III- Les modifications dans les conditions de la situation pédagogique et dans l'instauration du rapport d'autorité enseignant/enseigné

1- Des variations qui s'intègrent mal à la configuration

a) Les intervenants en gymnastique : une démarche insuffisamment cadrée

Les intervenants (un homme et une femme) sont tous les deux étudiants à l'UFRAPS: les difficultés qu'ils rencontrent dans la séance décrite ici sont fréquentes et ils les interprètent comme une plus grande excitation de la part des élèves (qui proviennent de CP2, maternelle grande section et CE1), lorsque leur maîtresse n'est pas présente et dans le cadre d'une activité "défouloir" où les corps peuvent bouger bien davantage qu'en classe. Ces explications nous paraissent en partie fondée par le fait que les élèves de CP1 et CP2 assimilent beaucoup l'autorité de l'institutrice avec sa personne et non pas avec sa fonction (nous aurons l'occasion d'approfondir cet aspect dans la partie IV-3: "Une relation spécifique avec la maîtresse"). Cependant, l'absence de l'institutrice n'explique pas tout, ni le fait qu'il s'agisse d'une activité physique et nous verrons plus loin que l'intervenante en karaté rencontre beaucoup moins de problèmes que les intervenants en gymnastique, alors même qu'elle est seule à mener la séance.

  • (9.03.93/I2/Après les vacances de février) A la fin de la récréation, les intervenants viennent chercher les enfants dans leurs classes (la moitié des effectifs en CP2, une partie d'une classe de CE1 et une partie d'une classe de maternelle), puis ils conduisent les 32 enfants par rang de deux jusqu'au gymnase. En entrant dans le gymnase, les élèves ne respectent pas les consignes qui sont répétées pourtant à chaque séance: ils s'éparpillent en courant dans tous les sens, ils crient, se suspendent aux cordes et s'agrippent aux filets de hand-ball. Les deux intervenants ont beaucoup de mal à regrouper les enfants: ils leur ordonnent de s'asseoir, puis l'étudiante rappelle "Alors, on n'oublie pas les consignes qu'on connaissait avant les vacances?" . Elle répète les consignes, et elle demande aux enfants de les redire tous ensemble à leur tour. Beaucoup d'élèves ont oublié leurs chaussures de sport. Ils doivent se mettre en chaussettes, mais ils ne sont pas punis et ne reçoivent aucun reproche. Les intervenants expliquent l'échauffement, qui débute par une course pendant cinq minutes sans s'arrêter. L'étudiant menace: "Ceux qui s'arrêtent avant et qui marchent, je vous avertis, j'arrêterai" <...>
  • Suite à l'échauffement, les intervenants rassemblent à nouveau les enfants et leur demandent de s'asseoir par terre. A la fin des explications données sur le déroulement de la séance et alors que les enfants sont toujours assis par terre, une fille demande à l'intervenante si elle a le droit d'aller boire. L'étudiante lui demande: "Est-ce que tu te rappelles ce qu'on a dit avant de courir?"(ne pas boire avant de courir, car "cela encombre l'estomac" et "de toute façon l'eau s'en va par la transpiration"). La fille répond que oui, elle se rappelle et l'intervenante conclue par "Alors tu fais ce que tu veux!" . L'élève court aux vestiaires pour aller boire et la majorité des enfants la suit en courant et en riant. L'intervenant est exaspéré par ce mouvement de foule non autorisé, qui se termine en bousculades et en bagarres à l'intérieur des vestiaires. Il va chercher les enfants et les fait se rasseoir. Lorsque le calme est revenu, l'intervenante demande "Est-ce que vous vous rappelez ce qu'on a dit avant de courir?"Un enfant répond: "Qu'on pouvait aller boire!". L'étudiant intervient: "On n'a pas dit ça! On a dit qu'il fallait se mettre par...." . Des enfants crient "En quatre groupes de huit!"et il leur demande alors: "Qu'est-ce que vous attendez?"
  • Les élèves courent au milieu du gymnase, mais n'arrivent pas à se mettre d'accord pour former les groupes, certains se voient refusés, d'autres se mettent par deux ou par dix et surtout les groupes ne sont pas équilibrés en fonction de l'âge (les intervenants avaient demandé de mélanger les classes). Les deux étudiants rappellent les enfants et leur disent de s'asseoir sur les gradins. L'intervenante rappelle calmement qu'ils vont faire un relais et c'est pourquoi ils doivent se répartir en quatre groupes qui se placeront en quatre postes. Elle prend la liste alphabétique des enfants et elle désigne le premier groupe comme étant tous les élèves dont le nom de famille commence de la lettre A à la lettre G, puis elle continue jusqu'au quatrième groupe. Elle se heurte à quelques difficultés, tous les enfants ne levant pas le doigt quand elle appelle leur lettre, et certains ne se rappelant plus à quel groupe ils appartiennent. Finalement, les deux intervenants arrivent à constituer les quatre équipes, qu'ils amènent aux quatre postes. Ils réexpliquent le parcours que doivent suivre les élèves les uns après les autres et le sens dans lequel ils doivent tourner.
  • Le départ est lancé, mais le relais se désorganise immédiatement: certains enfants ne comprennent pas qu'ils doivent partir et d'autres démarrent trop tôt. Les deux intervenants les arrêtent et s'énervent: "Vous êtes trop bêtes, franchement! On l'a fait plusieurs fois et il suffit qu'il y ait des vacances, vous ne vous souvenez plus de rien! Vous n'êtes pas concentrés et vous n'écoutez rien!"Ils réessayent deux fois, sans résultat, puis changent d'exercice, après avoir rassemblé les élèves sur les gradins pour leur expliquer: "Bon! On va passer aux cordes! Les maternelles, vous faites un rang devant une corde, les autres vous vous répartissez sur les trois cordes qui restent! <elles sont suspendues au plafond et permettent de s'exercer à grimper>" (étudiante) Quand ils ont fini de grimper, les enfants doivent faire un saut au trampoline, puis revenir aux cordes (où se trouvent les deux intervenants) Avant de commencer, l'étudiante explique comment grimper pendant que l'étudiant fait la démonstration sur une corde. Mais certains enfants ne suivent pas la consigne: ils passent plusieurs fois au saut. Les intervenants les reprennent plusieurs fois, mais certains élèves resteront quand même sur le trampoline sans passer à la corde. Par contre, tous les enfants se rangent comme il faut dans une file pour attendre leur tour à la corde <...>
  • La séance est terminée. Malgré les injonctions des deux intervenants, les enfants courent jusqu'aux vestiaires pour se changer (les filles et les garçons étant séparés). Plusieurs bagarres éclatent à l'intérieur et les étudiants sont obligés de se déplacer pour ramener le calme. Dès que certains élèves ont fini, ils sortent des vestiaires et se promènent sur les gradins, sans autorisation, profitant de ce que les intervenants surveillent ce qui se passe dans les vestiaires. Tous les élèves étant sortis, l'étudiant se place devant la porte du gymnase et avertit: "Vous vous mettez deux par deux, on n'avance pas tant que vous n'êtes pas en rang! On n'est pas un troupeau! Si vous ne vous calmez pas, je sens que y'en a certains qui vont avoir des punitions écrites à faire!".

