L'institutrice de la configuration Guilloux utilise, comme dans les configurations de la Maison des Trois Espaces et de C.Freinet un cahier méthodologique que les enfants remplissent progressivement en indiquant par exemple comment faire un résumé et qu'ils peuvent consulter à tout moment lorsqu'ils effectuent un exercice (en classe ou à la maison), sauf pour les contrôles. Ce cahier peut être considéré comme une sorte de "manuel" sauf que le travail d'appropriation des élèves semble être plus important que dans le cas de la lecture d'un livre imprimé, du fait qu'ils rédigent eux-mêmes leur cahier de méthodologie (même s'ils ne font que copier les instructions et les règles données par l'institutrice) et qu'ils reçoivent en même temps les usages et les manières d'appliquer. Parmi les configurations rencontrées, cette institutrice est une de celles (avec les enseignantes de Tom Pouce) qui insiste le plus également sur le bon maniement des instruments: par exemple elle prend une demi-heure un jour pour montrer aux enfants comment utiliser le compas de manière adéquate, en mettant la pointe et le crayon au même niveau et en enfonçant bien la pointe.
Lorsqu'elle corrige un devoir évalué, l'enseignante justifie toujours sa notation et elle tient souvent à disposition des élèves l'explication pour contrôler sa note: par exemple, elle passe avec un papier calque sur lequel est tracé l'angle que les élèves devaient représenter dans un devoir de géométrie, ou bien elle explicite le système d'évaluation au moment de rendre un devoir de grammaire dans lequel l'un des exercices consistait à donner dix verbes attributifs. Elle explique que "ceux qui n'ont pas appris leurs verbes attributifs ont été sanctionnés"; ceux qui ont dix verbes justes, "c'est très bien", ils ont un bonus d'un point (sur le total de la note finale du devoir); huit, "c'est honnête", ils n'ont pas de point en plus ni en moins; ceux qui ont six ou sept verbes ont "moins un point", en dessous de cinq, "moins deux points".
Par ailleurs, l'institutrice insiste particulièrement sur les techniques d'apprentissage des leçons qui prennent une forme très interactive (où l'enseignante essaie de "faire découvrir" au fur et à mesure par les enfants) mais qui partent toujours d'un résumé écrit distribué, à apprendre par les enfants à la maison. Ce résumé comporte des "mots-clefs" et certains morceaux de phrases importants, que l'institutrice a préalablement soulignés ou qu'elle demande aux élèves d'indiquer au marqueur dans le cours de la leçon "pour mieux s'en souvenir":
Pour faire sa leçon, l'institutrice ne demande pas aux enfants de tout découvrir à partir de questionnements, de documents ou de raisonnements (comme nous le verrons dans la configuration C.Freinet), mais elle s'appuie sur un texte déjà rédigé, qui comprend tous les éléments que les élèves devront apprendre, même s'ils ne doivent pas connaître les phrases "par coeur" et même si elle insiste sur les éléments immédiatement importants à apprendre pour être mobilisés ensuite dans des exercices scolaires: par exemple, elle n'exige pas des enfants qu'ils se souviennent exactement de toutes les dates ("y'a des dictionnaires pour ça"), mais d'arriver à situer à peu près les rois. Pour autant, l'institutrice sollicite une participation active de la part des enfants qu'elle laisse intervenir dans le cadre des leçons, qu'elle interroge pour vérifier qu'ils aient bien saisi le sens des mots et qu'elle prépare pour la prochaine leçon (qui portera sur la Révolution française) en leur demandant d'imaginer les conséquences dans l'histoire de France des événements étudiés. Il lui arrive de préparer les enfants par une analyse documentaire (sur la base de documents qu'elle a préparés et qu'elle distribue), mais le moment de leçon qu'il faudra apprendre est clairement dissocié puisqu'elle précise à chaque fois aux élèves qu'ils ne pourront pas se rappeler de tous les documents, mais que cela sert à préparer la leçon suivante.
