jouait du violoncelle. Il s'arrête en face d'un enfant de son choix, les mains sur les hanches et chante la chanson du violoniste. Les deux enfants se retrouvent au centre du cercle et vont chercher un troisième violoniste <...>
• Fin de la séance. L'institutrice demande aux enfants de s'allonger par terre: "Je ne veux voir que des poupées en chiffon, toutes molles!". Fouad se rapproche de Marc et Fabrice: les trois garçons chahutent. La maîtresse s'approche doucement d'eux et leur demande individuellement de se calmer. Elle fait des gestes très lents, parle calmement aux élèves. Au bout d'une minute, elle passe près de ceux qu'elle considère comme aptes à se relever, puis elle les touche avec la baguette de tambour pour signaler qu'ils peuvent se relever. En se levant, certains courent pour aller chercher leurs vêtements (comme si la maîtresse les avait délivrés d'une posture emprisonnante) mais elle ne leur fait aucune remarque.

A cette séance, I2 n'a pas besoin de beaucoup parler: elle donne simplement quelques indications pour rappeler aux enfants des gestes, des mouvements qu'ils ont l'habitude d'effectuer; lorsqu'elle présente une nouvelle ronde chantée aux élèves, elle montre les mouvements plus qu'elle ne les explique et elle s'appuie beaucoup sur la signification des paroles. La séance est organisée selon une progression (l'institutrice commence par un "échauffement", elle continue par des exercices où les élèves doivent interpréter corporellement des consignes, elle poursuit par une danse que les enfants ont déjà appris, elle aborde une nouvelle ronde chantée et elle termine par des exercices de décontraction) et avec un rythme soutenu (les élèves sont souvent en activité, très rarement en train d'écouter des explications et les différents exercices n'excèdent jamais dix minutes chaque fois). Rythme et succession progressive d'exercices contiennent les ferments d'une discipline qui n'a plus besoin de s'exprimer à "l'état brut" sous la forme de rappels directs à l'ordre. Il n'en reste pas moins qu'on observe une plus grande flexibilité d'I2 dans ses exigences: contrairement aux apprentissages effectués en classe, elle reprend moins systématiquement les élèves qui n'arrivent pas à réaliser un exercice ou un mouvement dans les danses et qui copient éventuellement sur les autres enfants pour comprendre les gestes à faire.