Un détail apparaît au début de la séance qui pourrait être l'indicateur du fait que les élèves se sentent moins soumis à un ordre scolaire que dans d'autres séances: beaucoup d'enfants ont en effet oublié leurs chaussures, alors que dans les séances "rondes et danses" 919 et "karaté", la majorité d'entre eux ont apporté leur matériel. Dans l'analyse d'une heure de cours qui se passe mal (en première année de préparation au BTS de secrétariat de direction), J.L. Derouet montre combien l'oubli du matériel adéquat est l'un des éléments qui contribue à dégrader la situation scolaire. L'enseignante stagiaire n'arrivera jamais à définir et à imposer cette situation scolaire: "Martine a décidé de terminer les exercices commencés le lundi précédent. Les élèves ont l'air énervé. Martine leur demande si elles ont préparé l'exercice qu'elle avait proposé. Aucune semble-t-il n'a pensé à faire ce travail. Il n'y en a d'ailleurs que très peu qui ont rapporté la feuille ronéotée avec les exercices. Martine tente, malgré tout, de faire participer la classe au premier exercice. Il s'agit de faire un planning pour la gestion d'un parc de voitures: grande résistance de la classe. Martine demande le silence à plusieurs reprises, mais sans succès. Ses interventions semblent même avoir un effet contraire. Je sens monter un réel chahut" 920 . Dans la séance organisée par les deux intervenants en gymnastique, l'oubli du matériel est moins lourd de conséquences (puisque les enfants peuvent s'en passer, se mettant en chaussettes) et surtout d'autres éléments contribuent à faire en sorte que la situation ne se dégrade jamais totalement (contrairement à la séance de danse observée dans la configuration de la Maison des Trois Espaces où nous verrons que l'intervenante est obligée de solliciter l'institutrice pour ramener le calme 921 ). Outre les rappels à l'ordre et les menaces de punitions (notamment au moment de quitter le gymnase), les deux étudiants parviennent plusieurs fois à rétablir le calme en usant de procédés observés chez I1, I2 et dans les autres configurations: ils font asseoir les enfants, contrôlant de cette manière les corps avant de se lancer dans des explications et ils demandent aux élèves de reformuler les consignes et les interdictions.

On observe une différence dans la manière de procéder des deux intervenants, l'étudiante semblant surestimer la capacité à s'auto-contrôler des enfants, ce qui contraste avec l'attitude que les enfants ont l'habitude d'adopter en tout cas en CP1/CP2 et elle se fait davantage déborder que l'étudiant. Elle explique beaucoup, fait appel à leur raison (par exemple lorsque la fille demande à aller aux toilettes), ce qui a moins d'impact sur le comportement des enfants que les interventions autoritaires de l'étudiant. Par ailleurs, certains "dérapages" semblent dus à la trop grande complexité des consignes données par les deux intervenants, compte tenu de l'âge des enfants (par exemple la répartition des élèves par groupes en fonction de l'ordre alphabétique), ce qui contraste avec la simplicité des exercices demandés par I2 dans la séance "rondes et danses". Enfin, le rythme semble peu soutenu et certaines séquences trop longues, notamment lorsque les étudiants se lancent dans des explications et que les enfants s'impatientent, ayant hâte de faire bouger leurs corps.

Notes
919.

L'institutrice qui organise la séance "rondes et danses" bénéficie du fait qu'elle côtoie les enfants tous les jours et qu'elle peut insister sur ces aspects matériels qui conditionnent la bonne poursuite du travail, au même titre que d'avoir ses instruments pour écrire, ses cahiers et ses livres en classe.

920.

J.L. Derouet, Ecole et justice. De l'égalité des chances aux compromis locaux?, Ed. Métailié, Paris, 1992, p.193

921.

Voir supra la partie III,5 de cette configuration: "L'engagement contractuel dans la relation maître-élève"