Certains élèves de la configuration Jean Giono laissent cette impression dans leurs comportements observés en classe, d'être très insouciants face aux conséquences éventuelles de leurs mauvais résultats scolaires. Ces élèves sont décrits par les institutrices comme des enfants "immatures", "encore bébés" et elles ajoutent que, de manière globale dans leurs classes de CP, beaucoup d'élèves ne se rendent pas encore compte de l'enjeu des notes, contrairement aux plus grandes classes (à partir du CE2): "t'en as qui savent pas bien écrire, qui savent pas lire, qui sont nuls, mais ils s'en tapent! Et puis pour eux, ça marche! Mais ils sont contents! Ils ne se rendent pas compte du tout <...> Marion, si tu lui demandais si elle travaille bien, je suis sûre qu'elle te dirait <<oui, ben oui!>>, pour elle, elle travaille bien, alors que tu vois, on va la tester pour faire une autre orientation...Mourad, ça serait pareil, il dirait qu'il travaille bien!"L'attitude de certains élèves en contrôle se rapporte à leur comportement général en classe qu'on pourrait qualifier comme étant "en déphasage complet" avec les exigences scolaires. I1 a l'impression face à ces élèves d'être comme un "poste de télévision". La métaphore est intéressante, même s'il faut se méfier du discours commun sur les méfaits de la télévision, qui induirait des comportements passifs chez les télespectateurs:"Y'en a certains, ils pensent que rien qu'en te regardant, en t'écoutant, ils vont savoir, mais alors sans faire d'effort...Travailler ça leur dit rien, sitôt qu'il faut se forcer, se creuser un peu les méninges, non, ça leur dit rien..." . Samia (CP2) développe ce genre d'attitude passive: elle a un très grand retard scolaire, semble perdue dans ses pensées et donne l'impression qu'elle n'a pas du tout compris pourquoi elle est dans une salle de classe, quelles sont les finalités et ce qu'elle doit faire 939 . Pour certains exercices, elle écrit n'importe quoi sur sa feuille, au hasard, comme pour se débarrasser de quelque chose qui n'a pas de sens. Elle saisit parfois des livres, en les feuilletant sans les regarder vraiment. Les autres enfants se moquent constamment d'elle et la maîtresse semble avoir renoncé à modifier son comportement (d'autant plus que la fille va bientôt être orientée dans un centre spécialisé), notamment lors des contrôles où elle n'est plus systématiquement derrière elle pour l'aider et pour lui rappeler les exigences de la situation d'examen.
Cette "inconscience" de certains élèves face aux évaluations scolaires se ressent particulièrement dans l'ambiance des contrôles, où les enfants sont répartis un par table pour éviter qu'ils ne copient et où ils reçoivent la consigne de rester silencieux. Mais cette exigence est difficile à faire respecter et beaucoup d'enfants interviennent en parlant fort, comme s'ils n'avaient pas compris le contexte du contrôle, interpellant la maîtresse ou des camarades, pas toujours d'ailleurs en vue d'obtenir une réponse. Ainsi un enfant relisant sa dictée répète tout haut les phrases, comme s'il était en situation de lecture en classe (l'institutrice le reprend: "Tu répètes dans ta tête, je ne veux pas t'entendre"). D'autres élèves prennent les contrôles sans grand sérieux, comme si cela n'avait pas tellement d'importance: ainsi Jonathan (CP1) bâcle souvent ses réponses et parfois saute des questions pour finir plus vite et passer à une autre activité qui l'intéresse plus (regarder des livres, dessiner) tant et si bien que l'institutrice est obligée de le reprendre systématiquement pour qu'il s'applique dans les exercices, qu'il termine ses contrôles et les fasse sérieusement. Enfin certains enfants changent carrément d'activité en cours de contrôle, comme Vanessa (CP1) qui au beau milieu d'une dictée, sort un dessin qu'elle a fait chez elle: "Maîtresse, regarde!"et l'institutrice lui répond: "Ca va, Vanessa, la maîtresse ne t'a pas demandé de raconter ta vie!".
En même temps, comme si elles sentaient qu'il est impossible d'exiger une complète adéquation des élèves aux conditions du contrôle, les maîtresses adaptent les contraintes, notamment en apportant des aides. Par exemple dans les dictées, elles pointent les mots qui comportent des pièges et des difficultés: "Le rôti...faites attention, il y a quelque chose sur le <<o>> de rôti, il ne faut pas l'oublier..." 940 . Globalement, dans les contrôles, les institutrices oscillent entre une attitude sévère (faire respecter les conditions et les exigences d'un examen) et une attitude d'aide (elles essaient de ne pas "dramatiser" la situation, elles s'assurent que tout le monde a bien compris la consigne, qu'elles peuvent être amenées à expliquer plusieurs fois). Cette oscillation se perçoit à la variation des réactions que déclenche chez les institutrices la sollicitation d'un élève qui cherche à vérifier si ce qu'il écrit est juste: soit la maîtresse refuse de répondre (en disant par exemple que"la maîtresse ne sait pas...elle dira quand elle aura corrigé"), soit l'élève reçoit une indication qui le met sur la piste de la solution. De la même manière, les maîtresses ne reprennent pas systématiquement ni immédiatement les élèves qui communiquent entre eux, elles "ferment les yeux" sur certaines attitudes de copiage et elles n'appliquent pas toujours les consignes de limitation du temps (laissant une latitude aux retardataires).
Pendant longtemps, I2 n'a pas organisé de contrôles dans sa classe, pour éviter la baisse de performances occasionnée par le stress et les exigences de la situation de contrôle: elle procédait par contrôle continu, en situant l'élève dans un groupe par rapport aux lettres obtenues sur le cahier du jour pour un mois "Parce que c'est vrai, ils ont peur ce jour-là, ils travaillent moins bien et tout...Les devoirs, j'en faisais pas". Mais elle a modifié sa manière de faire, parce qu'elle s'est aperçue "qu'en fait, c'était très très subjectif, parce que y'a ceux qui sont vivants en classe, t'as tendance à leur mettre une meilleure note, et t'as ceux qui sont calmes, timides, tu as tendance à les baisser. Alors un jour, j'avais essayé comme ça, j'avais fait des contrôles, et puis j'avais été surprise du résultat, parce que ça correspondait pas tout à fait à ce que je leur avais mis. Alors du coup, après j'ai fait des contrôles et j'ai même mis des notes, parce que c'est plus facile <pour calculer les moyennes>". Les deux institutrices ont adopté un système d'évaluation similaire avec des notes pour les contrôles et les indications ("AB, B, TB") pour les exercices du cahier du jour.
Nous avons déjà eu l'occasion de décrire son comportement au cours d'une séance de karaté dans la partie infra III, 2, a: "L'intervenante en karaté: l'inscription parfaite d'une discipline sportive dans l'ordre scolaire"
Fréquemment, lorsqu'elles indiquent des "pistes", des élèves ne peuvent pas s'empêcher de donner la réponse, comme s'il s'agissait d'une question posée en exercice ou en leçon, et comme s'ils n'étaient pas en situation d'examen (dans l'exemple cité ici, Taïl répond: "C'est le chapeau!").