Lorsqu'elle demande aux enfants de restituer une leçon apprise, l'institutrice n'exige pas qu'ils la récitent "par coeur" et elle ne désigne pas un seul élève: en général, ceux qui veulent être interrogés lèvent le doigt progressivement (elle incite fortement les enfants à avoir une attitude "active" par rapport à leurs apprentissages; elle répète souvent qu'elle ne pourra pas apprendre à leur place) et parfois elle interroge un "rêveur" ou un enfant dont elle doute qu'il n'a pas appris sa leçon. Par contre, si les élèves ne sont pas tenus de répéter mot à mot le contenu de la leçon, elle exige d'eux qu'ils la présentent d'une manière "logique", en partant des données les plus générales qui resituent la leçon dans un cadre plus large:
Ainsi, lorsque l'institutrice demande aux enfants de restituer une leçon, elle ne leur demande pas de la réciter par coeur, sans rien comprendre, mais d'avoir une démarche active, directement orientée vers les futurs travaux scolaires demandés. D'ailleurs elle ne cesse de leur répéter que pour apprendre une leçon, il est plus "performant" d'imaginer les questions qu'on pourrait leur poser: "ça permet d'anticiper et de vous préparer pour le prochain contrôle". La restitution de la leçon n'est plus évaluée "en elle-même" (certains instituteurs notent les élèves sur une récitation de la leçon), mais elle devient un exercice, un outil pour apprendre des connaissances scolaires et s'entraîner à les ordonner en vue d'une interrogation. Pour certains contrôles (surtout en éveil), l'institutrice va même jusqu'à demander aux enfants d'écrire des questions qu'elle tire au sort (ce qui leur permet selon elle de mieux apprendre la leçon, en anticipant sur les questions auxquelles ils devront répondre). De la même manière, lorsque les élèves ont une lecture à préparer chez eux, ils doivent penser aux questions à poser pour vérifier s'ils ont bien compris la lecture et l'enseignante peut demander le lendemain à l'enfant interrogé de désigner celui qui lui posera sa question. Dans ces situations où l'enfant trouve lui-même les questions auxquelles il devra faire répondre ses camarades, on est proche des pratiques de l'enseignement mutuel (qui apparaît au XIXème siècle 972 ) où le moniteur interrogeait les autres élèves, avec la différence essentielle quand même que les enfants de la configuration Guilloux inventent des questions (alors que le moniteur ne faisait qu'appliquer les consignes, sans inventer de questions). En tout cas dans la configuration Guilloux, l'élève n'est plus seulement celui qui apprend, qui effectue des exercices et qui répond pour montrer qu'il a appris et qu'il a compris, il doit aussi faire la preuve de sa compétence à poser des questions, l'institutrice vérifiant avec l'élève si les réponses des autres enfants sont justes.
Mieux encore, l'élève de la configuration Guilloux peut être appelé à inventer un problème de mathématiques qui sera réalisé par un autre enfant. Selon l'enseignante, cette manière de procéder apprend aux enfants à faire attention aux précisions apportées dans un problème, et elle incite les élèves à critiquer leurs énoncés, comme par exemple le jour où un débat s'instaure dans la classe suite à la lecture du problème suivant:"Un enfant a 45 kinders. Il invite 5 copains à venir goûter. Il veut partager ses kinders entre les enfants. Combien chaque enfant aura de kinders?" . Des élèves ayant essayé en vain de résoudre le problème, ils sont allés voir l'institutrice qui analyse avec la classe pourquoi l'exercice n'est pas réalisable (ici, on ne sait pas si l'enfant qui invite est compté dans le partage ou non). Les dictées sont également davantage des exercices pour permettre aux enfants de comprendre les règles de grammaire et d'orthographe qu'une vérification sous forme de contrôle des compétences des élèves. Ainsi, l'institutrice fait préparer les dictées à l'avance, d'abord individuellement, puis à quatre et toute la classe ensemble (la maîtresse fait alors une synthèse collective). Le travail par groupes de quatre doit réellement être efficace et l'institutrice demande parfois à un élève de réfléchir tout seul, lorsqu'elle remarque qu'il se repose trop sur le groupe pour préparer la dictée. La consigne est à chaque fois de repérer les "pièges" et la manière de les éviter en sollicitant les règles de grammaire et d'orthographe qui servent à se justifier. L'institutrice note la préparation des groupes, en donnant des points "bonus" supplémentaires (+1 ou +2) ou inversement un "malus" à valoir sur la note individuelle de dictée pour chaque enfant du groupe. Elle vérifie également que chaque élève a bien effectué la correction de la préparation lors de la synthèse collective (pour éviter qu'il retienne des fautes). Même si l'institutrice fait par ailleurs des leçons de grammaire et d'orthographe, elle refuse de préparer les élèves aux passages délicats de la dictée avec un "cours magistral" qui serait moins efficace que lorsque les enfants sont forcés de s'expliquer, d'argumenter leurs choix d'écriture:"y'aurait seulement certains enfants qui écouteraient, mais ce sont ceux qui de toute façon n'ont pas besoin de l'enseignant".
Dans cette conception, les règles d'orthographe et de grammaire n'ont d'intérêt que dans leur application et leur mobilisation concrètes pour éviter de faire des fautes: l'essentiel pour l'institutrice n'est pas de connaître les règles indépendamment d'un contexte où elles sont utilisées et elle répète sans cesse aux élèves que "l'orthographe c'est bête, mais c'est nécessaire", que "les règles de grammaire n'ont pas d'intérêt en soi", que la grammaire "ça ne sert à rien, en soi c'est idiot, ça sert à comprendre les phrases" ou bien encore que la conjugaison est une "nécessité" inévitable lorsqu'on veut écrire sans faute: "La conjugaison en soi, ça c'est stupide <elle montre le tableau de contrôle de conjugaison>, mais je vous ai déjà expliqué qu'on est obligé de le savoir pour ne pas faire de fautes, pour pouvoir l'utiliser"; "Je suis d'accord avec vous, la conjugaison sans contexte, c'est un peu bête, mais il faut la faire quand même". On retrouve sa conception "instrumentale" de la grammaire lorsqu'elle explique lors de la préparation d'une dictée que certains mots sont appelés "invariables" parce que "ça les arrange", ils s'écrivent toujours pareil. Lors de la préparation des dictées, les élèves peuvent se servir du dictionnaire et de leur cahier où sont consignées les règles pour pointer les difficultés orthographiques et grammaticales. Il arrive même à l'enseignante de conseiller à un élève la consultation du dictionnaire au moment de la dictée, partant du principe que "Si tu sais rechercher l'information qui t'intéresse dans le dictionnaire, c'est le plus important" . Parfois, les enfants écrivent la dictée puis confrontent au fur et à mesure avec leur voisin, phrase par phrase pour trouver les différences d'écriture et argumenter leur choix (en s'appuyant notamment sur des règles vues en classe ou bien sur l'usage orthographique donné par le dictionnaire). L'institutrice insiste sur le fait qu'il ne sert à rien de réciter une règle, ni même de l'écrire entièrement dans la préparation de dictée: elle conseille même aux enfants de faire des schémas au lieu de faire des "grandes phrases".
Parallèlement à cette forme de préparation aux examens dont nous avons vu un exemple dans les dictées, l'institutrice utilise une manière plus classique de contrôler les connaissances, avec un procédé du type La Martinière, notamment pour les conjugaisons (environ cinq contrôles entre chaque période de petites vacances, ce qui revient à un contrôle tous les dix jours à peu près). Comme nous l'avons déjà analysé dans la configuration Jean Giono 973 , cet exercice génère beaucoup d'anxiété chez les élèves et requiert une attention maximale de leur part:
Contrairement à la configuration J.Giono où ce procédé s'inscrivait logiquement dans les pratiques pédagogiques des institutrices, l'enseignante de Guilloux se sent constamment obligée de justifier cette forme de contrôle auprès des enfants alors même qu'ils ne lui font aucun reproche: on se rend bien compte que cette forme de contrôle très "mécanique" qui fait appel à la mémoire immédiate, aux habitudes sans solliciter la réflexion active, vient contredire en partie les exigences de responsabilité et de raisonnement très présentes dans la configuration Guilloux. L'enseignante en arrive même à excuser certaines fautes des élèves, soulignant que "certaines fautes sont presque normales, car sorties de leur contexte, les verbes, c'est pas évident!" Par ailleurs, l'institutrice indique souvent aux enfants des modèles de démarches que les élèves doivent répéter à l'identique, par exemple pour faire une multiplication ("on cache, on multiplie, on soustraie, on abaisse") ou bien pour justifier un choix en grammaire (elle donne des formules mécaniques, comme: "La fille demande un verre d'eau...La fille est sujet, car on peut dire que c'est la fille qui demande un verre d'eau"). En fin de compte, cette sollicitation très "mécanique" de la mémoire des élèves qui semble incompatible avec la démarche réfléchie d'apprentissage et de comportement plusieurs fois sollicitée par l'enseignante chez l'élève, doit être interprétée selon nous comme un effort pour doter les enfants d'outils et de repères dans l'apprentissage des notions et dans l'application de démarches avec l'objectif toujours présent de rendre le plus efficace possible la réalisation des exercices scolaires.
Les deux manières de procéder chez l'institutrice Guilloux (apprendre mécaniquement des listes et des règles, solliciter la raison et l'argumentation) ne sont finalement pas contradictoires et rappellent l'apprentissage scolaire de la langue au XIXème siècle, où l'élève est progressivement doté d'une "grammaire" dans laquelle il apprend les règles et la manière de conjuguer les verbes (au lieu d'apprendre à lire et à écrire en copiant des textes et en écrivant des leçons apprises par coeur) mais où l'élève s'exerce aussi au raisonnement "en situation", à l'analyse qui "lui fait découvrir dans des textes les règles qui y sont appliquées, les mécanismes qui y sont en action. Bien sûr les grammairiens ont inventé de toutes pièces la distinction du sujet logique et du sujet réel, et l'élève qui fait de l'analyse grammaticale et logique trouve dans le texte ce qu'ils y ont mis <...> mais il ne peut plus considérer comme inutiles fantaisies les notions et les règles grammaticales à partir du moment où il en voit <<l'application>>, par exemple dans il arrive de grands malheurs (qu'est-ce qui arrive? de grands malheurs, -sujet au pluriel)" 974 . L'usage de la dictée permet encore d'obtenir des habitudes, de consolider l'acquisition des règles par répétition, mais on développe aussi le raisonnement et la réflexion et on ne sollicite plus uniquement les "automatismes". Les inspecteurs de 1880 dénoncent "la dictée non préparée, l'exercice machinal qui ne fait pas appel aux lumières de la grammaire" 975 et il est préconisé par exemple à l'Ecole Normale de Strasbourg de faire indiquer par l'élève en marge de la dictée la nature des fautes commises et les règles grammaticales qui ont été violées. Les préoccupations et les pratiques de l'institutrice de la configuration Guilloux rejoignent ainsi celles soulignées par G.Vincent chez les pédagogues du XIXème siècle qui travaillent à l'apprentissage de la langue française, sollicitant la compréhension de deux choses chez l'enfant: "d'abord que la langue est soumise à des règles et ensuite que ces règles ne sont pas arbitraires, mais justifiées par la raison" 976 .
Voir G.Vincent, L'école primaire française, PUL, Lyon, 1980, p.65
Voir infra la partie II,5,a de cette configuration: "Les exercices avec ardoises"
G.Vincent, L'école primaire française, PUL, Lyon, 1980, p.122
idem, p.123
ibid, p.122